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Full text of "Voyage d'Italie, de Dalmatie, de Grece, et du Levant : fait aux années 1675. & 1676."

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——— M 


"erm rm T. oo SUUM χε MESS SR FEE M INNO CT uM 


"ice : ue 


VOYAGE 


D'ITALIE, DE DALMATIE, 
D E 


GRECE ; ET DV LEVANT, 


Fait ἐς années 1675.@ 1676. par lACOB 
SPON Doiteur Medecin Agercgé à 
Lyon , & GEORGE VVHELER 
Gentilhomme Azalos, 


OM E:-.L 


| k-*L ONCE NS 
Chez Antoine Crerrzrrzn le fils, 
rue Merciere, à la Conftance. | 
E Aa DU LXNFITL. 


AVEC PAIVILEGE DV.ROX. 


"b UMP 


* 


ad v di Wi. 


"die? a 4 


ἐξ i , diti MCN 


jah EAM 


AU. TRES-REVEREND PIRE 
- LE REVEREND PERE 
DE LA CHAIZE, 


CONSEILLER DV ROY 


& fon Confelleur ordinaire. 


2ON REVEREND PERE, 
za 


Ced 


Comme ceft feulement l'a- 
mour de l'Antiquité, qui m'a fait 
entreprendre le “voyage d Itaüte 
€ de Grece : auffs ay-je cri ne- 
ceffaire aprés mon retour.de con- 

| facrer mes remarques à une per- 
à fonne éclairée dans cette. anti- 
» 
adu 


ἜΡΙΝ 
quite, tel que j'ay l'avantage, 
MoN REVEREND PERE, de 
vous (ΟἼΟΥ depurs  plufieurs 
années y car apres les recherches 
que vous avez, faites l'incli- 
pation que vous avez. témoignée 
pour les bijoux antiques , il n'y a 
perfonne qui n accepte V. R. pour 
un jufle arbitre en cette matiere, 
€? qui ue sen tiene à [a de- 
ciffon. C'eft ce qui m'a fait pren- 
dre la liberté de vous prefenter 
, ce que je fum alle deterrer de 
plus curieux dans la Grece , e 
[^w [eg umets entierement à y0- 
^ fre cenfure, cfperant que vous le 
recevrez. favorablement, de mé- 
ene que vous mo faiffex la gra- 
ce de me permettre à Lyon de 


m 


ΠΡ, 4 ARMES: 

| vous aborder toutes les fois que 
| je fas quelque decouverte — 
a antiquité ; C me flattant de 
lus, que comme vous aurez la 
bonté d'excufer les fautes qui [8 
feront gliffées dans cet Ouvrage, 
“vous appuyerez.auffi de vôtre 
proteétion: les veritez que 1 y au- 
ray mi[es au jour. Souffrez donc 
de grace, M.R.P. que je vous 
cofdere plutôt comme un curieux 
ΤΠ ἦγε , que comme une perfonne 
vevétue du charactere éleve.dont 

le plus fage de tous les Rois a re- 
comun “uûtre probité € cotre 
suerite,co* dot l'amour que vous 
avez eu depuis lons-tems pour les 
Cefars eo les Heros de l'Antiqui- 

. 26, femble avoir élé un heureux 


4 3 


EPITRE 
Augure, comme autrefoss l'iucli- 
nation du jeune Achille pour les 
armes fut un prefage de fes gran- 
des afdions. Infeélé que je fuis de 
l'air de la Province € de la pou[- 
frere du Cabinet.ce feret mal fai- 
ve (za Cour decvous aller impor- 
tuner ju[fqu au milieu du Louvre, 
€? interrompre des occupations 
auffi ferieufes e auff importan- 
tes que les cuûtres. Il efl curay 
qu encore que je ne puif]e penfer 
à V.R. fans penfer en méme 
tems à citte place qu'elle occupe 
avec tant d'applandiffement , je 
ne defefpere pas neanmoins, que 
mes Obférvations vous pulfent 
étre utiles à cét égard : car il 


v'eft rien de ft jufle, mi mème de 
/ 


CO. CURA x 


EPA TRIE 


ff necelfaire que de donner dans 


les grands attachemens quelque 
relâche à l'efprit ; e» j'ofe fon- 
tenir quil gy en 4 point de plus 
noble ni de plus azreable, que 
celuy qui nous eff procuré par 
la con; deratiom des Monnmens 
antiques , € particulierement 
des Medailles c? des Marbres; 
qui feront d'égale durée avec le. 
monde. Ce ne peut-être, dis-je, 
Mon REVEREND PERE, 
qu'un divertiffement digne d'une 


ame héroïque eo d'une e perf 0n- 
me» qui eff iuce[]amment prés 


d'un grand Monarque, d'avoir 

tous les jours entre les mains 

des marques empreintes far le 

bronze € fur la pierre, de la 
à 4 


EPITRT. 
rvertu des anciens Heros. - On y 
«void la pompe de leurs triom- 
phes ; leur clemence envers les 
peuples fouss » les particuliers 
recompenfez, de leur foin € de 
leur affcétiom pour le public. On 
yremarague la liberalité des Sou- 
cverains , «9 la reconnoiflance 
des fujets. Nerva qu donne du 
bled à toute la populace , Trajan 
qui diffribué des Couronnes à di- 
cvers concurrens , «o Hadrian 
qui fait du bien à toute la terre. 
On y obfirve enfin tout ce que 


la cvertu morale &> les bonnes. 


loix avoient infhiré de grand 
e de jufle à l'ancienne Rome. 
Les Marbres à la cverité ne peu- 
vent pas facilement être tranf" 


- 


EPA TRY 
| portes. pour orner les Cabinets 
- des curieux. On fe contente des 
| Copies qi en ont ete faites fur les 
origimatx. . Ceft , M. R:P. ce 
que vay ou de plas en cote dans 
mon voyage de Grece, € ce qui. 
ne seff pas fait Jens peine eg* 
fins rifque y parma des peuples 


grofféers 7 ignorans : mais je 
me tiendray tres - avautagenfe-. 
ment payé des peines que cette 
paffou zm 4 causées 5 (1. je puis 
par la contribuer à L aflortiment 
de cos curiofitez. , em joignant 
à vos Medailles les Infc craptioms 
des marores qué | 4) rapportéess 
de mème qu Aticus revenant de 
Grece apporta une. Hermathene 
. pour fervir d'ornement à la Bi- 


à 5 


EPITRE 

bliotheque de Cicerou. 16. pour- 
roii dire à Votre Reverence, que 
ceft là ma pafhorädominante » ff 
elle n'étoit [urmontée par une 
autre bien plus forte , qui eft de 
faire connoître à tout le monde. 
les fentimens de cveneration que. 
j 4y tohjours eus pour vôtre me- 
rite fiugulier ; «?* le zle refhc- 
Elueux avec lequel je feray toute 
MA CIE ; 


MON REVEREND PERE, 
De Votre Reverence , 


à Lyon, ce 15.Novemb. 
. 1677- 


Le tres-humble , & tres- 
obeiffant ferviteur , 


lacos Srom 


-— 


e 
Li 
4. 


x3 HE LR OPER) EA ER DEA Pap ME 
ἘΞ ceca 


1 
EOPRELPACE. 
ASE ST une chofe ordinaire, 


pin que ceux. qui font des rela- 

7 "sions de Voyage, traitent leur 
fujet felon leur Genie. Les uns ne 
parlent que de Palais, d'Eglifes ὃς 
de places publiques. Les autres 
n’entretiennent leurs Lecteurs que 
du plan des Villes, de leur Peuple, 
de leurs Fortifications & de leur Po- 
lice. Il y en a de plus fpeculatifs , 
qui s'attachent à décrire la Religion, 
les Mœurs & les Coütumes des 
Pays , où ils n'ont fait que paffer. 
Quelques autres nous font la defcri- 
puon des Plantes , des Mineraux, & 
du Negoce des lieux qu'ils ont fre- 
quentez. J'avoue qu'un Voyageur 
devroit fcavoir répondre à tout ce 
qu'on peut s'informer de luy aprés 
fon retour ; mais c'eft une chofe à 
fouhaiter , plutôt quà efperer , à 


PREF AC E. 
moins que de trouver un homme 
fort univerfel , qui eût beaucoup de 
fanté , de rentes & de loifir en fes 
Voyages. Pour moy , je n'ay pas à 
la verité negligé toutes ces particu- 
laritez , loríque je les ay pû appren- 
dre avec facilité & avec peu de frais: 
mais il ne fera pas mal-aifé de voir, 
quand je n’en ferois pas un aveu 
fincere , que mes plus grandes re- 
cherches ont eu pour but la con- 
noiffance des Monumens antiques 
des pays que j'ay vûs danc ce Voya- 
ge , & que Ç’a été là ma plus forte 
inclination. Je ne me fuis jamais 
fort empreffé d'affifter aux plus cele- 
bres ceremonies de Rome, aux Con- 
certs ni aux Opera d'Italie. : mais 
comme j'avois entrepris & aflez 
avancé avant que partir, un ouvrage 
des Infcriptions antiques pour fervir 
de fupplément à celles de Gruterus, 
je paflay à Rome les jours & les 
mois entiers à ne faire prefqu'autre 
chofe que confiderer les ftatues , les 
bas reliefs & les mazures , & à co- 
pier toutes. les Infcriptions non feu- 


PREFACE. 
lement qui ne fe trouvent pas dans 
Gruterus , mais aufli une grande 
partie de celles qui y font déja;pour 
examiner fi elles:y éroient exacte- 
ment rapportées : de forte qu'a- 
prés y avoir demeuré cinq mois de 
fuite & recueilli par le moyen de 
diverfes perfonnes intelligentes , 
toutes celles qui faifoient à mon fu- 
jet ; du Royaume de Naples & 
d'autres lieux d'Italie où je n'avois 
pas deffein de me tranfporter, je 
m'en trouvay chargé de plus de 
deux mille inconnues à cét Auteur, 
dont il y en a nombre de tres-con- 
fiderables : & meditant là deffus la 
belle recolte que j'en pourrois faire 
dans la Grece , où les Voyageurs 
n'ont fait jufqu'à prefent qu'efileu- 
rer cette curiofité , il me prit une 
forte envie d’aller faire du moins 
une promenade jufqu’à Athenes , 
qui a été autrefois dans la Grece, 
ce que Rome fut dans l'Italie.Peut- 
être n'aurois-je pas executé mom 
deffein , fi je n'euffe trouvé trois 
G:ntilshommes Auglois qui s'offzi- 


PREFACE. 
rent d'étre de la partie, & de parta- 
ger avec moy les rifques du trajet : 
mais comme la paflion de voyager 
croit en marchant , nous n'eümes | 
pas plutôt apperceu les cótes de la 
Grece , que nous dimes entre nous 
qu'il n'étoit pas jufte de la quitter 
fans voir Conftantinople , qui y 
tient prefentement le premier τη σὲ; 
& à peine eûmes- nous fejourné 
dans cette Ville-là un mois entier, 
que nous voyans fi voifins de l'A- 
fie mineure , nous nous crumes 
obligez de luy donner une de nos 
vifites avant nótre retour. Dans 
toute cette route jay trouvé de- 
quoy fatisfaire amplement ma cu- 
riofité , en ayant rapporté un grand 
nombre d'infcriptions  Grecques 
qui n'avoient point encore và le 
jour. J'en donne icy les plus cu- 
rieufes, & qui fervent à la Geogra- 
phie : mais comme cela n'eft pas du 
goût de tout le monde , je les ay 
renvoyées à la fin du difcours, qui 
en fera moins interrompu. Je les 
produis le plus exactement & Le 


PREFACE. 
plus fidelement qu'il eft poffible : 
toute l'infidelité que j'y puis avoir 
commife , eft de n'avoir pas toû- 
jours pà faire entrer lesinícriptions 
felon la difpofition & le nombre 
des lignes qui font aux originaux , 
ayant été borné par la petiteffe du 
volume , ce qui fe pourra reparer 
dans une edition Latine en plus 
grande forme , fi celle-cy eft bien 
receüe. Une autre infidelité donc 
on pourroit m'accufer ; quoy qu'el- 
le foit avantageufe aux Lecteurs , 
eft que dans ces infcriptions Gre- 
ques je fepare les mots qui doivent 
être feparez , quoy qu'à la verité il 
n'y ait la plus grande partie du 
tems aucune diftin&ion fur les pier- 
res & les marbres d’où je les ay ti- 
rées , foit-par la faute des Scul- 
pteurs , ou par des raifons qui nous 
font inconnués. Ce qui fait une 
telle confufion , & donne tant de 
peine à les dechiffrer, qu'à caufe de 
cela dans le Livre intitulé Æ/#r#0- 
ra Oxonienfia , pour foulager le Le- 
éteur, on les a mifes premieremeng 


PREFACE.. 
felen l'original , & enfuite en peti- 
te lettre avec les mots diftinguez & 
marquez des accens. Aü fonds je 
n'ay pas crû que ce fcrupule fuft de 
fi grande importance , que ccla me 
düt obliger d'en ufer de la forte. 
Pour ce qui eft de toute la relation 
de ce Voyage , je ne crains pas 
qu'on m'accufe d'être menreur s 
comme laplüpart de ceux qui vien- 
nent dé loin, n'y ayant pas dit 
des chofes fort difficiles à croire, 
& la maniere fimple fans politeffe 
dont je les debire,ne les fera jamais 
paller pour des Romans; outre que 
Jay eu pour compagnon de mon 
Voyage , un Gentilhomme d'hon- 
neur Ánglois, qui n'a pas moins de. 
fincerité , & qui feroit connoître 
au public mon peu de foy , fi j'en 
avois manqué , ayant eu d'auff 
boiis:yeux que moy. Je croy qu'il 
&'eft. pas neceffaire. de juftifier icy 
Putilité que l'on peut tirer des In- 
fcriptions»antiques ; puis qu'on la 
trouvera affez établie ,. par la fuite 
de-ces Obfervations ; je prétens 


PREFACE. 

méme qu'elles font d'une neceffité 
indifpenfable à ceux qui fe veulent 
ingerer d'écrire des Antiquitez de 
quelque lieu : car qui peut par 
exemple dire,de qui étoit ce Monu- 
ment antique qui eft fur le Mulée à 
Athenes, s'il ne confulte l'infcri- 
prion qui s'y lit encore;ce que pou- 
voit étre ce Fanari tou Dimofthe- 
nis , fi l'on ne prend la peine de li- 
re ce qui eft gravé fur la frife. Je 
n'aurois point de méme été affuré 
que Salona fut la Ville d'Amphi(- 
fa , Caftri celle de Delphes , Hak- 
hiffas celle de Thyatire, Melaffo 
celle de Mylafa & non pas de Mi- 
let , fans le fecours des marbres an- 
tiques que j'y ay trouvez. Je n'in- 
fifte pas davantage là deffus , parce 
que celuy qui voudroit niet opinià- 
trement une chofe fi evidente , ne 
merite pas qu'on prenne la peine de 
l'en convaincre , & je ne luy vou- 
drois oppofer que les premieres li- 

nes de la Preface de Gruterus, oà 
il dit que les Infcriptions ont été 
de teut tems en fi grande cftime , 


PREFACE. 

qu'on a toüjours crû à jufte titre, 
que celuy qui n'avoit pas de la ve- 
neration pour elles ne meritoit pas 
le nom de Sçavant , & que celuy 
qui les méprifoit meritoit celuy d'i-. 
enorant. Comme je ne penfe pas 
que cét Autheur ait eu par ces pa- 
roles le deffein de s’attirer un Elo- 
ge à lui-même, je ne pretens pas 
auffi tirer vanité des recueils que 
jen ay faits. Je m'y fuis appliqué 
plutôt par caprice & pour mon di- 
vertiffement, que pour devenir fça- 
vant. Bien loin de pretendre à cet- 
te qualité , je me contenterois d'é- 
tre de ces gens-là que Scaliger ap- 
pelle les porte-faix des grans hom- 
mes , en leur fourniffant par leurs 
fatigues de quoy exercer leurs fpe- 
culations,& enrichir leurs connoif- 
fances : auffi n'ay- je ajoûté d'expli- 
cation à mes marbres , qu'autant 
qu'il étoit neceffaire pour en don- 
ner quelque intelligence à ceux qui 
ont un peu de curiofité, mais que le 
travail & la meditation rebutrent, 
lors qu'il fe prefente quelque dif- 
culté dans leur chemin. 


PREFACE. 

Quelqu'un fera furpris de ce que 
je cite à la pag.201. du Tome II. un 
fymbole de S. Iean, à S.Gregoire 
Evéque de Neocefarée,qui n'a vécu 
neanmoins que long -tems aprés 
luy , à fçavoir dans le troifiéme fie- 
dle : mais il faut que les premiers 
Copiftes qui l'ont ajoüté aux Ocu- 
vres de S.Denys Areopagite , ayent 
cru ou que S.Iean ne foit point morr, 
comme quelques-uns des anciens fe 
le font perfuadez , ou que ce Sym- 
bole αἷς été diété à S.Gregoire;lors 
que S.Iean l’Evangelifte luy appa- 
füt : car du refte on ne peut pas en- 
tendre par ces mots de 5. Ieanle 
Theologien & l'Evangelifte;S.Iean 
Chryfoftome , qui ne vivoit qu'au 
quatriéme fiecle. Voicy les ter- 
mes Grecs du titre de ce Symbole. 
Θεολογία τῷ ἀγίς l'edvys T8 Θεολόγε xj 
᾿ἐναγγιλιςᾷ, mpès τὸν ἅγιον T piryóexey one 
σκοπὸν Νεοχωσαρίας τὸν Θαρυματες yy, 


----Ο 


Fautes ἃ corriger. 


Tom. L 
p^ 2. ligne 23. Aux Corde- 


liers, lifez, aux Iacopins. 

Pag.140. lign.16. lifez , Ville avec 
Château. | 

P.143.1.19. lif. s’accommodent, 

P.210. au titre, lif. l'Archipel. 

P.2:1.12. lif. couverts. 

P.240.l.18. lif.de fes fix vingt. 

P.304.1.9. à Smyrne. 

Pag.311.1 26. hfoùil y en a qui fe 
vendent. 

Pag.512.lign.r. dix-huit livres & 
demy. 

P.326.l.15. Ce font ces trois. 

Pag.366.l.10. plufieurs autres oy- 
feaux, Ajoutez , à force de man- 

- ger. 

P.394.1.15. Il en avoit écrit trois 
mille. Lifez , il en avoit acheté 
trente mille. , 


Tom. Il. 


| pe s Lar. lifexcellente & fort frai- 
| che. | 


P.126.1.5. lif.de fi. 
P.179.1.19. appelloient. 


τ ὦ TET 
Tnfcriptions du Tome ‘I. 


Pas.o.lis.s. lifez, de la curiofité. 
P.28.1.14. dum quarit. 
P.108.1.8. lifez, MAPKOTY. 
P.175.1.23. au lieu de Caracalle,lif, 
Gordian. 

_ P.179.1.21. de Laodicée. 
P.197.1.23. medailles, lifez,medail- 
. lons, 
P.199.1.8. lifez , πλανχισυ͵ 


Infériprions du Tome I I. 


D.53.l.1.& 2. CMYPNAN, les deux 
lignes jointes. 
D.34.l.11. lifez, par la. 
—— ].16.au lieu de ç2.lif.32, 
|. P.36.1.22. Ef. Chalcidicus. 
P.58.1.16.lif. KIA IKIA. 


P.45.l.:5. lif A bYAH NOT, 
P.53.112. lif. AYKOY PT OZ. 
P.142.1.20. liL XXV, 

D. 172.l.10. lif. CVIILH. 
P.179.1.4. Iupiter Apemien. 
P.194.1.10. ayant eu le foin. 


Wesen 
EXTRAIT DF PRIFILEGE 
du Roy. 


pe Ar Lettres Patentes de la 
S127 Chancellerie du 28.May 1677 
fellées du grand Sceau en cire jaune, 
& fignées, Par le Roy en fon Con- 
fil; DALENCE : Il eft per- 
mis au fieur IAcoB-Spow de faire 
imprimer un Livre intitulé , ojage 
d'Italie, de Dalmatie , de Grece οὖ: 
du Levant , fait és années 1675. & 
1676. par Iacob Spon Docteur en 
Medecine Ageregé à Lyon , & 
Gcorge Vvheler Gentilhomme An- 
glois ; en tel volume & chara&ere, 
& autant de fois que bon luy fem- 


- blera , pendant le temps de dix an- 
nées entieres & confecutives, à 
compter du jour qu'il fera achevé 
d'imprimer pour la premiere fois: 
avec deffenfes à tout autre de le 
faire imprimer ni diftribuer fans 
{on confentement , ni d'en faire 
des extraits ou abregez fous peine 
de trois mille livres d'amende , & 
confifcation d'Exemplaires contre- 
faits : A condition d'en mettre 
.deux exemplaires dans la Biblio- 
à; theque publique du Roy , une en 
celle du Louvre, & une en celle du 
fieur DAL 1G Rn E Chevalier Chance- 
lier de France ; comme il eft plus 
amplement porté par ledit Privi- 


lege. 


Ledit fieur Spon a cedé fon Pri- 
vilege à fieur Antoine Cellier fils 
Marchand Libraire à Lyon , par le 
Contract entr'eux fait le quator- 
ziéme Avril mil fix cent foixante 
dix-fept , receu par M^ Perrichon 
Notaire Royal audit Lyon. 


b. 
Regiffre [ur le Livre de la Com- 
munauté des Libraires © Impri- 
meurs de Paris, le 4.Oëtob.1677. 
Signé, 
CourrzRor Syndic. 
Achevé d'imprimer pour la premiere fois 


le 15.Novemb.1677. 


Les Exemplaires ent été fourms. 


Se ΝΑ ΜᾺ ΔΑ δ ang A St 
de De l'Imprimerie 58 
ὃς de 3: | 


lAQUESs FAETON 


μὰς 


jam 30857 i yy 3 


i esr xv ui in MS I sius. br 
"ebus i AS τὰς A. #2 yos τὰ die Ps! res iN 
di ds. PME $: TT x* blur Md ses 


em w-— + - : - - . Ν - + v. 
E. : 


Antiqui adsiduws Meruit qui dicier dur. 
Cultor, Sepe Manu Marmora. prisca. terens|} 

Moribus Antiquis S'PONIVS, priscoá pudore, 

Quem. tabula expresfit parvulae, paré liber: 


— ——— —ÓM 


fe ὡς ΤΑΣ ἧ € δε 4 = = 
VOY D'ITALIE, 
DE DALMATIE,DE GRECE 
& du Levant, 


LIVRE PREMIER. 
Voyage de Provence, & d Italie 


327€ V commencement d'Oc- 
MA tobre 1674.  Monfieur 
ENS Vaillant Antiquaire du 
EG) Roy pafla à Lyon, dans 

1777" le deffein d'aller en Italie 

avec des ordres de Monfieur Col- 
bert, pour enrichir le Cabinet de fa 
Majefté, de medailles & d'autres An- 
tiquitez qu'il pourroit recouvrer en 
Íon voyage. Comme j'avois l'hon- 
neur de le connoitre , je luy fis con- 
fidence du deffein que j'avois de fai- 
rc le méme voyage ; & m'ayant té- 


VALEN: 
CE, 


' dans tous les Itineraires 5 ὃς qui vou 
'donneroit peu de fatisfa&ion. 1 


'và de plus remarquable, & que d 


“os au Cabiner du Roy ; & l'on 


% 


2 Voyage de Provence, 


moigné que ma compagnie ne Idy fe-1 


roit pas defagreable , je luy donna 
parole de l'aller joindre à Marfeill 


pour nous éiibarquet enfemble,qael-]- 


ques affaires domeftiques m'obli 
geant de pafferà Creft en Dauphiné 
qui eft hors de la route de Provence 
Pour ne le pas faire attendre, je par- 
tis avant luy de Lyon, & me rendis 
Valence, fans m'arréter ni à Vienne 
ni à Tournon , oü je n'avois rien 
faire. 

Ie vous avertiray d'abord , que j 
n'entreprens pas de faire une deferi 
pron exacte des Villes & des autre 
lieux de ma route ; ce qui fe trouv 


vous diray feulement ce que j'y a 


moins curieux que moy ne fe fon 
‘peut-être pas donné la peine d'écrit 
^fi exactement. Ie vids donc aux Cor 
deliers de ‘Valence le portrait -d't 
"fquelete de Geant trouvé prés de là. 
de l'autre côté du Rhône dans le Vi 
varets. On en a tranfporté quelqué 


e d'Italie. 3 

“montre au Convent de S.Rufs quel- 

ques autres, qui font d'une grandeur 

prodigieufe. Vn Chanoine me fit 
voir une dent deux fois plus épaiffe 
.que le poûce, & il pretendoit qu'elle 
- fuft de Geant: mais j'ofe affurer que 
- €'eft une dent d'Elefant, parce qu'cl- 

le fe leve en écailles. On eft encore 

plus infatué de ces os de Geans à 

Soyons & à Charmes. Ce font deux 
. villages proche de Valence au delà 
' du Rhône , & j'y fus pour voir quel- 
!ques antiquitez dont l'on m'avoit 
; parlé. On m'y montra de ces grands 
os, & dans la campagne des pierres à 
| peu prés comme des pierres de mou- 
- lin troüées au milieu , dont les fem- 
mes de ces Geans, à ce que difent les 
“bonnes gens de ce pays-là , fe fer- 
"voient pour mettre au bout de leur 
nfufeau. Proche de Charmes je fus à 
Ja cime d’une petite montagne ; pour 
y voir un tombeau antique;dont per- 
#fonne, à ce qu'on me dit alors,n’avoit 
encore pü lire l'infcription. Le peu- 
…ple entêté d'une devotion indifcrete 
να fouvent vifiter ce fepulcre,preten- 
* dant qu'il eft de quelque Saint incon- 

À 2 


- 


4 7γαρε de Proven ; —— 
nu. Ie ne pus neanmoins y obferv er 
aucune marque du Chriftianifme , 
comme étoient les croix , les figures | 
de la Bible, ou l’Alpha & l'Omega. 
De dix vers qui y font gravez je n’en 
pus lire que deux entiers , qui me 
femblent plutôt être des produétions 
d'un fiecle Payen ; & le temps qui 
confume toutes chofes, a effacé de la. 
pierre le nom de celuy qui y étoit 
enfeveli. 

Eftant de retour à Valence on crutf 
m'obliger beaucoup de me faire voit 
un tombeau qu'on pretend étre de 
l'Imperatrice Iuftine , parce qu'on y 
lit deffus, D. 1vsriN A M. ce que 
Golniz dans fon Itineraire explique 
tres-mal Diva Iuflina Mater , au lieu 
de Diis Manibus Inflina : cax la pre- 
miete & la derniere lettre vont en 
femble , étant d'un charactere plu 
eros que le mot du milieu. C'eft-à- 
dire , que l'on recommandoit au 
Dieux Manes ou Infernaux cette Iu- 
ftine, pour qui étoit fait ce tombeau. 
Si vous me demandez pourquoy on 
n'y avoit mis que fon nom , fans au- 
cun titre, ni aucun cloge; je vous ré 


& d'Italie. $ 
| pondray qué ce n'étoit qu'une petite 
fille, de qui il n'y avoit rien à dire, & 
dont les parens n'étoient pas confi- 
“derables, Ce que je n'avance pas fans 
raifon , puifque le tombeau eft petit, 
δὲ n'a aucun ornement,bien loin d’é- 
tre d'une femme d'Empereur , qu'on 
in’auroit pas enfevelie fi pauvrement, 
quand même le tombeau auroit été 
raffez grand. Joint que Iuftine étant 
une Imperatrice Chrétienne,les Dieux 
Manes ne convenoient pas à fon tom- 
beau. 
.. On me fit voir à côté de la porte 
S.Felix , une tour ronde qui avance 
"beaucoup plus en haut qu'en bas , de 
Worte qu'étant au pied, vous étes à 
couvert de la muraille.Quelques-uns 
«royent que c'eft un chef-d'œuvre: 
d'Architecture , comme la tour pan- 
chante de Pife & celle de Bologne, 
"avec lefquelles elle n'eft pas à com- 
arer , ni pour la grandeur > ni pour 
la fabrique.Mais le peuple;à qui d'or- 
dinaire tout ce qui eft difficile à pe- 
netrer , paffe pour miracle, dit que 
cette tour s'eft courbée de la forte, 
lorfque S,Felix & deux autres Mar 
r A 3 


€REST 


6 Voyage de Provence, 

tyrs entrerent dans la Ville, comme 
pour fe profterner devant eux. Va- 
lence au refte n’a pas pris fon nom de 
l'Empereur Valentinian;comme quel- 
ques-uns ont avancé ; car Ptolomée 
qui vivoit du temps de Trajan & 


d'Hadrian, en fait déja mention foûs . 
le nom de Valentia Colenia ; & jay: 
fait imprimer une belle infcription: 


trouvée depuis peu à Die , ὃς gravé& 


du temps de l'Empereur Philippe, où: 


elle eft ainfi nommée. 


CREST n'eft qu'une petite Ville: 


à quatre lieucs de Valence, & n'étoit 


dans fes commencemens qu'un Chá-. E 
teau fur la Drome des: Comtes: de 
Diois & Valentinois. Il: eft: fouvent. 


parlé de la. Tour: de-Creft: dans.les- 
demélez qu'ils avoient avec les. Dau-- 
fins de Viennois; Ly trouvay aux 
murs dela: Cathedrale: une infcri-. 
ption de l'année 1188: oùil.eft faite 


mention d'un de ces: anciens Comtes: # 
appellé Aymar de Poitiers, Ademarus: ἢ 


de Piélawss,& une autre un peu moins. 
ancienne d'un certain Pierre Evéque: 
de Die. Dans laipremiere de cesin-- 
feriptions. cette Ville eft appellée 


D [ 


e? d'Italie. 7 
1€rifa , & dans la derniere C vefium : 
“mais dans les reconnoiffances de 
(τῇ manufcrites , clle. eft nommée 
Criffa Arnaudi , de quelque Seigneur 
qui portoicle nom d'Arnaud. Auffi 
eft-elle fituée à l’extremité d'une cré- 
τε de montagne, qui ne fait qu'une 
chaine depuis Grenoble. jufques à 
| Creft. Ie m'étonnay de voir fur la 
bporte de la Ville , les armes.du Prin- 
“ce de Monaco ; mais ma furprife cef- 
Ma,quand on m'eut dit que le Roy luy. 
"avoit donné les revenus de Creft,Va- 
Mence, Chabueil , Grane & Monteli- 
mar. Ce fut par cette derniere Ville 
E. je repris la route de Marfeille. 

MONTELIMAR eft appellé A4oz- 
tilium. dans une infcripuon de l'an 
1198. laquelle π᾿ εἴ autre chofe qu'u- 

me exemption de droits & impofts 
"accordée par deux Seigneurs , qui en 
'avoient alors la Souveraineté, ἃς qui 
"s'appelloient Gerald Aymar & Lam- 
bert. Le premier. étoit, Vicomte de 
Maxfeille . ἃς l'on trouve à Aix en, 
Provence une charte écrite en l'an 
1213. contenant promefle de maria- 
'ge entre Edcliarde fa fille;& Bertrand. 
; ΑΝ 


— 


᾿ 
i 


MONTE. 
LIMAR, 


On AN- 
ΘΕ. 


8  Voyagc de Provence, 

de Baux fieur de Meirargues. Mon- 
telimar a. une fortereffe prefque ne- 
oligée , & qui étoit peut-être alors 


“une des plus confiderables places de 


ces petits Seigneurs. De Montelimar 
je vins à Orange. 

Cette Ville a des antiquitez bien 
remarquables , entre lefquelles il y a 
un Arc de triomphe , qui merite d'é- 
tre confideré. Les Trophées qu'on y 
void gravez feront des monumens 
eternels de la vi&oire de Marius & 
de Catulus fur les Cimbres , dont il 
en demeura deux cent mille fur la — 
place, ὃς quatre-vingt mille prifon- - 
niers , felon qu'Eutrope en convient. ἡ. 
Il n'y a point à Rome d'arc de triom- 
phe de cette grandeur, ni méme fi fu- 
perbe ; car on void dans celui-cy un 
nombre de Roys captifs , & des ar- 
mes de differentes Nations entaffées 
les unes fur les autres. Peut-être qu'à 
Rome on craignoit d'en faire de fi 
hauts, pour ne pas donner lieu au, . 
murmure du peuple & à l'envie des 
Grans. Quoy qu'il en foit , ceux de 
Tite , de Trajan & de Gallien ne ré- 
pondent pas aux viétoires du pre- 


ERR TA 


4 
j 
i 


> = 


εὖ" 4 Italie. 9 
mier , aux conquêtes du fecond , & ἃ 
l'orgueil du dernier. Les noms de ces 


. deux Confuls paroiffent encore à de- 


my dans une pierre de cet Arc. On y 
remarque d'un cóté Rome triomfan- 
te , ayant la téte entourée de rayons, 
pour fignifier par là que Rome com- 


_ mandoit par tout où le Soleil éclaire. 


Dans un autre coin de l’arcon void 
la figure de Marthe la Pythonefle te- 
nant le doigt à l'oreille, Marius la 
menoit avec grand honneur dans 


- fes armées , pour luy predire le fuc- 
. cés de fes entreprifes. Il y a δῇ! à 


Oránge un Cirque fort grand, & un 
pavé à la Mofaique dans une cham- 
bre baffle d'un particulier , où eft re- 
prefenté fort au naturel un chat qui 
tient un rat entre fes dens ; ce qui 
fans doute avoit fon myftere en ce 
temps-là. 

Aprés avoir quitté Orange, je paf- 
fay la petite riviere de Sorgue , qui 
n'eít confiderable que par le fejour 
qu'a fait dans ion voifinage le fa- 
meux Petrarque. Il y compofa ces 
beaux Vers qui ont fait l'admiration 


τάς fon fiecle ; & l’on dit en effet 


À 3j 


AIX. 


yo Voyage de Provence, 

qu'elle a vers fa fource des endroits 
merveilleux pour les enthouziafmes 
des Poëtes. Comme je ne pretens 
point à cette qualité; je ne m'y arré- 
tay pas , & pourfuivant ma route , je 
vins par Cavaillon, Tort, Lambefc & 
S.Canal à Aix ville capitale de Pro- 
vence. 

A 1X étoit appellée anciennement 
Aqua Sextia , parce qu'il y avoit des 
eaux chaudes , que Strabon aflure 
avoir été prefque changées en froides 
de fon temps. Elles font pourtant en- 
core tiedes , quoy qu'on les neglige, 


& qu’elles ne fervent qu'aux Teintu= f 


tiers , dans le quartier defquels on 
me les fit remarquer. Vn Seigneur 
Romain nommé Sextius y avoit 
mené une Colonie , & c'eft ce qui 
luy a donné fon fecend nom. Cet- 
te Ville eft une des mieux bâties de 
France , & les maifons du Cours 
font autant de Palais , dont l'Archi- 
te&ure eft beaucoup mieux entendué 
que celle du Cours de Marfeille, qui 
toutefois donne plus dans la vüc que 
celui-cy. 

Le Cabinet de Monfeux Lauthier 


€ d'Italie. II 
fait un des ornemens de la Ville. On 
y, void de petits ouvrages , excellens. 
& admirables des anciens Graveurs. 
fur des pierres precieufes; entr’autres 
une Bacchanale gravée dans un bel 
Eliotrope en ovale de la grandeur 
d'une piece de quinze fols. C'eft un 
joyau qui ne fe peut pas payer. Vne 
vandange gravée dans, une excellen- 
te Corniole,qui n’eft pas plus grande 
que l'ongle , quoy qu'il y ait quinze 
perfonnages . & trente-cinq figures 
d'inftrumens , vafes & autres chofes 
differentes. Vne téte de Marcellus 
fur une Cornaline , & une de Solon 
- fur une Amethyfte gravée par Diof- 
coride le meilleur Ouvrier qu'Augu- 
fte avoit à fes gages. En un mot c’eft 
un recueil furprenant d'Agathes,d'O- 
nyces,de Cornioles,de ΤΣ Sar- 
doines & de Jacinthes gravées en 
creux & en relief par les plus habiles 
maîtres de l'Antiquité. Il y a auff 
-. des coquillages , des vafes, des me- 
dailles , des ftatués » ὃς pluficurs au- 
tres galanteries qui réjouiffent la γᾶς 
& l'efprit. 

Monfieur Borelly 4 des sableaux, 


12  — Voyage de Provence, 

des chofes naturelles , des medailles 
d'or & des infcriptions antiques. τ 
conferve le fquelete d'un Cyclope. 
Ce n'étoit pas un de ceux qui man- 
gerent autrefois les compagnons 
d'Vlyffe, à qui il eut l'audace de cre- 
ver l’œil avec une longue poutreal- 
lumée , comme lui-mème le recite 
dans Homere. Celui-cy n'étoit qu'un 
enfant , né avec un œil feulement au | 
milieu du front, comme l'Antiquité a 
accoütumé de reprefenter ces Mon- 
' ftres. 

Toutes ces curiofitez ne m'aue 
roient pas neantmoins tant retenu ἃς 
Aix,fans les manufcripts de Monfieur 
de Peiresk , que j'avois grande envie 
de feuilleter. Cét homme infatiga- 
ble en avoit laiffé prés de cent Volu- 
mes, ou de fa main, ou de celle de fes 
Secretaires. Vne partie eft entre les 
mains de fon heritier. Monfieur Si- 
bon en a dix chez luy. C’eft un tres- 
galant homme , qui a auffi un Cabi- 
net rempli d'une infinité de chofes 
rares, comme gravures, medailles, & 
autres pieces antiques. Vn de ces 
manufcrits traite des poids ὃς des me- 


[ 


Ἢ 


4 


€ 


| e d'iralie. " 
fures des Anciens. Vn autre n'eft que 
de Genealogies. ju y en a deux qui ne 
traitent que des Langues Orientales, 


|" & deux autres que d'Infcriptions an- 


tiques,ce qui étoit demon σοῦτ & qui 
me convenoit mieux que le refte. 
Monfieur Sibon me permit d'en tirer 
ce que je voudrois. ly en trouvay 
plus de trois cent qui n'ont pas été 


| imprimées , & entr'autres une tres- 


curieufe , dont je me fouviens d'a- 
voir và depuis quelques fragmens en 


“Italie. Elle me femble fi particuliere, 


que je crois vous en devoir dire quel- 
que chofe, C'eft une Infcription;qui 
contient beaucoup de noms de che- 
vaux,& le nombre des vi&oires qu'ils 
avoient remportées. Vous verrez fi 
ces noms avoient du rapport à ceux 
que nos Ecuyers donnent à prefent à 
leurs chevaux. Voicy les principaux 
qui fe peuvent traduire en Frangois. 
Le Pegafe, le Coureur, le Paffereau, 
le Loup , le Gay, le Mouchete , l'Ai- 
cle, le Meurtrier, l'Emeraude, le De- 
licar,le Grave, le Satyre, le Leopard, 
le Raviffeur,le Dedale,l’Archer,FAr- 
balète, le Dard, le Ramier, l'Eercvit- 


14 Voyage de Provence, 

fe, l’Araignée, l'Exa& , le Poignard,, 
le Romain , l'Aiax,le Franc, l'Inno-. 
cent, le Vainqueur, le Barbu, le Ru- 
fé, l'Argus ὃς l’Arion. Pour ce qui. 
eft de leur pays , la plüpart étoient, 
Africains , ce qui nous apprend que. 
ce n'eft pas depuis peu qu'on fait 
eftime des Barbes. Les autres étoient. 
d'Efpagne, de Mauritanie , de Cyre- | 
ne & des Gaules. Mais à propos de 
chevaux , je ne püs point apprendre, 
qu'étoit devenu l'Epitaphe de Bory+ 
fthene Coureur de l'Empereur Ha+ : 
drian. Elle avoit été trouvée à Nice, 
& portée à Aix , chez M.de Pciresx. 
Comme les Epitaphes des bétes font 
fort extraordinaires , elles doivent 
auffi avoir quelque cara&tere de poli- 
teffe, qui les faffe confiderer. On en 
lit une à Genes au Palais du Prince 
Doria , faiteà un de fes Chiens , & 
qui eft d'affez bonne maniere : maig 
je n'ay rien và de fi galant que celle 
d'un Roffignol , gravée fur une Vrne 
antique de marbre qui fe void à Ro- 
me àu Palais du Cardinal de Ma- 
mis. 


Lefcjour que je fis à Aix me fug 


d'Italie. I$ 
|. plus favorable que je n'aurois penfé, 
- ayant été caufe que je n'arrivay pas 
à tems à Marfeille;pour m'embarquer 
avec M. Vaillant , dans le malheur 
duquel j'aurois été envelopé : puis 
qu'étant parti dans une Barque Li- 
vournoife , il fut pris par les Corfai- 
res avec une vintaine de Frangois,qui 
alloient à Rome voir l'ouverture du 
Jubilé, Bien que je m'engage dans 
une affez longue digreflion , je croy 
qu'elle ne vous déplaira pas, & que 
vous ferez bien aife d'apprendre une 
avanture que fes circonftances ren- 
dent finguliere, & que lui-méme m'a 
_ apprife depuis fon retour. 
Comme le Corfaire éroit d'Alger; 
' quia paix avec nous, nos François fe 
flatterent qu'on les mettroit à terre, 
. comme il s'étoit pratiqué en d'autres 
rencontres : mais le Reis ou Capitai- 
ne appellé Mezomorto,s'en excufa fur 
_ce qu'il étoit trop loin de France & 
d'Italie , & qu'il n'aveit pas plus de 
provifion qu'il luy en falloit pour fon 
retour à Alger , promettant de les 
mettre entre les mains de leur Con- 


ful à fon arrivée, On fe contenta de 


16 Voyage de Provence, 

leur faire configner l'argent qu'ils 
avolent , & de les fouiller en leur di- 
fant: Bona pace , Francefi , (ans leur 
parler d'efclavage. Mais dés qu'ils 
furent entrez à Alger , tout changea 
de face. Le Day, c'eft-à-dire , le 
Roy du Pays , prit fon huitiéme , qui 
eft fon droit fur les Efclaves de bon- 
ne prife , pretendant en faire autant | 
fur les Frangois,qui étoient reclamez - 
par le Chevalier d'Arvieux Conful 
de France. Le Bay fe fondoit fur ce 
qu'ayant écrit trois fois à fa Majefté | 
Tres-Chrétienne pour avoir huit Al-. | 
geriens qui étoient aux Galeres de | 
France , on ne les luy avoit pas ren- 
voyez , & ainfiil pretendoit vendre. - 
les François , pour racheter les huit | 
Turcs de cét argent. Le Conful s’y ! 
oppofa fortement , proteftant qu'il fe M 
vendroit plutót lui-même pour les : 
racheter, que de fouffrir qu'ils fuffent 
vendus,& que c'étoit rompre la paix. 
Le Day infiftant toûjours là deflus, M 
M. le Vacher Pere de la Miffion luy - 
propofa de les mettre en depót jnf 
qu'à ce qu'on eût réponfe de France: 
ce qu'il accepta à condition de ne pas 


e ditalie. 17 
donner le pain aux François , qui fu- 
rent conduits au Bain de la Douane, 
: où le Conful leur donna un écu par 
jour jaíqu'au mois de Février , qu'on : 
receut les Lettres du Roy qui pro- 
| mettoit de renvoyer les Turcs, pour- 
| veu qu'on renvoyát les François. Le 
| Day ne voulut pas commencer, & 
| tout ce qu'on put faire par le moyen 
| d'un renegat Parifien , à qui on‘don- 
pa cinquante piaftres fous main , fut 
d'obtenir la liberté de M. Vaillant, 
| qui fe devoit charger des Lettres du 
"Day. Dés le lendemain il Le fit venir 
devant luy , & luy dit : Sois le bien 
venu. Ayant apris que tu es au fervi- 
ce du Roy de France, je veux te ren- 
-voyer , & je voudrois le faire de mé 
me des autres : mais je ne fuis pas icy 
| fiabfolu,que ton Maitre eft chez luy. 
| Tu l'affureras que je defire d'entrete- 
nir une bonne correfpondance avec 
| luy & de continuer la paix. Ie te fe- 
ray donner les noms des Algeriens 
| qui font en France,afin que tu procu- 
res leur liberté, comme je t'ay accor- 
dé la tienne. 
Trois femaines aprés une Barque 


| 
| 


18 Voyage de Provence, 

de Marfcille étant fur fon depart , il: 
fut rappellé devant le Day avec le 
Capitaine , qui par ordre du Day luy 
rendit vingt medailles d'or antiques, 
& deux cent medailles d'argent,qu'on 
avoit trouvées dans fa Valife.Il s'em- 
barqua donc le lendemain , quatre: 


mois & demy aprés fa prife , laiffant 


les autres, François dans l’efperance 
d'un femblable retour, La Barque: 
ayant fait vole, avança pendant deux 
jours avec un vent favorable : mais À 


la fin un matelot qui étoit au haut du: | 


maft,cria qu'il voyoitun Vaiffeau qui. 
avoit le vent fur eux. Le Pilote mon-. 


tant aufli-tôt lui-même , découvrit. | 


que c'étoit un Corfaire de Salé avec 
une Barque de prife : ce qui le fit re- 
foudre à mettre la fienne en. poupe, 
pour fuir en Efpagne, Comme M. 


Vaillant fçavoit la mifere des Efcla- [ 


ves , & particulierement de ceux qui 
l'étoient à Salé., il forma un deffein 
tout-à-fait extraordinaire, qui fut. 
d'avaler les vingt medailles d'or qu'il 
avoit fur luy , pour fe faire quelque. 
reffource dans les neccflitez , qu'il 
prevoyoit luy devoir arriver ; & dés 


D D MARRE 


! e d'Italie. I9 
«que le Corfaire fut proche prefque à 
la portée du Canon , il ne manqua 
pas de l'executer. Les autres paífa- 
gers étoient de méme dans la dernie- 
re confternation par les. affreufes 
idées de l'eíclavage dont ils étoient 
[menacez, lors qu'une bourrafque s'é- 
tant tout d'un coup levée; elle écarta 
le bátiment de Salé. Vous pouvez 
juger quelle joye ils en eurent: nean- 
moins le vent étant toûjours violent; 
ils n'étoient pas à la fin de leurs crain- 
tes;le Pilete ne vouvant refifter à l’o- 
rage qui dura deux jours, & les jetta 
ue les côtes de Catalogne;préts 
.d'échoüer fur les fables, où ja Efpa- 
gnols les auroient pris, fi une groffe 
vague ne les eût remis en mer, & s'ils 
.m'euffent enfuite cotoyé tout ce pays- 
;Jààla faveur d'une banniere G:noife 
qu'ils arborerent. Mais comme les 
malheurs s'entrefuivent. ordinaire- 
ment, ils vinrent encore s'embarafferc 
dans les bancs, qui font vers l'em- 
bouchure du Rhône, à une liené du 
Village de Saintes, oü apres avoir 
perdu leurs anchres , M.Vaillant re- 
folut d'aborder avec l'cíquif, luy cin- 


20 Voyage de Provence. 

cinquiéme , le rivage Le plus proche : 
ce qui leur reüffit heureufemét,quan- 
tité de monde étant fur le Port , qui 
leur montrerent J'endroit commode 
pour venir à terre , & les Confuls du 
lieu luy modererent fa quarantaine à 
24.heures , en confideration des de- 
pêches qu'il avoit pour fa Majefté. —— 

Cependant comme il avoit avalé 

tant de medailles d'or, qui luy pe- 
foient fort à l'eftomac , il demanda | 
avis à deux Medecins qu'il rencontra 
fur le chemin d'Avignon. L'accident | 
leur parut fingulier, & ils ne demeu- 
rerent pas d'accord du remede , l'un 
propofant des purgatifs,& l'autre des 
vomitifs ; & dans cette incertitude il 
ne fitrien , ὃς pourfuivit fon chemin 
juíqu'à Lyon , où il en fit quelques- 
unes par deffous , de méme qu'aupa- 
ravant à S.Vailier , apres avoir man- 
σέ des épinars. Il fut d'abord rendre 
vifite à M.Dufour fon amy, & fe pre- 
fentant devant luy avec fa barbe & 
fon habit d'efclave , il fut obligé de 
dire fon nom. Apres s'étre embraf- 
fez, il luy fit le recit de fes avantures, 
& n'oublia pas la particularité. des 


d. e d'Italie. 21 
medailles. M. Dufour , qui eft uni- 
verfellement curieux des belles cho- 
fes , par le commerce qu'il entretient 
avec les curieux en Europe & en Afie, 
a fait auffi un beau recueil de medail- : 
les. Il demanda à M. Vaillantla qua- 
lité des fiennes , & fi elles étoient du 
haut Empire, qui font les plus pefan- 
tes. Celui-cy luy en fit voir l'échan- 
tillon , & luy affura qu'elles étoient 
toutes des premiers Empereurs. Mais 
eft-il poffible, luy dit M. Dufour, 
qu'un homme d'efprit & un habile 


- Mede£in comme vous, ait ofé charger 


o 
fon eftomac d'un poids fi confidera- 


ble de cinq ou fix onces,& d’une ma- 
tiere fi folide. Vous parlez luy repli- 

ua-t-il , comme un homme qui eft à 
bn aife dans fon Cabinet , & qui 
m'envifage que de cent lieués loin les 
malheurs de l'eíclavage. Si vous 
aviez été en ma place, vous auriez 
peut-être avalé , non feulement les 
medailles , mais la Barque méme s'il 
avoit été poffible , pour adoucir les 
amertumes dela captivité. M.Dufour 
qui avoit acheté en méme tems cinq 
medailles que fon amy luy avoit 


22 Voyage de Provence, 
montrécs fit auffi marché d'un Othos 
d'or,& de quelques autres qu'il avoit 

encore dans le corps ; negoce dont il 
ne s'éftoit peut-être jamais parlé. Il 
s'y accorda pour la rareté du fait ,.& 
ayant pris congé de luy ,il fe refolut: 
de partir le lendemain par le Coche :# 
mais par bon-heur il acheva de les 
rendre avant que de s'embarquer , & | 
les remit à Vader. 

Ic reprens mh relation que j'ay in- 
terrompué , & je vous diray qu'étant | 
arrivé à Marfcille, je voulus m'appli- | 
quer à la recherche des curiofitez. | 
l'y trouvay quelques infcriptions Ro- | 

maines,mais Je n'y remarquay aucun - 
edifice de grande antiquité,quoy que « 
la Ville foit un ouvrage des anciens | 
Phoceens. Elle cft affife dans un ter- | 
Foir pietreux , ayant au bas un Port - 
'creufé dans fes roches , en forme 
d'amphitheatre; & tourné versle Mi- # 
dy : car elle eft preíque de méme au- 
jourd'huy,que Strabon l'a ancienne- | 
+ ment décrite , & a l'avantage de s'é- 
tre mieux confervée qu'aucune autre 
Ville. Les deux Citadelles ὃς l'Arfe- 
nal font en bon état , ὃς ce font des 


À 


au amy 


e d'Italie. 25 
chofes dignes de la curiofité des 
Etrangers ; mais comme je ne‘ine pi- 
que pas de m'y entendre , je ne vous 
en marqueray aucune particularité, 
J'aime mieux vous entretenir d'une 
téte prodigieufement groffe que l'on 
conferve au Convent de l'Obíervan- 

-ce. C'étoit la téte d'un nommé Bor- 
duni fils d'un Notaire de Marfeille, 
Il mourat il y a envigon foixante ans, 
âgé de cinquante. E Religieux de 
ce Convent qui l'ont và, m'ont aflu- 

‘ré qu'il n'avoit pas plus de quatre 

pieds de haut , & neantmoins fa téte 
en a trois de tour par les cótez , & 
moins d'un pied de hauteur. Les os à 
force de s'élargir étoient devenus fort 
minces, & entrouverts de lalargeur 
d'un écu, à l'endroit où la future fa- 
gittale fe rencontre avec la coronale, 
qu'on appelle auffi la Fontanclle ; & 
au derriere de la téte à l’occipirale, 
“Bien qu'il εὖτ beaucoup de cervelle, 
il n'en avoit pas plus d'efprit pour 

‘cela, ὃς c'étoit un Proverbe qui cou- 

1 oit dans Marfeille , T4 n'as pas plus 

«de fers que Borduni. Quand il devint 

- &géjil ne pouvoit plus foütenir (a tete 


24. Voyage de Provence, 
fans l'appuyer fur un couffin. Il avoit | 
été ehterré à l'Obfervance,& comme. 
on creufoit dans leur cimetiere il y a 

quelques années, on y trouva ce cra- 
ne, qu'on a depuis confervé par rare. 
té. l'ay vû depuis à Negrepont un. 
garcon de 15. à τό. ans qui eft encore 
en vie, qui a la tête à peu prés fem 

blable , & entierement difforme ; car i 
le front luy avance de trois travers | 
de doigt au deffus du vifage , comme 

s’il avoit une groffe courge applatie | 
par deffus la téte,. Prés de l'Obfer- 

vance j'allay voir la Sucrerie, que la. 

Compagnie des Indes de Hollande | 
. avoit établie , & qu'elle a depuis 
vendué à un Marfeillois. On fait | 
fondre dans de grandes chaudieres la 
Maícoüade , qui eft le Sucre comme 
il fort des cannes , tout noirátre & i 
plein d'ordures , & quand elle boût 
trop , on-y jette du beurre ou de la # 


Σ 
eraiffe, pour l'empécher de fe répan- | 


T 


ὡαΊὰ TT 


she E 


dre au dehors.Eníuite on la met däns | 
de grandes formes de terre , & puis 
dans de plus petites ; qui donnentila 
figure à nos pains de Sucre. On met 
ces formes la pointe en bas, & par 
deflus 


e d'Italie. 1$ 
deffus le fucre une couche d'argile 
que l'on arrofe d'eau chaude,laqucl- 
le de méme qu'une leflive emporte 
ce qui εἰ d'impur, & s'écoule par 
une petite ouverture au dcífous de la 
forme. Il fe fait aufli à Marfeille 
grande quantité de Savon. Il eft 
compofé d'huile, de lcffive de chaux 
& de la foude qu'on apporte d'Efpa- 
gne, qui n’eft autre chofe que le {εἰ 
d'une herbe marine appellée Kz/. 
- Ce Compofé que l'on cuit auffi dans 
de grandes chaudieres , ne boüt pas 
fenfiblement , mais il ne laiffe pas de 
jetter de temps en temps de gros 
bouillons de 8. ou 10.pieds de haut, 
ἃς il eft dangereux d'en approcher, 
parce qu'il brüle tout ce qu'il touche 
de combuftible. Il me fcmble que 
les Etrangers ne devroient pas auffi 
neglieer de voir les boutiques des 
Coralliftes , Marf.ille étant la feule 
Ville de France où l'on fçache bien 
travailler le Corail. Fy en ay trouvé 
des efpeces qui ne font pas ordinai- 
res, comme du blanc, c’eft-à-dire,de 
| celuy qui eft folide ; car pour celuy 
qui cft creux & troue,ce n'eft pas un 


26 Voyage de Provence, 

vray corail.l'en achetay une piece qui 
étoit moitié rouge & moitié blanc; 
pour du noir,les Maîtres m'affurerent 
tous , qu'il ne s'en trouvoit point de 
veritable,mais feulement des plantes 
corallifées, qui ne peuvent pas fouf- 
frirla meule pour être mifes en œu- 
vre. Monfieur Magis me fit voir 
d'autres fortes de curiofitez, des Mu- 
mies & des Idoles d'Egypte,avec des 
caracteres dont je laitle l'explication 
au R. P. Kircher , qui a depuis peu 
mis au jour dans un grand volume, 
ceux qui fe trouverent dans la caifle 
& dans les bandes d'une belle Mu- 
mie que Monfieur Dufour avoit re- 
ceuc d'Egypte, & qui a merité d'etre 
mife au Cabinet du Roy. 

En attendant que le temps fe ren- 
dit beau pour faire voile, j'allay voir 
ce qu'il y a de plus remarquable au- 
tour de Marfeille. Sur le chemin 
 d'Arles on void la petite ville de Sa- 

lon » qui n'eft confiderable que pour 
avoir été le lieu de la naiffance de 
Noftradamus. ll eft enterré aux Cor- 
deliers, moitié dans l'Eelife, & moi- 
tie dehors ; peut-être parce qu'on ne 


e d'Italie. 27 


fçavoit pas s’il étoit Sorcier ou Pro- 
phete. Ie traverfay enfuite la Crau; 
qui eft une grande campagne de cinq 
ou fix lieués de largeur, toute pleine 
de pierres,entre ΠΡ ΡΗΝΑΙ il croit un 
peu d'herbe excellente pour le pátu- 
rage, Le vent y foufloit alors terri- 
blement,mais il n'étoit pas affez fort 
pour faire rouler les pierres, comme 
Strabon affure qu'il arrivoit quelque- 
fois. Les Anciens fe font rompus la 
téte pour donner la raifon de cette 
prodigieufe quantité depierres. Ari- 
ftote croyoit qu'elles y avoient été 
pouffées par ces fortes de tremble- 
mens de terre, qui en jettent quel- 
quefois un grand nombre , qui tom- 
bent enfuite comme une pluye dans 
les plaines. Poffidonius s'imaginoit 
que cette campagne avoit été au« 
trefois un Lac qui s'étoit deffeché : 
mais Æfchyle , à qui il étoit permis 
de mentir auffi bien qu'aux autres 
Poétes , raconte qu'Hercule combat- 
tant contre les Liguriens , Iupiter 
Íon pere craignit pour luy dans l'ex- 
tremité où il le voyoit réduit , & fit 
tomber une fi grande Pu de pier- 
2 


ARLES. 


28 Voyage de Provence, 
res, qu'il en accabla tous fes en. 
nemis. 

ARLES eft plein de ruines ancien- 
nes , entre lefquelles on void un re- 
fte d'amphiteatre affez beau , que les 
maifons bâties dedans cachent à de- 
my. Vne Diane de marbre qu'on 
conferve dans la Maifon de Ville, fait 
voir que lesMarfeillois avoient établi 


_ le culte dela Diane d'Ephefe en ces 


quartiers-là,comme l'affure Strabon. 
Elle n'a pas de bras mais elle ne laif- 
fe pas d’être belle;car il n'cft pas im- 
poffible qu'il y ait de belles mancho- 
tes auffi bien que de belles aveugles 
& de belles boiteufes ; & fans doute 
c’eftun ouvrage de quelque excellent 


Sculpteur de l'Antiquité. Plus bas 


qu'Atles il y avoit dans une Ifle que. 


font les embouchüres du Rhône, un 
Temple confacré à cette Deeffe, où 
apparemment cette ftatue étoit pla- 


^ 


cée,; Autour des Minimes qui font. 


hors de la Ville, on void une quanti- 
té furprenáte de tombeaux antiques. 
Ceux des Chrétiens ont des Croix, 
où des hiítoires de la Bible gravées 
au dehors, & ceux des Payens ont 


& d'Italie. 29 
pour la plus grande partie des infcri- 
prions que l'injure du temps à laquel- 
le ils font expofez;a prefque enticre- 
ment cffacécs. Le Chœur de l'Eelife 
eft fermé d'une baluftrade compofée 
de fculptures de la Bible,qu’on a ra- 
maífées des pieces de ces monumens 
du Chriftianifme. On dit que les 
Payens appelloient.cette campagne 
les champs Elvíées , & qu'ils fe 
croyoient bicn-heureux d'y pouvoir 
étre enfevelis. On ajoüte méme que 
ceux qui habitoient le long du Rhó- 
ne trois ou quatre journées au deffus 
d'Arles,envoyoient quelquefois leurs 
morts attachez fur un aix à la mercy 
de cette riviere avec l'argent necef- 
faire pour leur fepulture, .& qu'ils ne 
manquoient pas de s'arréter à Arles - 
. où l'on avoit foin de les enterrer. 
Dans les Catacombes qui font fous 
l'Eglifej; il y a les Epitaphes de Saint 
Trophime, de S.Hilaire , & de quel- 
ques autres Evéques d’Arles. Les 
Vers en font excellens , & paroiffent 
être des produétions du cinquiéme 
fiecle,qui étoit aflez fecond en beaux 
efprits, On admire fur tout au milieu 

B 3 


LA Ste 
BAVMEB. 


go Voyage de Provence, 

de la voute une de ces Tombes , qui 
eft tot jours moitie pleine d'eau;quoy 
qu'il n'y en ait point dans les autres 
qui font deffus & deffous. 

D'Arles je me rendis à /a Suinre 
Baume m'atrétant au pied de la mon- 
tagne à un lieu appellé Gargwiez, 
qui n'a qu'une petite Eglife & un 
tres-méchant logis. Ce lieu-là etoit 
pourtant connu dans l'antiquité foûs 
un nom femblable ; car dans une in- 
Íciiption qui y fut trouvée , & qu'on 
a tranfportée au village de Gemenos 
où je l'allay voir, il eft appellé Locas 
Gargarius. Τὶ faut monter de là plus 


de deux heures avant que d'étreàla M 


Sainte Baume , qui eft remarquable 
par fon defert & par fa fituation dans 
une roche efcarpée , où l'on a prati- 
qué un petit chemin. La grore eft 
fort humide , à caufe de l'eau qui en 


degoute par tout, excepté à l'endroit 


où l'on croit que fe tenoir la Made- 
laine.Il y fait prefque toûjours froid, 
le vent de Nord y fouflant (ouvent 
d'une étrange force, & s'il n'y avoit 
du bois en abondance, on y pafferoit 
bien mal le cemps. Les Religieux qui 


e d'Italie. 31 
y fervent font du Convent de S.Ma- 
ximin , où l'on garde les reliques de 
cette Sainte Penitente, Le lendemain 
je grimpay à cheval jufques au Ciel, 
du moins juiqu’au deffus des nu£s; 
car la cime de cette montagne, qu'on 
appelle le Saint Pilon , eft fi élevée, 
que les nues paroiffent fouvent au 
deffous. M’étant tiré en trois ou qua- 
tre heures de marche de ces deferts 
affreux, je vins me rendre au chemin 
de Maríeille à Toulon , d'où je fus 


bien-tôt à Olioure qui me divertit 


plus agreablement la νῦξ par ces 
grans Orangers , íoüs lefquels un 
homme à cheval pourroit librement 
pañler. 

Trois heures apres j'arrivay à Tou- 
lo, où je vids d'abord tout ce que les 
Etrangers vont voir,le Parc, & le fu- 
perbe Vaiffeau nómé leR oyal Louys, 
qui porte plus de fix-vingt pieces de 
canon. Le Port eft fermé d'un beau 
mole, & toute la plage a un bon an- 
crage pour les grans Vaiffeaux, il n'y 
a que le vent Grec qui y eft fort in- 
commode. 

HIERES n'cft qu'à trois lieues de 

b 4 


TOv. 
LON. 


H IE- 
RES. 


3.  Woyage de Provence, 
Toulon , & merite bien qu'on y faffe ὦ 
untour. Les jardins de citroniers & 
d'orangers y font admirables par une 
profufion de la nature plutót que par 
les foins que l'on apporte à les culti- 
ver. Vn Gentilhomme du pays tire 
jufques à quinze mille livres de rente 
du fien,bien qu'il ne foit pas de gran- 
de étenduc. 

D'Hieres je revins à Marfeille,d'oà 
je me propofois de reprendre mon 
chemin pour Lyon,lors qu’un de mes 
amis y arriva pour aller en Italie voir 
l'ouverture du Iubilé. Ie m'engageay 
aifément avec luy, & nous arrétames 
nôtre embarquement fur un Vaiffcau 
de Hambourg, qui devoit partir pour 
Genes au premier bon vent,qu'il nous 
fallut attendre prés de trois femai- 
nes, Nous étant rendus au Vaiffcau 
au moment qu’il levoit l'anchre;nous 
nous vimes d'abord à la voile, & le 
depart fut fi promt, que de deux Ale- 
mans qui vouloient s'embarquer avec 
nous , l'un demeura en s'amufant à 
faire des adieux, quoyque fes hardes 
fuffent déja embarquées ; & l'autre 
ayant laiffé les fiennes à une Barque 


e d'Italie. 33 
qui ne put atteindre le Vaiffeau , fe 
trouva dedans fans manteau & fans 
Lettres de Change. 

En trente-fix heures nous fümes à GENES 
la vàe de Gezes , & un vent de Nord 
s'étant levé comme nous étions prêts 
d'y entrer , il nous fallut deux jours 
entiers pour en venir à bout à force de 
bordées. Le Port eft tout ouvert du 
cóté du Midy , & a de petits rochers 
| couverts d'eau qui le rendent mal 
| eur, quand il vient quelque bourraf- 
que. La Ville eft bâtie en amphithea- 
| tre autour du Port, & fait une tres- 
belle perfpe&ive,& le dedans furpaf- 
fe de beaucoup l'idée qu'on en a con- 

ceuc.On n’y void que des Palais ἃς du 
-marbre, & la Strada nova n'en a que 
de fort fuperbes. Genesa cela de par- 
-ticulier & d'avantageux fur les autres 
Villes d'Italie , que tous fes Palais fe 
fuivent fans étre joints avec des mai- 
-fons ordinaires.Celuy du Prince Do- 
ria , qui eft au Faux-bourg , eft des 
plus confiderables. Pour ce qui eft 
des Eglifes, elles font les plus belles 
du monde , & particulierement l'An- 
nonciade,les Icfuites & les Theatins, 

Bg 


| 


34 Voyage de Provence, 

La nouvelle fabrique de Santa Maria 
in Carignano ne leur cede pas. Ce 
n'eft par tout que marbre, que jafpe, 
que dorures,& que tableaux des plus 
fins. Ie n'ay jamais và quelà des Ex- 
communications écrites au dehors des 
Eglifes contre ceux qui pifferont au- 


tour , ou qui joücront aux cartes , OÙ. 
commettront quelqu'autre indecence. . 


[ 


Mais peut-être les foupconneroit-on 
d'être moins jaloux de la gloire de 
Dieu que de la propreté de leurs ou- 
vrages ; car au refte ils n'ont pas la 
‘réputation d’être plus Saints que les 
autres ; au contraire, il court un Pro- 


verbe d'eux en Italie, qui ne leur eft - 


pas avantageux : 7Mare fénza pefce, 


montagne fenza legno ,, Done fenza ver- 


gogna , € gente fenza fede. Mer fans 
poiffon , montagnes fans bois , fem- 
mes fans honte, & gens fans foy. Il 


y à pourtant d'honnétes gens comme 
par tout , mais le grand nombre d'é- 
pions & de Sbirres qui obfervét tout 
ce que l'on fait,ne me plait pas. Mon- 


fieur le Chanoine Ferro me fit voir 
avec beaucoup de civilité fon Cabi- 
net de medailles , de gravüres , & 
d'autres bijoux antiques. 


LN 


e d'Italie. 33 

De Genes nous primes une Felou- 
que, & patfant le long de la cote,que 
les Anciens appelloient mer Ligufti- 
que, & que l'on nomme aujourd’huy 
riviere de Genes , parceque de méme 
que les bors d'une riviere elle eft 
pleine de petites Villes tres-jolies qui 
appartiennent à la Republique , nous. 
arrivàmes heureufement à Livourne. 

LIVOVRNE eft une Ville fameu- 
fe pour le negoce , mais inutile pour 
ma curiofité. Tout ce que j'y obfer- 
vay fut la ftatue du Pere du Grand 
Duc, avec quatre Efclaves de bronze 
au deffous., qui ne font pas mal tra- 
vaillez. L'ouverture de la Porte- 
Sainte fe devoit bien-tót faire à Ro- 
me, ce qui nous obligea de nous em- 
barquer le jour fuivant fur le Canal 
qui nous conduifit à 7;fe. 

Cette Ville eft grande &cbelle,mais 
elle n'eft pas peuplée. Elle a autre- 
fois fait bruit dans le monde , & j'ay 
trouvé à S.Victor de Marfeille une 
Epitaphe des Pifans qui étoienz morts 
dans une glorieufe entreprife qu'ils 
avoient faite l'an 1114. fur l’Ifle de 
Majorque ; tenue en ce temps-là par 


LIVOVR: 
NE. 


PISE. 


SIENE. 


ROME. 


36 Voyage de Provence , 
des Mahometans. La Tour de Pife 
qui panche par le haut eft quelque 
chofe d'admirable , foit que l'Archi- 
te&e ait eu deffein d'en faire un 
Chef-d'ceuvre , ou qu'elle fe foit af- 
faiffée de cette maniere par un trem- 
blement de terre. Les Scavans n'en 
font pas d'accord entr'eux , & je ne 
fuis pas affez habile pour leur fervir 
d'arbitre. Il y a une autre Tour à Bo- 
logne de méme nature , & Yon s'eft 
raillé autrefois des Religieux voifins, | 
qui prefenterent requête pour la fai- | 
re abbatre,croyant qu'elle alloit tom- 
ber. Lelendemain nous primes des 
chevaux , & ne vimes qu'en paffant 
Szene. 

C'eft une celebre Academie , & 


bien que nous ne vouluffions pas 


nous y arréter , nous nous donnâmes M 
pourtant le temps d'aller voir le DG- — 
me & la Bibliotheque peinte à fref- 
que par Pietro Perugin , & par Ra- 
phaël , qui furpaffa bien-tót fon 
Maitre, | 

Enfin nous arrivâmes à Rome quel- « 
ques jours devant l'ouverture du Iu- M 
bilé;cóme nous le fouhaitions.Elle fe 


c d'Italie. 54 
fit par la Cavalcade des Cardinaux & 
de toute la Cour de Rome qui les fui- 
_voit,car le Pape à caufe de fon âge ne 
s'y trouva pas. l'y vids des Caroffes 
tres-fuperbes, & des chevaux avec de 
tres beaux harnois ; mais ceux qui les 
montoient n'étoient pas les meilleurs 
Cavaliers du monde. Ie vous avoue 
que je ne me pouffay pas dans la fou- 
le, pour aller voir comme fe faifoit 
l'ouverture delaPorte-Sainte. On 
me dit que les materiaux qui la mu- 
rent font tout difpofez à tomber, & 
qu'aux premiers coups que le Pape, 
eu le Doyen des Cardinaux en fa 
place , donne , elle tombe par terre, 
‘enfuite dequoy tout le monde y en- 
tre, baife la Porte & fait toucher fes 
Chapcelets. Pour gaigner les Indul- 
'gences données à ceux qui vifitent 
cette Eglife , & les trois autres de S. 
Iean de Latran:, de Sainte Marie Ma- 
jor & de S.Paul , où la méme Cere- 
monie fe fait,on les doit vifirer quin- 
ze fois chacune , & l'exercice de les 
voir toutes quatre en un jour eft aí- 
fez rude ; car on ne le fçauroit faire 
“en moins de cinq heures de chemin, 


38 Voyage de Provence, 

Les Relations que fans doute on en 
aura faites doivent fuffire , & je n'en 
parleray pas davantage. 

Le Pape avoit fait alors une Ore 
donnance fort fainte , qui étoit que 
les Courtifanes n'euffent point à te- 
nir cette année-là de penfonnaires.. 
Nous étions allez loger M. Mayer & 
moy chez une honnéte Dame que 
l’âge mettoit à couvert de tout foup- 
gon ; neantmoins comme elle eut ap- 
pris. cét ordre, elle craignit qu'on ne 
l'accusàt d'avoir été du nombre de 
ces Courtifanes , & inventa quelque 
méchante excufe pour fe difpenfer de 
nous accorder ce qu'elle nous avoit 
promis, Ce fut à nous.de nous pour- 
voir ailleurs,dequoy nous fümes bien 
aifes , apres en avoir fceu la rai- 
fon ; car non feulement nous vou- 
lons vivre fagement , mais auffi 
nous ne voulions pas donner lieu de 
croire que nous vécuffions d'autre 
forte , Monfieur Mayer n'étant venu: 
à Rome que par un pur motif de de- 
votion , & moy que par un pur prin- 
cipe de curiofitée. De cette maniere 4 
vous ne devez attendre de moy que — 


€ d'Italie. 39 
des Antiquitez, des Jardins,des Fon- 
taines & d'autres chofes de cette na- 
ture ; mais plutót n'attendez pas que 
je vous donne rien de particulier de 
Rome. Ses curiofitez m'ont fi forc 
ébloui , qu'il ne m'en refe que des 
idées confufes , bien que j'y aye de- 
meuré cinq mois à bien contempler 
les chofes. En effet , il faudroit être 
tout-à-fait ftupide, pour ne pas trou- 
ver à Rome dequoy fe fatisfaire en 
toutes manicres,& voyager fans nul- 
le curiofité, c'eft , à mon avis, perdre 

fon temps. 

Si vous aimez les Livres,vous avez 
à Rome deux belles Bibliotheques, 
où vous pouvez aller étudier tous les 
jours , excepté les Fétes & le Ieudy ; 
fçavoir celle du College dela Sapien- 
ce & celle des Auguftins. Si l'on eft 
curieux de manufcrits , il faut voir la. 
Bibliotheque du Varican,.qui s'ouvre 
auffi trois ou quatre fois la femaine.. 
On y void un Virgile & un Terence 
anciens de mille ans , & quantité de 
Livres qui ne fe trouvent point ail- 
leurs. Si quelqu'un eft charmé de la 


Mufique ; on peut entendre tous les 


4o Voyage de Provence, 
jours des Concerts dans les Eelifes, 
chez la Reine de Suede , & chez les 
Cardinaux , & des voix les plus ex- 
cellentes du monde. Pour ce qui eft 
des ceremonies de l'Eglife , il n'y a 
point de lieu dans toute la Chrétien- 
té où il y en ait davantage, & où elles 
foient plus pompeufes. Si l'on a de la, 
paffion pour les tableaux , on n'en 
peut pas voir plus grande. quantité 
qu'à Rome,& on y en void de la main 
des plus grans Maîtres qu'il y ait eu 
en cette Profeflion. Pendant que j'y 
étois on en compofa un Livre, qui eft 
un recueil des plus fins ouvrages de : 
toutes les Eglifes de cette Ville. Si 
vous avez lacuriofité de voir de la 
peinture des anciens Romains , que 
vous pourriez chercher inutilement 
dans tout le refte du monde, vous en 
trouverez des pieces dans quelques 
cabinets de Cardinaux , & une toute 
entiere à la Vigne Aldobrandine;,qui 
reprefente une noce. Si vous en avez 
pour les deffeins des pieces antiques 
᾿ ὃς des peintres modernes , le Cheva- 
- lier del Pozzo & plufieurs autres cu- 
rieux vous cn feront voir de tres- 


> d'Italie. 41 


| beaux recueils. La Sculpture vous 
plait-elle? Si vous en voulez de la 
moderne , vous en verrez de Michel- 
Ange, comme cft ce Moyfe incompa- 
rable de San Pietro in Vincola , de 
Sanfouin,& du Chevalier Bernin qui 
fait des merveilles. Pour celle des an- 
ciens Grecs & Romains, elle pafle 
| jufqu'au prodige.Le Laocoon du Va- 
| tican, l'Hercule Farnefe, l'Antinous, 

& la Venus de Medicis tiennent le 
| premier rang.Enfuite le Taureau Far- 
nefe, le Marc-Aurele du Capitole, & 
le Gladiateur de Ludovifio. Mais je 
ne veux pas entrer dans le detail, de 
| peur de me faire une affaire avec ceux 
du métier , qui les rangent en diffc- 
rentes claffes , & j'en parle felon que 
| ma memoire meles reprefente;à quoy 
jajoüte feulement que rien ne m'a 
tant furpris que de voir que Rome, 
apres avoir été ἢ fouvent faccagée, 
|puiffe avoir confervé tant de belles 
chofes. Le Palais Paleftrine a plus 
de 6o Statués, qui pour la plus gran- 
de partie ont été trouvées dans leter- 
rain de la maifon, Celuy de Iuftinia- 
ni en a environ 150. dans une feule 


42 Voyage de Provence , | 
Sale : de forte qu'on pourroit encore 1| 
dire de Rome ce qu'on difoit autrefois ! 
d'Athenes , que le peuple n'y étoir | 
pas en fi grand nombre que les fta- 
tués. Da moins ce qui ne fe juftifie- 
roit pas fur la quantité, fe pourroit | 
recompenfer fur le prix ; caril y a 
telle ftatué que l'on ne donneroit pas | 
pour cent mille écus , & une infinité 
de miferables fe vendroient pour peu 
de chofe. | | 
— My a peu d'honnétes gens & dem 
gens d'efprit qui n’ayent de l'eftime 
pour l'Archite&ure. Si vous aimez 
celle des Anciens,confiderez celle du 
Colifée, du Theatre de Marcellus,du 
Pantheon , & des reftes des Bains de 
Diocletian qui font aux Chattreux, 
Et pour PArchite&ure moderne, M 
vous n'avez qu'à voir le Palais Farne- 4 
fe , le Palais Borghefe & cent autres M 
dont l'on a fait graver des Livres ; la | 
Porte Pie & la Porte del Populo,mais | 
par deffus tout l'Eglife de S.Pierre, ! 
qui eft la plus belle du monde. | 
Pour ce qui eft des Fontaines,vous | 
en trouverez d'admirables & d'excel- 
lemment beaux originaux. Sur tout 


© d'Italie. 43 
celle de S.Pietro Montorio merite 
l'admiration de tous les humains. 

Si vous étes curieux des bas reliefs, 
-VOuS en avez pour vous occuper dix 
ans entiers; quand ce ne feroit qu'au 
Palais Matthei,& à la Villa Borghele 
qui en font tous revétus par dehors; 
-& ce qu'on en a de gravé n'eft pas la 
vingtiéme partie de ce qui refte. 

Pour les Pyramides , les Obelif- 
ques , les Colonnes & les Arcs de 
| triomphe, où en pourroit-on trouver 
de plus remarquables pour l'hiftoire 
du plus floriffant empire qui ait ja- 
mais été? 

Si vous vous plaifez aux medailles 
antiques, Vous en trouverez des Ca 
binets tres precieux chez la Reine de 
Suede, chez le Cardinal de Maximis, 
& chez l’Abbé Brachefi. Ceux de 
Monfignor Ginetti, du Chevalier dcl 
Pozzo, de Dom Auguftin;& d'autres 
particuliers,ont auff chacun plufieurs 
pieces remarquables. 

Si vous prenez plus de plaifir aux 
petits bijoux antiques , comme (ont 
des Vrnes , des Lacrymatoires , des 
Idoles , des Vafes , des Poids & des 


44 — Voyate de Provence, 
Mefures, vous en trouverez un Cabi- 
net tres-bien fourni chez Monfieur ἢν 
I. P. Bellori Antiquaire du Pape ; ὃς ἢ} 
tres-fçavant en toutes fortes d'Anti- 
uitez. ΟἿ à luy que nous fommes 
redevables de l'explication de la Co- 
Jomne Trajane & Antonine, & ila 
δα ΠῚ fait l'Eloge des Peintres illu- 
ftres, & plufieurs autres ouvrages. M 
La conference des perfonnes fga- 1 
vantes vous plait-elle ? voyez le Pere 2 
Kirker pour les Langues inconnués, 
& pour les Mathematiques. Le Pere 
Fabry grand Penitencier de France 
pouf la Theologie & la Mathemati- 
que. Monfieur Iean Lucij pour l'Hi- 
ftoire & pour l'Archite&ure. Mon- 
fieur Suarez Evéque de Vaifon pour M 
les Antiquitez , l'Hiftoire & les Ge- 
nealogies. Le Pere Bartoli pour la 
Phyfique & les Humanitez.Monfieur M 
Fabretty pour les Antiques & les bel- 
les Lettres, Monfieur Camely Bi- | 
bliothequaire de la Reine de Suede 4 
pour les Medailles , & Monfieur Na- 
zari, qui traduit en Italien le Journal $ 
des Sçavans, pour la Literature. Je 
n'gnore pas qu'il y en ἃ un grand 


c duae c δῇ 
nombre d'autres , mais je ne nomme 
jue ceux que jay eu l'honneur de 
connoitre & d'approcher. 
| Les beaux Jardins & les Maifons 
le plaifance de Rome , attirent tout 
re qu'il y a de curieux , & ce (ont de 
"rays Paradis terreftres & comme des 
ieux enchantez que les Vignes Bor- 
:hefe, Pamfilé, Montalto;Ludovifio, 
Matthei , & de l'Abbé Benedetto , 
fi bien que les jardins du Vatican, 
Ὁ Montecavallo & de Medicis. 

' Pour de beaux ameublemens, il ne 
aut qu'entrer dans les Palais Bor- 
hefe , Colonne , Paleftrine , Chigi, 
;udovifio & Maximis. 

| Seriez-vous touché comme moy 
(cs Infcriptions antiques , vous en 
vez à Rome pour contenter votre 
aiofité. Ie ne m'eronnois pas d'en- 
ndre dire à quelques Etrangers qu'il 
en avoit peu, parce qu'on ne re- 
arque d'ordinaire que ce qui plait, 
; que peu de gens prennent plaifir 
1x infcriptions. Pour ce qui eft de 
Toy. j'y en ay leu plus de trois mille, 
Τ᾿ copié plus de mille,qui ne font pas 
Iicore imprimées, | 


46 Voyage de Provence, 

Si vous demandez des gands , de 
effences , des parfums , du tabace 
poudre & des vins delicats , Rome le 
difputera encore avec toutes les Vil- 
les du monde. 3 

Si vous étes curieux des Langues 
que l'on parle prefentement en Eu 
rope,le Bourgeois de Rome parle bor 
Italien,la place d'Efpagne parle Fran 

ois ὃς Alemand,les pierres y parlent? 
Latin, & les Obelifques Egyptien, 848 
ainfi vous y avez les Langues mortes 
avec les vivantes. Pour le Grec,il eft? 
renfermé dans les livres du Vatican 
ὃς de la Sapience, & iliY'y a qu'un pe 
tit nombre de Doctes qui l'entendent, 

' Enfin je ne trouveray pas étrange?! 
que vous n'ayez aucune de ces curio 
fitez , fi vous n'allez jamais à Rome 

ue par devotion. Car vous aurez aff 
fe d'occupation à vifiter tant d'Egli 
fes & de Reliques que l'on y montre 
& vous ne vous en rctournerez paste 
fans Indulgéces, Chapelets & Agnust] 
Dei , qu'elle fournit abondamment : 
toute l'Europe Catholique. ! 

C'eft ainfi qu'il faut profiter de cef 
que l'on rencontre. de bon dans les 


e» d'Italie. 47 
ivoyages , fücer le miel & la rofée 
comme les abeilles, & non pas le ve- 
nin comme les araignées. Ceux qui 
trouvent quil fe fait tant de mal à 
Rome ont cu part affurément à celuy 
qui s'y commer,& l'on n'apprend or- 
dinairement le vice qu'en le commet- 
tant. 

Celuy qui a fait imprimer la Lifte 
des tableaux qui font à Rome,en pro- 
met une femblable des Palais & des 
Cabinets, & Monfieur Patin nous 
fait efperer la relation de fon voyage 
d'Italie, qui ne fcauroit manquer d'e- 
tre bien receué : ce qui me difpenfe 
de m'étendre fur cette matiere, qui 
€ra amplement traitée dans ces deux 
Livres qu'on nous prepare. 

Jene voulus pas quitter Rome fans 
Aller vifiter les environs,& Monfieur 
Vvheler Gentilhomme Anglois , qui 
t fait enfuite le voyage du Levant 
avec moy, voulut être de la partie. 
Nous fümes premierement à 77voJ;, 
qui n'eft qu'à demi-journée de Rome. 
—'eft unlieu , où il femble que l’art 
X la nature difputent à qui fera pa- 
“être plus de merveilles, La grande 


TIVOLL: 


48 Voyage de Provence , 
Cafcade & celle de Ciceron,qui pre- ἢ 
cipitent d'un rocher efcarpé la petite 
riviere de Teverone, font à mon fens | 
une des plus belles chofes que lana- | 
türe faffe dans les eaux ; de méme 
que la grande Cafcade & les differens 
jeux d'eau du jardin d'Efte , font les 
artifices les plus rares que nous puiffe 
fournir l'art Hydraulique.Cetre chu- 
te precipitée du Teverone a creufé 
avec le temps les rochers, & formé 
ces voütes , qu'on dit avoir fervi de 
logement à la Sybille Tiburtine; car 
Tivoli eft l'ancien 7;bur. En effet,au. 
deffus de la Cafcade on void les reftes 
d'un petit Temple, que quelques-uns; 
affurent avoir été dedié à cette Sy= 
bille ; d'autres auffi veulent qu'il l'ait. 
été à Hercule , à caufe d'une infcri-M 
ption qui s'eft trouvée dans cette Vil- 2 
le, & qui eft confacrée à un Hercules 
Saxanus, ccft-à-dire ,un Hercule du. 
rocher , dont le Temple étoit fur le; 
roc.En approchant de Tivoli on paf-: 
fe fur un Pont, appellé Ponte Lucano 
où il y a un beau Maufolée avec deux 
ou trois grandes infcriptions de Plau- 
tius Sylvanus Conful Romain,& l'un 

deg 


| € d'Italie. 49 
des fept Intendans du banquet des 
Dieux , à qui le Senat avoit accordé 
le Triomphe pour les belles actions 
qu'il avoit faites dans l'Illyrie.Nous 
vimes dans la Ville quelques Infcri- 
ptions & quelques Mafures,qui font 
t. anciens titres de Noblefft,& dans 
la Place deux tres-belles Status 
d'un beau marbre granite rougeätre 
& moucheté de eroffcs taches noi- 
res , dont il ne fe trouve guere ail- 
leurs de femblable. Elles reprefen- 
tent toutes deux la Deeffe I(is adorée 
dans l'Egypte,d'oà Hadrian les avoit 
apparemment fait venir pour fervi 
d'ornement à fa maifon de plaifance 
de Tivoli, dont je parleray bien-tot. 
Voilà ce que les Etrangers remar- 
guet à Tivoli,mais il y en a peu qui 
e mettent en peine d'aller voir ce qui 
eft de plus curieux à demi-lieuë& de- 
là; C'eft un petit Lac qui n'a que 
quatre ou cinq cent pas de rour,mais 
qui eft extremement profond, L'eau 
en eft fort (οὗ rée , & produit un 
ruiffeau de même, fur lequel on paffe 
en allant de Rome à Tivoli. Cette 
au apporte un limon qui s'attache 


‘50 Voyage de Provence, E 
ὃς s'endurcit dans le canal , & qui 
boucheroit bien-tôt le paffage; fi on | 
n'avoit foin de le nettoyer de tems 
en tems. L'air d'alentour eft infecté. 
de cette odeur foûfrée, ce qui fait | 
qu'on luy donne le nomde Solfatara,. 
& l'on s'y vient baigner de Rome 
pour la guerifon de differentes mala- 
dies, Mais ce n'eft pas cequ'il y a de 
plus remarquable. Nous avions và 
dans la carte de la Campagne deRo- 
me, que le Pere Kirker l'appelloit le. 
Lac des Ifles flotantes,& nous en in- 
"formant à Tivoli , on nous donnoit 
“des réponfes qui ne nous rendoient 
"pas aflez fcavans , ce M nous obli- 
'gea de nous en aller éclaircir fur le. 
.lieu. Comme nous y arrivâmes,nouss 
:decouvrimes dans ce petit Lac , une 
‘douzaine d'Ifles au milieu, qui ne 
‘nous paroifloient pas d'abord fe re- 
muer , & nous craignions déja d'a- 
“voir été pris pour dupes, lors qu'il fe 
leva un petit zephir qui commença 
de pouffer peu à peu ces Ifles de ηδ- 
tre cóté, comme fi elles nous fuffent 
venues à la rencontre pour nous ré- 
procher nôtre incredulité, Elles font 


& d'Italie. $1 
à fleur d'eau, & toutes couvertes de 
rofeaux , par lefquels nous en faifi- 
mes une , pendant quel'un de nous 
pafferoit deffus , ce que nous fifmes 
tour à tour , & nous reconníüimes 
qu'elles avoient de la folidité & de 
l'épaiffeur , car nous n'en pümes pas 
atteindre le fonds avec nos épées. 
Auffi ce Lac, comme j'ay dit,eft fort 
"profond , & on le juge par le temps 
-que demeure à s'élever un boü llon, 
que les pierres qu'on y jette pouffent 
en haut. La plus grande de ces Ifles 
ra environ 25.pas de long & τ΄. de 
large,& les autres font un peu moin- 
-dres, Pline fait mention de plufieurs 
| Mles flotantes en divers Lacs d'Ita- 
he, mais entr'autres d'une dans le 
Lac Vadimonis , que quelques-uns 
.eftiment être le Lac de Viterbe , ἃς 
-d'autres celuy de Baffanelle.Il ajoüte 
"que cette Ifle éroit chargée d'une 
épaiffe foreft , & qu'on ne la voyoit 
jamais de jour & de nuit dans le mê- 
me lieu. Pline le neveu a fort galam- 
-ment decrit ce Lac & fes Ifles flo- 
«tantes, dans fes Lettres : c’eft à la 20. 
du $.Liv. & on y remarqne beaucoup 
σι 


$2. Voyage de Provence, 
de reffembläce avec celles dà Lac de 
 Tivoli,que nous décrivons. Le vieux 
Pline parle auffi de quelques autres « 
Yles dans la Lydie , qu'on nomme 
Calamine, à caufe de l'abondance des 
rofeaux qu'elles portent,cóme celles- 
cy,dont je ne vois pas pourtant qu'il. 
ait eu la connoiffance , & qui peut- 
€tte n'étaient pas formées de fon 
tems. Denis d'Halicarnaffe nous fait. 
la defcription d'une Ifle dans le Lac 
-Cutilinm, appellé prefentement Con- 
tigliano , qui avoit go.piéds de dia- 
metre , & un pied de terre au deffusM 
.de l'eau, & qui portoit quelques ar- 
briffeaux. Le peuple de Tivoli appel-# 
le celles-cy des barquetes , parce 
qu'elles fe peuvent gouverner com- 
me des barques;& je ne fais point de 
doute que fi le Lac étoit plus grand, | 
elles ne fe puffent agrandir confide- 
rablement , jufqu'à pouvoir porter! 
des jardins & des forérs comme celle: 
de Pline, & celles qui font auprés de: 
.S.Omer, où il y a des habitans. Car: 
.quand méme le terroir ne le fouffri-# 
soit pas pour être trop humide, il fe 
roit aifé d'y porter dcffus un pied ou. 


e d Italie. 5 
deux d'autre bonne terre. La raifon 
qu'on peut donner de ces Iles flo- 

tantes, eft, ce me femble,que ce Lac 
| étant produit par des fources d'eau 
foufrée, les boüillons qu'on y reníar- 
ique élevent du limon rarcfié par le 
foufre,qui furnageant & s'attachant 
lavec des joncs & des herbages qui 
's'amaffent dans ce marais , fe groffit- 
ipeu à peu par de femblable matiere, 
ὃς s'augmente par embas ; de forte 
ique ces Ifles étant compofées d’une 
terre poreufe & melée de ce foufre, 
fe foütient de cette maniere fur l'eau, 
& produit des joncs de méme que les 
autres terres marécageufes. Mais de 
quelque maniere que cela fe faffe, 1] 
me femble toüjours que c'eft une 
chofe tres-remarquable , & que les 
Etrangers qui vont à Rome, ne de- 
vroient pas negliger d'aller voir, 
quand ce ne feroit que pour juftifier 
line qu'on accufe de menterie plus 
fouvent qu'il ne merite. Ce que j'en 
dis icy obligera peut-être quelque 
curieux à y faire d'autres nouvelles 
remarques, 

De Tivoli nous primes le chemin 


3 


VILL 
HADR! 
NI 


$4. Voyage de Provence, 


è de Ftafcati , & nous nous-detourná- 


mcs un peu fur la gauche pour voir 
les malures de Villa Hadriani , que 
les Payfans appellent Tivo/i vecchio; 
le vieux Tivoli ; ignorant que c'étoit 
feulement une maifon de plaifance 
de l'Émpereur Hadrian. Les Iefuites 


- y ont converti en Cellier un Temple 


ui en dcpendoit , & qui eft encore 
Dre entier. Al eft quarré par dehors 
& rond par dedans, de 5o.pieds feu- 
lement de diametre; mais aix angles 
il y a quatre reduits ménagez dans le 
mur , qui fervoient ou pour confer- 


. ver les ornemens du Temple,ou pour 


les y cacher dans la neceffité, Nous 
vimes enfuite deux ou trois Temples 
à demy détruits,& une partie des ap- 
pattemens du Palais , dont le dedans: 
ne répondoit pas à l'idée que nous 
avions conceue d'un bâtiment fi vafte- 
& fi magnifique , comme on nous le 
decrit. Car ce font plufieurs petites 
chambres voütées de méme gran- 
deur, où nous remarquâmes qu'il ne 
paroiffoit point de cheminée. Au 
refte l'Empereur Hadrian avoit bâti, 
gomme Spartian le rapporte , cette 


οὐ d'Italie. 5; 


maifon de campagne , d'une maniere 
fi galante, qu'il y avoit imite ὃς don- 
né les noms des lieux les plus cele- 
bres du monde, comme du Lycée,de 
l'Academie, du. Prytanée , du Porti- 
que,du Canope d'Egypte & du Tem- 
pé de Theffalie. Ce nous auroit été 
une occupation peu utile de nous, 
amufer à debroüiller tous ces lieux- 
là. Nous ne voulümes pas méme 
nous opiniátrer à chercher les fon- 
demens. de, cette muraille qu'il y. 
ayoit bâtie, où l'on avoit le Soleil 
| d'un côté, & l'ombre de l’autre, par- 
| ceque c'étoit une chofe aifée en la 
| difpofant du Levant au Couchanr. 
Le bâtiment paroit tout de brique, 
mais il pouvoir bien être revêtu de 
marbre. Les ftatués d'Ifis de marbre 
noir qu'on void au Palais de Maxi- 
| mis à Rome, en ont été tirées, De là 
 fuivant nôtre chemin nous laifsámes 
à main gauche le Lac de R.egilla, ce- 
 lebre par la defaite des Tarquins, & 
yinmes à Frafcati. 

Ce n'étoit autrefois qu'une mai- FRAS- 
fon de plaifance de Lucullus , mais CATL 
-€'eft maintenant une petite Ville avec 

n "i 4 à 


La Villa Borghefe y eft remarquable 
par fes grádes allées de laurier à per- 
te de váe,& par fes buftes & fes fta- 
tués antiques. Mais celle du Cardi- - 
nal Aldobrandin la furpaffe pour les 
artifices d’eau. Nous allàmes voir | 
les autres jardins , & primes enfuite | 
ün guide pour nous mener aux ma- - 
fures de Tufculum , qui eft à deux | 
milles de là au deffus dela monta: | 
gne. Il y a quelques mafures peu’ 
confiderables , & un bâtiment pref- # 
que entier au deffus du grand che= . 
min appellé le chemin vieux. Lan 
tradition affure que ç’a été lamaifon | 
de Ciceron. C'eft une des plus bel- # 
les vües qui foient au voifinage de | 
Rome , car elle eft à la cime de la 
montagne , & l’on decouvre de là. 
Caftel- Gandolfe , le Lac d'Albano,: 
la Mer & toute la campagne de Ro- : 
me. Les beautez & les agreables | 
fraicheurs de Frafcati ne nous firent | 
pourtant pas oublier qu'il nous fal- | 
loit pourfuivre nótre voyage. Nous 
pafsâmes par un gros Bourg appellé ! 
Marini, parceque c'étoit autrefois | 


& d Italie. 57 
une mailon de campagne de Marius, 
& les Princes Colonnes y en ont 
prefentement une, À quatre ou cinq 
milles delà nous trouvàmes Caftel- 
Gandolfe, qui eft un autre Bourg,où 
les Papes ont un Palais. Nous y en- 
trâmes, mais fans y rien trouver qui 
meritát de nous y arréter long-tems. 
La vûc en eft belle fur le Lac d’Al- 
bano, le long duquel nous continuà- 
mes nôtre chemin , en jettant quel- 

- quefois les yeux fur l'endroit où de- 
voit étre autrefois la Ville d'Albe- 
Longue,entre le Lac & la montagne. 
Il n^y a prefentementlà qu'un Con- 
vent appellé Palazxuola , oul'on de- 
couvre quelquefois en remuant la 
terre quelques reftes de cette fameu- 
fe Ville. ) 

ALBANO qui en a retenu le nom;; AL BA 

| n’en eft qu'à deux ou trois milles: NO. 
|. C'eft un Bourg affez joli , à qui une 
_maifon de plaifance de Domitian a 
. donné les fondemens. On y void 
| plufieurs anciennes mafures , & par- 
| ticulierement foüs les Capucins un 
petit amphitheatre de pierre de tail- 
| de; dont il refte quelques degrez. Les 

e 5 


$8 Voyage de Provence, 
vins d’Albano & de Genzano tien- 
nent rang entre les plus delicats qui 
fe boivent à Rome , où nous retour- 
nâmes par le grand chemin qui có- 
toye l'ancienne via Appia , qui eft 
encore toute remplie des reftes de 
monumens placez de cóté & d'autre. 
Ce chemin étoit beau & tiroità Ro- 
me en droite ligne , pavé comme les 
autres grands chemins de grans quar» - 
tiers de pierre , dont l'on appergoit 
les traces prefque dans tout le che- 
min de Naples. 
Il n'y a point de condition plus ! 
changeante que celle d'un voyageur, ἔ 
Vn lieu ne commence pas plutôt à | 
plaire, qu'il le faut quitter, Plus on | 
demeure à Rome , plus on y trouve - 
de charmes ; mais il m'en fallut par- | 
tir pour me rendre à Venife , où j'a- | 
vois rendez-vous avec trois Gentil{- 
hommes Anglois, qui devoient s'em- 
barquer avec moy pour la Grece. Je. 
me ἀνὰ de la commodité des Cam- | 
biatures , que je n'ay pas vàc établie 
ailleurs qu'en Italie. On change de 
cheval de pofte en pofte , mais on ne; 
court pas,& vous n'avez beloin ni de 


c d'Italie. $9 
poftillon » ni de guide , les chevaux 
vous rendant à leurs gites ordinaires. 

. En un peu plus d'un jour je me VITER- 
rendis à Viterbe , où je me fis condui- BE. 
re d'abord avec la bote à 'Hótel-de- 
Ville. l'y rencontray quelques Gen- 
ülshommes du pays , qui me firent 
voir le Portrait à frefque d'Anne de 
Viterbe , qui s'eft rendu celebre par 
{es fourbes dans la Republique des 
Lettres. Les Sçavans ne doutent pas 
qu'il ne foit l'Autheur des Livres mis 
au jour fous les noms fupofez d’Anti- 
quitez Babyloniques de Berofe & de 
Chroniques de Manethon. Il faifoit 
de plus graver des Infcriptions fur 
des marbres en Grec & en Latin avec 
des carackeres tres-difficiles , & les 
faifoit enterrer. Et comme elles ve- 
noient à étre découvertes quelques 
années aprés, & les Scavans fe tour- 
mentant l'efprit pour les expliquer, 
il l'emportoit fur eux , & fe faifoit 
eftimer par cette addreffe plus que 
tous les autres, Len vids de cette ef- 
pece qu'on a enchaffées dans le mur 
de la Maifon de Ville à l'entrée d'u- 
ne des chambres, L'une eft une re- 


60 Voyage dePrwovence, — — | 
vocation de Didier Roy de Lombar= | 
die , des Decrets d'Aftolphe , que — 
Gruterus a prife pour antique. L'au- 
tre eft Greque, & parle d'un certain: 
Temple de Cybele auprés de Viter- 
be. La Ville n'a pas manqué pour 
Fhonneur du pays d'y mettre un Elo- 
ce & une explication , avec le titre. 
de pierre tres-antique ; cependant, à | 
mon avis , l'une & l'autre font des M 
produétions del'efprit de cebon Re- M 
ligieux. Ce qui rend méme la fourbe 
trop groffiere,c'eft que les deux pier- . 
res qui devroient être de deux fiecles M 
bien éloignez l’un de l’autre , font # 
d'une méme forte , d'une méme con- : 
fervation , & d'un caractere fembla- : 
ble , fort menu & d'une maniere qui 
ne fe trouve pas ailleurs. f 
Je pañfay enfuite Radicofani, une M 
des plus hautes montagnes d'Italie, 
fur la cime de laquelle le Grand Duc... 
a une Fortereffe, qui confine avec les 
Terres du Pape. | 
TLO- FLORENCE eft furnommée la ! 
RENCE Belle, & ce n'eft pas fansraifon, La : 
Galerie du Grand Duc eft une de fes 
beautez qui me touche le plus.Apres. 


e d'Italie... 61 
avoir và à Rome un fi grand nombre 
de Statués & de Buftes , je ne me fe- 
rois pas imaginé d'en pouvoir trou- 
ver encore là deux cent cinquan- 
te ; &ily a parmy 5 quelques in- 
fcriptions que le Cardinal de Medi- 
cis avoit fait venir d'Afrique. On 
me crut habile homme,parceque j'en 
lüs quelqu'une mieux que l'Abbé - 
Falconieri qui les a données au jour. 
C'étoit toutefois une perfonne tres- 
Ícavante , mais cc n’eft pas un grand 
crime de faire quelque faute en co- 
piant une Infcription. Autour de 
cette Galerieil y a plufieurs cham- 
bres, où l'on fait voir les trefors des 
Grands Ducs. Il y en a quatre ou 
cinq pleines d'armes, plus confidera- 
bles parla qualité que par le nom- 
bre. On y void une arquebufe d'or 
maffif qui avoit été prefentée à un 
Empereur. S'il y avoit encore quel- 
que Heliogabale au monde, il ne 
pourroit choifir d'inftrument pour 
mourir plus precieux que celui-là ; 
car nous lifons dans l'Hiftoire de cet 
Empereur , qu'il avoit preparé un 


4oignard d'or;& des vafes d'emerau- 


62 Voyage de Provence, 
de pour boire du poifon, au cas qu'il 
füt obligé de fe tuer foi-méme. On 
y void auffi des armes tres-precicufes. 
prifes fur les Turcs par les Galeres 
du Grand Duc. On conferve dans. 
ce petit Arfenal un gros Aymant qui 
tire beaucoup ; mais il y en aun à la 
Cour du Palais , où le Prince fait fa 
refidence , que les Etrangers ne re- 
marquent pas,parce qu'il femble n'é- 
tre qu'un gros quartier de roche , & 
l'on ne jugeroit pas que ce fuft un 
aymant. C'eft une pierre qui pefe 
lus de cinquante quintaux , & fi 
elle avoit de la vertu à proportion de. 
fa grandeur, les effets en feroient fur- 
prenans. Mais elle ne tire que tres- 
peu, parce qu'elle a été gâtée du feu. 
dans un embrafement. Sur ceíujet M 
je vous diray un mot d'un autre Ay- 
mant que jay vü à Avignon chez 6 
le fieur Roftani , dont l'effet eft fort ! 
bizarre. Il n'eft pas fi gros que le | 
poing, & ne tire pas plus d'une peti- ! 
te clef, quoy qu'il foit bien armé; 
mais un couteau , ou quelqu'autre - 
piece de fer qui en a été frotée , tire 


quatre fois plus que ne fait la pierre | 


j 


e d Italie. 63 


méme , dequoy j'ay và faire l'expe- 
rience. Son maitre ajoütoit qu'elle 
étoit merveilleufe pour toucher les 
aiguilles de Quadran,& que fi on ve- 
noit à mettre un autre aymant au- 
prés, le fien le tuoit incontinent , & 
luy faifoit perdre toute fa force. 

Les autres chambres font remplies 
de vaiffelle d'or & d'argent , de ta- 
bleaux de Titian , de Raphaël & de 
Carrache ; de meubles precieux , & 
de plufieurs bijoux antiques & mo- 
dernes. On n'y ofe plus guere mon- 
trer le clou de fer, dont la moitié 
avoit été changée en or , comme on 
pretendoit , par lartifice de la Chy- 
mie, parce qu'on a découvert que 
tout le miracle confiftoit en la fou- 
dure,qui joignoit imperceptiblement 
ces deux metaux l'un à l'autre. Dans 
la baffe-cour du Palais on tient le 
Carroffe du Grand Duc , dont il fe 
fervit à fon mariage. Les roües font 
d'acier,& l'étoffe prefque toute d'or. 
lamais Empereur Romain n'en eut 
de fi riche. Auffi les Romains n'a- 
voient-ils que de petits chariots fans 


couverture, à la referve de leurs fem 


64 Voyage de Provence, —— 
mes qui en avoient d'approchans de 
nos Carroffes. Mais on donnoit des 
bornes à leur vanité , en ne leur 
permettant d'avoir que deux mules 
pour l'attelage. 


Le Palais où le Grand Duc fe tient. 


ordinairement, n'étoit que la maifon 
d'un particulier de la famille des Piti, 
mais qui meritoit bien de loger un fi 


grand Prince. Les Curieux y admi- 


rent moins les riches ameublemens, 
que les platfonds peints par Pietro 


de Cortone. Le Cardinal de Medicis | 


qui vivoit encore quand je paffay à 
Florence , eut la bonté de me faire 


voir lui-même fes medailles, fes gra- 7 
vüres & camayeux antiques,où j'ob- — 


fervay des chofes tres-(ingulieres. 
Vne autre de fes curiofitez étoit d'a- 
voir recueilli les portraits de quanti- 
té de fameux Peintres , faits de leur 
propre main, & j'en vids une cham- 


bre toute pleine. Le Jardin qui joint : 


le Palais cft beau,fpacieux & en bel- 
le vüe. Sur une hauteur qui cft dans 


fon enceinte ily a une perite Cita- 
delle , où le Prince tient fes deniers. 


+ L T 


‘La Bibliotheque du Palais eft: bien | 


| e d'ialie 6 
fournie , mais les manufcrits qu'on 
tient à S.Laurens me plaifent encore 
plus. On y garde un Virgile écrit du 
temps de Theodofe, une Hiftoire de 
l'Empereur Alexius Comnenus , & 
une de Florence de Borghinius. Je 
vous parleray d'un autre manufcrit 
qui regarde mon métier , & qui eft 
l'unique qu'on fçache de toutes les 
Bibliotheques de l'Europe. C'eft un 
| gros volume Grec , qui comprend la 
Chirurgie des Anciens, cóme d'Hip- 
pocrare, de Galien , d'Afclepiade, de 
Bithynus, d'Apollonius , d'Archige- 
nes, de Nymphodorus, d'Heliodore, 
| de Diocles , de Rufus Ephefius ἃς 
d'Apollodorus Citienfis , dans l'ou- 
| vrage duquel il y a des figures pein- 
tes fur le parchemin pour la maniere 
de remettre les diflocations. Ce der- 
nier, auffi bien qu'Afclepiade, Apol- 
'lonius ὃς Diocles font.citez diverfes 
fois par Pline , ὃς Galien parle fou- 
vent d’Archigene, Mais nous ne 
voyons point de leurs ouvrages en- 
tiers ; & Bithynus, Nymphodorus & 
Heliodore ne nous font prefque pas 
connus de nom. C'eft affurement un 


66 Voyage de Provence , 

grand trefor pour la Medecine & 
pour la Chirurgie de trouver tous 
ces Autheurs-là enfemble. Monfieur 
Antoine Magliabeki eft Intendant de — | 
ces deux Bibliotheques. Jamais hom- 


me ne fut plus propre queluy pour . 


cet employ, il a tous les Livres dans 
fa téte, & connoit tous les Scavans 
de l'Europe. La Chapelle de S.Lau- 
rens où font les tombeaux des Ducs 
doit être mife entre les plus riches 
ouvrages de l'Tralie ; tout y eft mar- 
bre, porphyre , lapis & chalcedoine. 
La Chapelle voifine où font en at- 
tendant les corps de ces Princes en 
depót, a deux Mauíolées de Michel- 
Ange, & àla place du Grand Duc il 
y a fur une fontaine un Neptune tiré 
par quatre chevaux marins qu'on dit . 
étre auffi de luy.Le Dome eft grand, 
mais il a peu d'ornement. L'Annon- 
ciade eft fort jolie. Les autres Egli- 
fes de S.Iean, du S.Efprit & de Sain- 
te Marie meritent aufli d'être vües. 
Ma curiofité n'auroit pas été fatis- 
faite , fi je n'euffe trouvé des Infcri- 
prions. J'en vids tant chez les Mar- 


quis Corfini & Richardi, & à la Vi- 


e d'Italie. 67 
gne de l'Abbé Strozzi , que j'en fus 
 furpris, & auffi-tót apres je pourfui- 
| vis mon voyage. 
BOLOGNE n’a rien de defagrea- BOLO- 
. ble que fon langage, qui eft le plus GNE. 
corrompu de toute l'Italie. On mar- 
che prefque par toute la Ville foás 
| des Portiques , & aux Faux-bourgs 
on en a fait depuis peu detres-fuper- 
bes. Les Convents y font les plus 
beaux du monde, mais entr’autres 
celuy de S.Michel-au-Bois,eft le lieu 
le plus agreable qu'on pourroit choi- 
| fir pour y faire une penitence com- 
| mode. Il y a dedans des Loges pein- 
| tes par Carrache & fes Eléves , & 
| dans lEglife un beau tableau du 
Chevalier Guarcini, Monfieur Io- 
feph Magnavacca Peintre & curieux 
en medailles, me fit remarquer deux 
| peintures à frefque de Guido Reni 
| dans la grande Place , & fous le Pa- 
| ]ais de la Iuftice quatre figures ex- 
| cellentes de marbre de Iean Bologna, 
| & une peinture de Carrache , qui fe 
fent beaucoup des injures de l'air; & 
une Sainte Cecile de Raphaël à S. 
Ican-in-Monte. L'Eglife de S. Pro- 


68 Voyage de Provence, Ὁ 
cule. n'a rien de remarquable “que: 
l'Épitaphe d'un certain Procule , qui 
fut tué par la cloche de S.Procule 
qui luy tomba deffus; ce qui a don- 
né fujet à deux V ers anciens qu'on a 
gravez de nouveau au devant de l'E-' 

glife. 
Si procul à Proculo Proculi campana’ 
fuiffet , | 
Iam procul à Proculo Proculus ipfe 
foret. 

Le Cabinet d'Aldrovandus rempli 
de produ&ions naturelles ὃς d'ani- 
maux rares eft gardé à la Maifon de 
Vile , & merite d’être và des cu- | 
reux. Monfieur Lotier Banquier de 
Bologne s'applique aux medailles à 
fes heures de recreation. Il en a un 
tres-beau Cabinet que je parcourus; 
& j'y remarquay plufeurs pieces ra. 
res , entre lefquelles je dois conter 
deux Othons de cuivre , dont l’anti- 
quité ne peut être conteftée. Il faut 
laiffer dire aux ignorans qu'il n'y en | 
a point d'Antiques, car tout le mon- 
de s'ingere d'en dire fon opinion. 
Pour ce qui eft de moy , je puis dire 
que j'en ay và une vintaine dans mes. 


E. εν e d'Italie. 69 
«voyages , qui font indubitablement 
| antiques. l'allay enfuite avec luy & 
un aütre curieux nommé Monfieur 
| Louys Borgolocchi , à la maion de 
«campagne du Senateur Volta , pour 
voir l'Infcription enigmatique d’Æ- 
liaLzlia Crifpis, qui n'étoit ni hom- 
me, ni femme, ni hermaphrodite;qui 
n'étoit morte ni de faim , ni par le 
fer, ni parle poifon , mais par tout 
cela enfemble ; qui n'étoit ni dans les 
ΠΟ eaux, ni au Cicl,ni en terre,mais qui 
-.étoit par tout. L'infcription avoit 
» été mife par Lucius Agatho Priícus, 
qui n'étoit ni fon marini fon galant, 
- nifon parent,mais tout cela à la fois, 
& femblables colifichets qui font pi- 
tié , mais qui ont ncantmoins exercé 
l'efprit des Scavans de diverfes Na- 
tions. Vn Philofophe de Padoue l'a 
expliquée de l'eau de pluye.Vn Iuri(- 
. confulte Flaman , de la matiere pre- 
. miere. Vn Frangois,du Mercure chy- 
. mique;& un Hollandois,de l'Amour. 
| Au rapport de ce dernier il s'eft fait 
. un recueil des raifons des uns & des 
“autres, imprimé premierement à Pa- 
| :doüe, & puis à Dordrect, Pour moy, 


70 Voyage de Provence, 
je les aurois voulu accorder en leut 
prouvant que cette infcription n’é- 
toit pas antique , quoy qu'ils fuppo- 
fent tous fon antiquité , & j'aurois 
tâché de leur perfuader qu'on ne doit 
pas s'alembiquer le cerveau à des 
penfées ridicules de quelque moder- 
ne qui a voulu faire le bel efprit. 
Aufli ce que l'on montre n'en eft 
qu'une copie, & je ne püs apprendre 
ce qu'étoit devenu l'original. Ie pre- 
tens méme que celuy qui l'a fait 
n'entendoit pas feulement l'eecono- | 
mie des noms Latins ; car Zlia& | 
. Lælia font deux familles differentes, 
& Agatho Prifcus font deux furnoms | 
fans avoir aucune famille jointe. | 
Je bornay enfuite ma curiofité ἃς 
voir en differens endroits de la Ville! 
des infcriptions antiques, que Mon-# 
fieur le Comte Valerio Zani avoit. 
eu la bonté de m'indiquer. C'eft un. 
Gentilhomme tres-curieux & ama 
teur des Lettres , lequel a éré Prince | 
ou Chef d'une compagnie de Sca- 
vans de Bologne;à qui l'on donne le^ 
"titre d' Academia Gelatorum.Yen vids 
une entr'autres au Palais Albergati 1 


À 
| 
1 


e d'Italie. 71 
d'un certain Tzz& Anviafins Servan- 
d#s, qui avoit legué pour l'entretien 
d'un Bain public bâti par Augufte,& 

rétabli par Germanicus , quatte cerit 
fefterces, qui font plus de vingt-cinq 
mil écus de nótre monnoye ; car un 
fefterce fe prend ordinairement dans 
les infcriptions pour mille petits fef- 
terces : comme on peut le voir dans 
les origines de la langue Latine de 
"Voffius. Auffi eft-il vray que les An- 
ciens étoient fort fuperbes dans leurs 
Bains, de méme que les Turcs le font 
aujourd’huy. De Bologne je m'em- 
barquay fur le canal pour Ferrare. 
FERRARE eft une grande Ville, FERRA 
& aflez belle, mais elle eft mal-faine RE. 
'& mal peuplée. De là par des canaux 
& par le PG on fe rend dans les La- 
'gunes de Venife , où j'arrivay quel- 
‘ques jours avant l'Afcenfion. 

VENISE a quelque chofe de fi fin- ΨΕΝ]- 
'gulier dans fa fituation , que quand SE. 
"On auroit couru toute la Terre,on ne 
| pourroit pas dire d'avoir yà aucune 
Ville qui luy reffemble. Celles de 
Hollande ont bien quelque chofe 
'd'approchant à caufe de leurs Ca- 


font en terre ferme , & que celle-cy 
ft dans la mer. 1 εἰ vray que c'eft 


ceux de terre ferme. ‘Le clocher de « 
.S.Marc en eft une preuve tres-affu-M 
rée, & il eft fi haut, qu'on découvre 


mulo & affez grande. Elle cft bà-] 


fur les côtez. On ne void point ail- 
.leurs rant de Mofaique ancienne , & 
les parois & les voütes en font tou- 
tes incruftées en dedans. Les quatre 
-chevaux de bronze dotez qui font à 
da façade , furent, emportez par lesil, 


72 — Foyage de Provence, 


naux ; mais la difference eft qu’elles 


une mer fort baffe , que les Italiens | 
appellent des Lagunes , ce que nous 


pourrions peut-étre nommer des Ma- 


rais ; & neantmoins quoyque les bá- í 
timens n'ayent de fondement que fur 
1 
À 
} 


le fable & le limon , ils ne laiffent | 
pas d'avoir autant; de folidité. que” 


dans un temps ferain les autres Vil-M 
les qui font de la Iurifdi&tion de Ve-W 
nife, jufqu'à dix ou douze lieues d'é- | 
tendue. T 

L'Eglife de S. Marc eft auffi fort: 


Il 
n 


Venitieng 


| 


e d'Italie. 73 
Venitiens au fac de Conftantinople, 
Conftantin les avoit fait venir de 
Rome pour mettre [ur um arc de 
triomphe qu'on luy avoit dreffé, les 
ayant ὅτε de celuy de cron , fur 
lequel ils étoient placez ; comme on - 
ἰδ reconnoit ἀπ revers d'une de fes 
medailles. 
- Le Palais Pifani à la place S.Etien- 
ne a une des plus belles façades qui 
fe voyent en Étalie, & ἢ y a à pue 
te deux Hercules de marbre qui font 
| parfaitement beaux. Ceux de Moro- 
fini & de Loredan à la méme Place 
| font auffi d'une manicrc bicn. galan- 
|te; mais je ne veux pâs m'engager 
dans un détail que d'autres ont déja 
fait. Ie vids dans celuy de Rofini un 
des plus beaux Cabinets du nionde 
em medailles , agathes & tableaux 
fins. Εἰ faudroic des volumes entiers 
pouf donner une lifte exacte de ce 
qu'il y a de rare à Venife dans ces 
forces de curiofitcz;car pour Le grand 
mombré de beaux tableaux , il eft 
'conftant qu'elle palfe toutes Ies Vil- 
les d'Italie ; & qu'elle le peut au 
noïns difputer à Rome; & pour ce 
D 


| 


74. Voyage de Provence, 
qui eft des medailles , il n'y ἃ point 
de V ille dans l'Europe où il y ait plus 
de curieux qui les aiment, On void | 
dans la grande Sale de l’Audiance 
ce fameux tableau de Teintoret , qui | 
reprefente le Jugement univerfel, & « 
quantité d’autres de Paul Veronefe, | 
du Baffan & Zuccaro. Le Convent : 
de S.George conferve encore comme « 
un trefor une Noce de Cana de la | 
main du premier. L'Eglife eft tres- 4 
bien bátie, & la Bibliotheque eft des 
mieux fournies que l'on puiffe voir. | 
. Jay dit qu'il y avoit beaucoup de 

curieux de medailles à Venife, & voi- | 
cy les noms des principaux. -Le Pro- 
curateur Iuftiniani en a un Cabinet | 
affez ample. La famille des Capello ; 
a herité de celuy d'Erizzo, qui en a. 
compofé un Livre. Monfieur Geor- 2 
gio Barbaro en a fait en peu de tems 2 
un recueil des plus confiderables.s 
Meffieurs Morofini,Garzoni, Zani,le” 
Baron de Taflis, le Docteur Bon , &! 
d'autres Nobles en ont auffi : fans: 
oublier le bon homme Francefco Ro 
ta,qui en fournit ces Gentilshommes, 
& qui m'en procura la connoiffance.! 


A 
1 
- 
| 
V 


rab Iur “τς 


ne. miens © À 


e d'Italie. 7j 
La Bibliotheque de S.Marc eft une 
des premieres de l'Europe pour la 
quantité de manufcrits Grecs; laiffez 
la plus grande partie par Le Cardinal 
Beffarion Grec de Nation. Le Vefti- 
- bule eft orné de ftatués, de buftes ὃς 
. d'infcriptions antiques , & le dedans 
. de cartouches peintes delicatement. 
| L'Abbé Gradenigo Candiot de Na- 
tion,qui eft un hóme fort civil;en eft 
Bibliothecaire, Apres qu'il m'eut fait 
voir les plus rares de ce lieu-là , fça- 
chant que la curiofité étoit l'unique 
objet de mes voyages , il me mena à 
l'ancienne maifon d'Erizzo, pour me 
faire voir cinq ou fix infcriptions ap- 
portées autrefois de Grece;parmi lef- 
quelles il y a l'Epitaphe de Diogene 
| le Cynique, avec fon chien gravé (ur 
la pierre. Celuy du Poëte Anacreon, 
qui s'étoufa en avalant de travers un 
| grain de raifin. Il fe trouve pourtant 
imprimé dans Theocrite , & l'on ne 
| fgait fi le Poëte l'a pris du marbre;ou. 
Ἢ le marbre l’a pris du Pocte, Le 
| Palais Grimani cft enrichi par dehors 
| & par dedans de dépoüilles fembla- 
bles d'Aquilée & de la Grece , car il 
| D 2 


76 Voyage de Provence, 
v a des buftes, des ftatués & des in- 


- 


fcriptions antiques. > ς | 
Pour ee qui cft des Eelifes , celle | 
de la Salue eft la plus fuperbe pour 
 V'Archite&are , quoy qu'elle ne foit 
pas encore tout-à-fait finie. Celle de 
$.Ican δὲ S.Paul a une place au de- 
vant; où eft la ftatueà cheval de Bar- 
thelemy de Bergamo , fameux Gene- 
ral des Venitiens, Dans: cette Eglifé | 
il y'a un tableau de Tirian,quirepre- | 
fente.le' crucifiment de S. Pierre, | 
Tout joignant eft l'Ecolede S.Marc; M 
où il yen: a de cres-beaux , & en ge: M 
neral ceux qui aiment la Peinturene M 
doivent pas oublier de vifitér toutes. 
ces Ecoles qui en font ornées. 1 
Je fus à Venife pendant toutes les | 
Fétes de l’Afcenfion,qui commencent | 
pat la promenade que le Doge & les 
premiers de l'Etat vont faire fur la. 
mer, montez fur le Bucentaure. C'eft. 6 
uneefpece de Galere à deux étages, 
enrichie tout autour de feulprure de! 
bois dore. On tient qu'elle à coûté. 
cinq cent mille livres, & le tapis. 
αὐδῶ érendi fur le dernier couvert, 1. 


toinme. les: houfles qu'on: jette: fur | | 


© dale ^ 97 
Y'imperiale des carroffes de nos Prin- 
ces , eft de velours rouge cramoifi 
avec de larges bandes d'or & une 
crépine de même étofe qui regne à 
lentour. On ne void que la parrie 
des rames qui touche l'eau, fans 
voir ceux qui les manient, & en ge- 
neral toute la fabrique de cette ma- 
gnifique Galere eft admirable. On ja 
tient toute l’année dans l’Arfenal 
{oûs un couvert , d’où l'on nc la tire 
que deux jours avant la Fête de l'Af- 
cenfion,lorfque le Prince avec le Se- 
nat & les Ambaffadeurs va époufer 
la mer, ὃς témoigner a tout le monde 
| par cette pompeufe ceremonie que la 
Republique eft maitreffe du Golphe, 
| comme clie l'étoit autrefois de tout 
| le commerce d'Orient. Deux Galeres 
& une Galeace fuivirent le Bucen- 
taure cette année-là , avec une quan- 
uté de peouques & de gondoles, qui 
font les carroffes de Venife. Il y en 
avoit julques à quatre ou cinq mille, 
& cela faifoivun tres-bel effet. Tout 
ce Cortege s'en «a au delà de l'écueil 
de Lido, & aprés s'étrc avancé envi- 
ron un mille dans la haute mer , le 

D 3 


78 Voyage de Dalmatie , j 
Doge époufe le Golfe de Venife ou ! 
la mer Adriatique, enjettant dedans. 
un anneau d'or avecces parolesLa- | 
ünes : Sponfamw te mare nofirum ΤῈ 
fignum «eri & perpetui. Doming: c'eft-.— 
à-dire; Nous vous époufóns nôtre mer, 
pour marque d'une veritable c perpe= 
telle Seigneurie. Le Patriarche don- | 
ne la benediction au bruit des ca- 
nons , des mortiers & des arquebu- 
zades, & toute la compagnie vaoüir | 
la Meffe à l'Eglife de Lido. Enfuite 


on s'en retourne au Palais,où le Do- } 


ge traite les Senateurs & les Procu- M 


rateurs de S.Marc 5 pour ne rien ou- | 
blier de la ceremonie d'un mariage. M 


RÉSISTER M 
LFVRE II } 
Voyage de Dalmatie, de Zante, e» 
autres Ifles des Venitiens ,& 
de Conffantinople. 


Gi Pnrs les réjoüiffances de. 
245) l'Afcenfion, nous áprimes que 


le Baile ou Ambaffadeur. des Veni- | 


& de I Archipel. 79 


tiens, partoit dans peu de jours pour 
Conftantinople. C'étoit un Morofi- 
ni qui a été Ambaffadeur en France, 
ou Monfieur Vernhon Gentilhomme 
Anglois qui devoit faire le voyage 
avec nous , l'avoit connu ; de forcé 
qu'il fe chargea de nous faire embar- 
quer avec luy , l'occafion étant trop 
favorable pour la negliger. 

Le 20.de Iuin 1675. on nous vint 
avertir qu'il falloit partir , ὃς nous- 
nous rendimes incontinent fur une 
|. Galere du Baile. Elle portoit pour 
enfeigne Hercule au berceau, & étoit 
commandée par un Gentilhomme 
Venitien appellé Benedetto Sanuii, 
Le Baile paffa detfus jufqu'au lende- 
main qu'un de fes patens luy amena 
la fienne. On fit voile fur le minuit, 
& le vent étoit fi doux , qu'à peine 
s'apercevoit-on qu'on avangàt. Nous 
ne laifsàmes pourtant pas de nous 
trouver le lendemain à la vüe de [1- 
ftrie, Deux heures avant midy nous 
donnámes fonds à l’écueil de S. An- 
dre, où il y a un Convent de S.Fran- 
| €ois dans une vüe tres-agreable que 
| forment les bofquets de cette petite 
D 4 


R O V- 
ViGNE 


P OL A. 


$o Voyage de Dalmatie , 

Id». On compte de Venife jufques- 
là environ quatre-vingt mille. 

. ROVVIGNE eft une petite Ville | 
tout joignant l'écueil de S. André,fur 
une langue de terre , dont le terroir 
yoifin cft tres-fertile en vignes & en 
oliviers. Le vin y eft bon,& je crois 
que c'cft la raifon pour laquelle on y 
void quantité de boiteux , parceque 
le vin violent eft le pere & le nour- - 


ricier de la goute & de la fciarique. M 


Les femmes y portent des vertuga- 
dins à 'Efpagnole , qui les rendent 
effroyables. 

POLA où nous allàmes moüiller 
le lendemain,eft une des plusancien- 
nes Villes del'Itrie, & ellefe fent 
2uffi beaucoup de fon antiquité. A 
peine y a-t-il maintenant fept à huit 
cent habitans,& ἢ l'on n'y voyoit pas 
des marques de fon ancienne gran- 


deur, perfonne ne croiroit que c'eüt M 


été une Republique , comme je l'ay 
appris d'une infcription gravée fur la : 


bafe d'une ftatuc de l'Empereur Se- M 


vere , où elle eft appcllée Refpublica | | 
Polenfis. Ce marbre eft à la Cour du 
Dome , & on faillit à le mettre aux | 


— (er de l Archipel. 8t 
fondemens du clocher qu'on y bâtit. 
Ce Dome(c'eft ce qu'autrement nous 
appellons Eglife Cathedrale) a été 
bâti apparemment fur les ruines de 
quelque Temple Payen , car nous 
xrouvâmes auprés, des reftes de co- 
lonnes , de chapiteaux & d'infcri- 

 puons antiques, & un petit baffin de 
Fontaine fort ancien, qui fert prefen- 
tement de benétier. Pola felon le 
Poëte Callimachus a été une colonie 
des peuples de la Colchide qui pout- 
fuivoient les Argonautes;car ne pou- 
vant fçavoir ce qu'ils étoient deve- 
nus, ils n'oferent retourner vers leur 
Roy, & fe bannirent volontairement 
de leur pays, ce qui donna le nom de 
Pola à la Ville qu'ils bâtirent , Pola 
fignifiant en leur langue des gens ban- 
7:5, comme le remarque Strabon. On 
eft en peine du chemin qu’ils tinrent 
pour venir en ce lieu-là ; car quel- 
ques Autheurs veulent qu'ils ayent 
remonté le Danube appellé ancien- 
nement Zf/er , ce qui leur fit donner 
le nom d’/ffrie à la Province qu'ils 
vinrent habiter , ὃς qu'eníuite ils f- 
rent voile dans la mer Adriatique 
D ; 


82 Voyage de Dalmatie , 
avec leurs mêmes vaiffeaux,ce qu'ils ! 
ne pouvoient faire qu’en les char- 
geant fur les épaules , le Danube. 
n'ayant point de cómunication avec 
ce Golfe. Quoy qu'il en foit,les an- 
tiquitez qui paroiffent à Pola ne font 
point des fiecles fi reculez,mais feu. 
lement du temps des Empereurs R o- | 
mains, Proche de laPlaceil y aun | 
petit Temple avec quatre colonnes | 
Corinthiennes à la façade , & huit | 
aux cótez , & une frifc de feuillages M 
qui regne autour, fort bien executée. | 
Le peuple dit que ç’a été un Temple | 
de Diane ; mais mes yeux me repre-m 
fenterent la chofe autrement ; car jy 
vids fous le fronton l'infcription dew 
fa dedicace à Rome & à Augufte. M 
Auffi les noms du vulgaire nous fer- 
vent peu à reconnoitre les Antiqui- 
tez. En voicy deux autres exemples 
dans cette méme ville de Pola.L'Am- | 
phitheatre appellé l'Orlandine ou 
Maifon de Roland, & une efpece 
d'arc de triomphe qu'on nomme /4 
Porta dorata. M fert maintenant de 
porte à la Ville, & n'en étoit pas au- 
iefois un des moindres ornemens 


P. #3. 


CN SERGIVSCF| 


L SERUIVS C! 
AED. HIVER 


AED uv are 


-—— 
: Vae 


k 


iid td 


D 


I. Lii NA 


e de I Archipel. 85 


Il avoit été erigé à l'honneur d'un 
certain Sergius Lepidus par les foins 
de fa femme. Quant à l'amphithea- 
tre, il eft à peu prés de la grandeur de 
celuy de Rome,& tout bâti de belles 
pierres d’Iftrie,à trois rangs de fené- 
tres l'une fur l'autre, & il y en a foi- 
xante & douze à chaque rang. L'en- 
ceinte en εἰ fort entiere , mais il n^» 
paroit aucüs degrez,& l'on tient auf- 
fi qu'ils étoient de bois. Palladius 
dans fon Architecture en a donné le 
plan & les dimenfions , que je n'en- 
treprens pas de corriger. Les Veni- 
tiens envoyent un Gouverneur à Po- 
la, & il porte le titre de Comte. Ils y 
ont bâti une petite Citadelleà qua- 
tre baftions,& l'ont laiffée imparfai- 
te,n”y tenant dedans que dix ou dou- 
ze foldats, qui craignent plus la fa- 
mine que la guerre. Le voifinage de 
Venife fait leur feureté, : 
Le foir de la S.Iean nos Galeres fe 
remirent à la voile , mais ayant trou- 
. vé le vent contraire,elles relàcherent 
à fix mille plus avant au Port de la 
Veruda , & le jour fuivant nous tra- 
;wersames le Golfe de Guarneret lar- 


(0 Cw RNC — REIECTA VE 


ZAÀR A. 


84 Voyage de Dalmatie, 
ge de dix-huit milles. La bourrafque 
nous y prit à moitié canal,mais nous 
en fümes quites pour la peur. Les 
Galeres ne font pas propres à refifter 
au mauvais temps , comme les autres 
bátimens; neanmoins les Venitiennes 
font meilleures & plus fcures que cel- 
les d'aucun autre pays, parcequ'elles 
ont par tout le boifage double. Le 
vent ne nous étant pas tout-à-fait 
favorable, nous fümes encore deux 
jours avant que d'arrivet à Zara, qui 
eft à cent milles de Pola, & à deux 
cent de Venife, On void en chemin 
plufieurs Ifles & plufieurs Ports à 
l'abry des écucils qui les forment, & 
pluficurs Bourgs & Villages de Dal- 
matie ; entr'autres l'Vlbo,Selva peti- 
te Ville affez jolie habitée de riches 
marinicts, & S.Pierre de Nembo, où 
il y a une tour ceinte de murailles,& 
gardée par douze ou quinze foldats. 
Nous entrámas à Zara au bruit des 
-canons & de la moufqueterie , qui 
faifoient honneur au Baile. Le Com- 
'te & le Capitaine des armes le vin- 
rent recevoir au fortir de la Galere, 
& le mencrent au Palais du Genera) 


οὐ de P Archipel. 8; 
de Dalmatie, qui le traita fomptueu- 
fement & le mena voir la Ville. Mais 
il ne luy donna pas la droite , parce- 
que les nouveaux Bailes n'entrent . 
pas dans la fonction de leur charge 
qu'ils ne foient arrivez à Andrino- 
ple, & que leur Predeceffeur ne les 
ait inftallez. On arrive à Zara par un 
beau & grand canal de mer , qui cft 
entre les [fles & la Terre-ferme. La 
Ville eft affife dans un lieu plain fur 
une langue de terre , qui n’eft atta- 
chée au Continent que par un Ifth- 
me de vingt ou vingt-cinq pas, qu'il 
leur feroit aifé de percer. Elle a de 
ce côté -]à une Citadelle tres bien 
fortifiée , avec trois Baftions minez 
& contreminez , couverts de bonnes 
Demi-lunes & contrefcarpes. Il y 
avoit alors dans la Ville huit compa- 
gnies d'Infanterie, & trois de Cava- 
lerie tres-lcfte | compofée d’Efcla- 
vons, de Croates,& de Tramontans. 
- Auffi c'eft la Capitale, & une des 
meilleures Places de ce que la Repu- 
blique poffede dans la Dalmatie , le 
Turc pendant la guerre de Candie 
. wen ayant jamais approché 9 fans y 
recevoir de la confufion, 


86 Voyage de Dalmatie , 
Zara s'appelloit anciennement /4- 
_ dera, & joüiffoit des droits de Colo- 
nie Romaine. Ey lás une infcription 
antique , où l'Empereur Augufte eft 
qualifié du titre de pere de cette Co- 
lonie, & il y eft ajoüté qu'il en avoit 
fait bitir les Tours & les murailles. 
Proche del'Eglife des Grecs appellée 
S.Helie, je vids deux belles Colon- : 
nes canelées d'ordre Corinthien , 
dont la bafe, le plinthe , le chapiteau 
& l'architrave font également de 


bonne maniere, On juge que c’eft le M 


refte d'un Temple de Junon par une 
infcription qu'on à trouvée proche 
delà, & que je vids dans l'ancienne 
Eglife de S.Donat. La porte de Saint 
Chryfogone cft compofée d'une par- 
tie d'Arc antique tran(porté d'un 
quart de lieu? au delà. L'infcription 
nous apprend quecet Arcétoitchas- M 
σέ de quelques ftatués , qu'il y avoit M 
en cét endroit-là un Marché, & qu'u- 
ne ceitalne Zdelia Anniana Yavoit 
erigé à l'honneur de fon mary Lap;- 
cius Baffi ; ce qui donne à connoître 
que la Ville avoit alors beaucoup 
. plus d'érendué qu'elle n'a prefente« 


IN MEMORIAM Q.LAEPIC Q-F-SERG. BASST MARITI κ᾽ 
EMPORIVM STERNI ET ARCVM FIERI ET 5 TATVAS SVPERPOM TEST, IVS5TT EX s 


e de ἢ Archipel. “87 
ment, le tour de fes murailles ne fai- 
fant pas plus de deux milles d'Italie, 
& le nombre de fes habitans ne pou- 
vant guere monter qu'à cinq ou fix 
mille.Dans l'enceinte d'une demi-Lu- 
ne il y avoitun refte d'Amphitheatre, 
dont on ne void maintenant aucun 
veftige, ayant été détruit pour regler 
la fortification. Les Romains ne 
pourvoyoient pas tant au divertiffe- 
ment, qu'ils ne pourvátfent davanta- 
ge au neceffaire, L'eau manquoit à 
la Ville, & méme prefentement il n'y 
a que des citernes. Pour remedier à 
ce defaut ils avoient faitun Aqueduc, 
| qui menoit l'eau de dix lieués loin 

delà. Il en refte quelques mafures, 
proche defquelles Monfieur l'Archi- 
diacre nous affura qu'on avoit trou- 
véun fragment d'infcription de l’Em- 
pereur Trajan , qu'on jugeoit par là 
en avoir été l'Autheur. Cét Archi- 
diacre s'appelle Vz/erie Ponte , hom- 
me fçavant , & qui poffede bien l’hi- 
.ftoire de fon pays. Il me fit voir par- 
mi fes Livres un manufcrit des in- 
fcriptions d'Iftrie & de Dalmatie. Le 
; Comte ou Gouverneur qui commane 


88 Voyage de Dalmatie, 


doit alors à Zara étoit un Noble Ve- 


nitien nommé Antonio Soderini, tres= 
civil & obligeant. Α nôtre arrivée 
nous fümcs d'abord à la feule hôtel- 


lerie qui eft à Zara , où nous aurions | 
été tres-mal logez ; auffi ne va-t-on | 


pas en ces pays-là pour chercher fes | 


aifes. Nous avions une lettre de re- 


commandation pour voir le Cabinet 


de ce Gentilhomme, & la luy ayant 


été prefenter , il nous receut avec | 


beaucoup de civilité , & nous retint 
à fouper. Cependant il envoya que- 
rit nos hardes , & nous fümes tout 


furpris comme nous voulions retour- - 


ner à notre logis , qu'il nous avoit 


deftiné un appartement dans fon Pa- - 
lais. Illa vá tout le Levant, & en a. 


rapporté un Cabinet de medailles 
confiderables. Ce qui vous furpren- 
droit dans cette abondance de belles 
chofes,ce feroit d'y voir cinq Othons 
de cuivre indubitablement antiques, 
& cela me fit reffouvenir de nôtre 
incomparable Monfieur de Pcyresk. 
Dans le temps que les Antiquaires 
croyoient comme un article de Foy, 
“qu'il ne fe trouvoit point de ces 


c de ἢ Archipel. 89 
Othons de cuivre antiques, il luy en 
vint une flote du Levant. De cinq 
qu’il en avoit,Monfieur le Procureur 
General de Paris en aquit deux.Mais 
le plus beau n’eût pas une fi bonne 
| fortune ; car l'heriner de Monfieur 
de Peiresk s'étant defait du Cabinet, 
il fe referva un Othon , parce qu'il 
avoit oùi dire que c'étoit une piece 
rare, Il le porta long-temps dans fa 
poche , pour le faire voir à fes amis, 
& une fœur qu'il avoit dans un Clot- 
tre l'ayant prié de le luy laiffer pour 
quelques jours , incontinent aprés 
elle tomba malade, ὃς mourut. On fe 
reffouvint de cette medaille d'Othon, 
on l'alla chercher parmi les hardes 
de la defunte , mais on n'en pót j2- 
mais apprendre aucune nouvelle, 

Si vous voulez qu’enfuite je vous 
parle des excellens tableaux qui fe 
voyent dans les Egliíes de Zara, je 
vous diray qu'au Dome , qui eft un 
allez bel edifice , on me fit voir une 
peinture de la Sainte Vierge avec 
S.Pierre & S.Antoine, de la main du 
Tintoret, & un autre tableau du Pal- 
ma.À Sainte Catherine un du Titian. 


9o Voyage de Dalmatie, 

A S.Dominique, un S.Ieróme & une 
Sainte Magdelaine du méme Palma, 
lzsus enfeignant danslaSynagogue | 
peint fur le bois des orgues par le 
Schiavonetto.A Sainte Marie,S.Picr- 
re & S.Ieróme duPalma, S.Frangois 
du Tintoret. Vn tableau dela Sainte 
Vierge du Diamantini , & un S.An- 
toine du Padoüanin. Dans l'Eglife 
de S.Simeon au deffus de l'Autel eft 
un corps Saint V Lade de ludée.Les * 
gens du pays dilent que c'eft S.Si- 


meon qui porta Notre-Seigneur dans . 


fes bras. On nous le découvrit à | 


caufe du Baile qui y entendit la Mef- i 
fe,& quand elle fut finie,nous l'allà- M 
mes voir. La Chaffc a un cryftal au | 


devant,& le corps paroit tout entier 


avec la chair deffechée , mais route- ! 
fois affez blanche. Les habitans le ! 
tiennent pour leur Prote&eur, & le 
portent quelquefois en proceflion 
par la Ville. | 

La campagne voifine eft affez bien 
cultivée , mais depuis que ceux de 
Zara ont eu des actes avec 
les Turcs , on n’y a point laiflé d'ar- 
bres. La montagne appellée la Mor- 


& de L'Archipel. ΟἹ 
laque qui regne le long dela Dalma- 
tie eft habitée des Morlaques fujets 
de la Republique , autrefois fugitifs 
d' Albanie , gens determinez & infa- 
tigables, qui ne demandoient pas 
| mieux pendant la guerre, que de ve- 
nir aux mains avecles Turcs. Vne 
poignée d'entr'eux faifoit des partis 
pour aller facager quelque Village, 
& ils en revenoient toüjours char- 
gez de butin. Ce font des gens fi ro- 
buftes , que les chemins étant tres- 
mauvais dans leurs montagnes,& les 
chevaux courant quelquefois rifque 
de fe rompre le col, quatre d'entr'eux 
porteront un cheval une vingtaine de 
pas en l'embraffant fous le ventre, 
Des perfonnes dignes de foy me l'ont 
affuré, & méme quelques-uns de ces 
Morlaques, de qui je m'en fuis parti- 
culierement informé, Quoy qu'il en 
foit, ils ont la mine terrible, & ils ne 
viennent point au marché avec leurs 
denrées , qu'ils ne portent avec eux 
leur fabre & leur carabine. Ils par- 
lent Efclavon , & fuivent la plüpart 
Ja Religion des Grecs. 

Le jour qui fuivit nótre depart de 


o» Poyage de Dalmatie , 


SEBE- Zara nous mena aux environs de Se- À 


NICO. 


benico. C'eít la plus forte place de | 
la Dalmatie, avec quatre bonnes Ci- 4 
tadelles. L'une eft au Port , & s'ap- 
pelle S.Nicolas. La feconde com- | 
prend les ouvrages qui renferment la ! 
Ville. Les autres deux {ont fur deux | 
eminences voifines,& on les nomme | 
S.André & le Baron. La Ville peut 
contenir fept à huit mille ames; mais 
avant la pefte il y en avoit prés de 
vingt mille, & le pays d'alentour eft M 


bien cultivé. Le Dome eft tout de M 


- marbre & d'une belle Architecture, M 


L'écueil d'or vis à vis de la Ville eft 
une Ifle tres-aercable & tres-bien M 
peuplée. De Zara à Sebenico l'on M 
compte $o.milles , pendant lefquels 
nous côtoyâmes Bibigne, S.Caffian, M 
la Torrette, Zara vecchia, & Morta- * 


τὸ qui porte en abondance des muf- M 


cats & des olives. Dé Sebenico à | 

Traou on va par canal entre la Terre M 
ferme & les Ifles de Girona & de « 
Bratza. Celle de Bua joint Traou,& 
on l'appelle auffi l'Ifle des perdrix, à 


caufe de la grande quantité qu'on y 4 


en trouve, On les envoye pour la | 


e de l' Archipel. 93 
| plus grande partie à Venife falées ὃς 
encaquees dans des barils comme des 

| harangs. 
| — TRAOV eft connu des Anciens 
foûs le nom de Tragurium, & Ptolo- 
| mée & Strabon en parlent comme 
d'une Ile. Jean Lucius a montré que 
| ce n'étoit qu'une Peninfule,& que le 
| canal qui la fepare du Continent cft 
| un ouvrage de l'art,& non pas de la 
nature, Ce Monfieur Lucius eft un 
Gentilhomme: de ce pays-là que j'ay 
| €u l'honneur de connoitre à Rome; 
où il s'eft habitué, Sa patrie luy cft 
obligée de l'avoir tirée des tenebres 
| de l'Antiquité, par l'hiftoire qu'il en 
 €fate. H a fait auffi imprimer les 
infcriptions de Dalmatie ὃς d’autres 
 fçavans traitez. Nous étions arrivez 
| à Traou à l'heure du dîner , & nous 
| cherchions un logis;,lors qu'on nous 
dit qu'il nous falloit pourvoir autre- 
| ment à nôtre diner., & que ce n'étoit 
pas la coûtume en ces: pays-là de te- 
 nirhótellerie. Le compliment étoit 
: fec pour des gens qui ne mauquoient 
pas d’appetit; neantmoins par grace 
6n nous conduifit en -un endroit de 


TRAOV. 


94 Voyage de Dalmatie, 
la Ville où l'on vendoit fimplement 
- du vin,& l'on nous fit entrer dans le 
corps de logis au deffous.Nous nous 
étonnámes de voir cette maifon qui 
eft affez belle , & qui a la vàe fur la 
mer, toute vuide & comme deferte, : 
& nous fümes encore plus furpris, 
quand on nous eut dit que c'étoit la. 
imaifon de ce Monfieur Lucius de qui - 
je viens de parler.ll y a plus de vingt- 
cinq ans qu'il l'a quittée , à caufe de | 
lincivilité dun General de Dalma- 
tie, lequel étant venu à Traou,luy fit M 
fçavoir qu'il vouloit loger dans cet- 
te maifon. Le Gentilhomme s'ap- —. 
rétoit à le recevoir , & fe refervoit | 
dent un appartement mediocre. * 
Mais Monfieur le Provediteur tran= « 


chant du Souverain envoya inconti- M 


nent aprés,fes gens pour mettre tous 
les meubles dehors. Cette incivilité 
le fàcha tellement, qu'il partit auffi- ὦ 
tôt de ce pays-là , & qu'il n'ya ja- 
mais voulu revenir. | : 
La Ville eft en affez bel afpe&, & « 
principalement le Fauxbourg qui cft 
fur l'Ifle de Bua. Elle peut renfermer M 
tnviron quatre mille ames. Le Dome : 


| εὐ del Avchipel. 95 
n'eft pas laid , & la porte a été tirée 
des dépouilles de la Ville de Salone, 
qui eft à douze milles de là. Ily a 
dans cette Eglife quelques Statues 
d'affez bonne main. 

Au refte nótre Galere ne vint pas 
donner fondsà Traou,mais nous pri- 
mes à Spalatro une Barque pour y al- 
ler. Ce fut principalement pour y 
| voir un manufcrit qui a fait grand 
bruit dans la Republique des Lettres 
il n'y a pas fort long-temps.C'eft un 
fragment de Petronius Arbiter , qui 
| manquoit à fes ouvrages imprimez. 
Comme en n'avoit jamais và cette 
piece, on s'imagina qu'elle étoit fup- 
pofée , & un jeu d’efprit de quelque 
Sçavant , qui avoit imité le ftile de 
| Petrone, Monfeur de Valois étoit 
un de ceux qui la tenoient pour fuf- 
pe&te, mais Monfieur Lucius & l'Ab- 
bé Gradi de Rome étoient de fes par- 
| tifans.Ainfi,côme s'il εὖτ été queftion 
de reconnoitre un Prince , l'Europe 
| étoit divifée en trois partis. L'Italie 
& la Dalmatie la portoient;la France 
& la Hollande la dcfavoüoient, & 
l'Allemagne fe tenoit neutre ; car le 


96  Voysee de Dalmatie, | 
doc&te Reinefius fit un. commentaite | 
fur ce manufcrit , fans ofer neant- 
moins rien prononcer {ur fon anti- 
quité.Monfieur le Docteur Statilius 
dans la Bibliotheque duquel cet oria 
ginal fe trouve,eft un homme de ine- 
rite,qui en auroit pü parler pertinem- 
ment , fi fes maladies ne l'en euflent M 
empéché ; ὃς Monfieur de Valois à M 
eu tort de le haee pour un jeune M 
homme , puifqu’il eft du moins pre- 

Íentement âgé de foixante ans. Jene 
veux pas remuer les cendres de cette 
guerre , quoyque l'effet n'en pát pas 
être fi funefte que de celle des Grecs 
& des Troyens , mais je ne laifferay | 


pas d'enrapporter ce que j'en ay re» M 


marqué. Ce manufcrit eft infolio | 
épais de deux doigts, contenant plus ο 
fieurs traitez écrits fur du papier qui 
a beaucoup de corps. Tibulle ; Ca- 
rulle & Properce font au commence 
ment,& non pas Horace,comme s'cft 
trompé l'Autheur dela Prefacerima 


primée à Padoüe. Petrone fuit dela | 
méme main , & dela maniere que M 


nous lavons dans nos Editions, 
Aprés, on. voit cette piece dont il.eft 
queftion, 


ce del Arvcbipel. ΟῸ 97 
queftion;intitulée F ragmentum Petro 
πὴ Arbitri ex libro decimo-quinto, e 
féxta-decimo , oi eft contenu le fou- 
per de "Trimalcion,comme il a depuis 
été imprime fur cét original. De Sa- 
las Eípaenol; qui à commenté cét 
Autheur fait mention d'un quinzié- 
c & feiziéme Livre , mais il ne dic 
as oil Pa và. Le Livre eft partout 
ien lifible , & les commencemens 
des Chapitres 8 des Poëmes font ew 
araCteres bleus & rouges. Pour ce 
ui eft del antiquité du manufctit, 
| ne faut que s'y connoitre & le voir 
our n'en pas douter, & l'on doit en 
sette rencontre ajoüter plus de foy 
ux yeux qu'au raifonnement.. M. le 
Dot, Statilius nous fit faire une re- 
arque que lés autres n'avoient pas 
aite; c'eft que fous la page 179.l'an- 
iée qu'il a été écrit eft marquée de 
erte maniere : 1423. 20. Novemb. 
Ze fiecle-là n'avoit pas des efprits fi 
ien-faits que Petront;pour: pouvoir 
e déguifer foûs foh nom. 

Nous rencontrâmes auffilà un au- 
€ homme fcavant;appcllé Monfieur - 
Doéteur Dragatzo , qui nous fit 


SPALA- 
TRO, 


LA 


98 Voyage de Dalmatie , 


voir quelques Infcriptions antiques | 
dans fon jardin,& nous informa des 4 
particularitez du pays, en quoy jene. 
trouvay pas qu'il y eüt rien de fort 
remarquable. 

SPALATRO n'eft qu'à douze 
milles de Traou, & environ à quatre: 
cent de Venife.Il n’eft pas plus grand. 
que le lieu que nous venons de qui- 
ter, mais il eft deux fois plus peuplé, 
parceque c'eft une échelle pour les | 
Caravanes de Turquie , qui déchar- 
gent là leurs marchandifes pour Ve- 
nife. Le Port eft grand, & a bong 
fonds & bonne tenué;quoy qu'il foi 
un peu à découvert au Sud. & Sud-# 
Oùeft. Au fond du Port proche des 
murailles de la Ville il y a un beau 
& grand Lazarer. C'eft le nom que] 
les Italiens donnent aux lieux où l'on? 
fait la Quarantaine.Le Baile y logea] 
faute d'autre lieu plus commode , &J 
nous y primes auffi une chambre οὐ 
il n'y avoit aucii meuble. Nous nous 
arretámes dix ou douze jours à Spa- 
latro , & la caufe de ce retardementj 
fut. que le Baile ayant refolu de s'en 
aller à Conftantinople parterre , illt 


& de l'Archipel. 99 


fallut aller querir à cinq journées de 
là des chevaux pour 56 equipage.Ain- 
fi nôtre Galere attendant fon depart 
pour continuer fon voyage,& porter 
les hardes les plus embarraffantes,& 
les prefens pour le Grand Seigneur, 
nous cümes le temps que nous fou- 
haittions pour voir les curiofitez de 
Ja Ville. 

L'abord de Spalatro par mer eft 
fort agreable , & il eft fitué au fond 
d'un grand Port fait en demi-Lune, 
a Ville eft quarrée , & n'a pas plus 
d'un mille de tour. Dans les monu- 
nens anciens de trois à quatre cent 
ns elle eft appellée Spaletum, Spala- 
um ὃς Afpalaium, & de cette manie- 
ce Spalato me fembleroit plus con- 
forme à l'origine, que Spalatro, quoy 
que ce dernier foit plus en ufage.Ce 
iom-là luy peut être venu du mot 
Latin Palatinm , parceque ce n'étoit 
|inciennement qu'un Palais de l'Em- 
»ereur Diocleuan , natif de Salone, 
ui n'eft éloignée de Spalatro que 
l'une lieud, comme on l'apprend par 
{fa tradition du lieu,& par ce qu'en a 
[lit Conftantin Porphyrogenete , qui 
2 


100 Voyage de Dalmatie , 
rematque que ce Palais étroit tout | 
bâti dc grádes pierres detaille, Ceux | 
qui l'ont pris pour l'ancienne ville | 
d'Epetium , fe {ont écartez de fix ou | 
fept milles, car on en void les ruines | 
plus au delà vers l'emboucháre de la 
petiteriviere de Zarnowiffa. Spala- 
tro cft fortifié de bons Baftions de | 
pierre de taille, dont il y en a trois 
entiers du coté dé la terre, & deux | 
demy vers la mer. Mais ce qui le rend. 
plus foible, c'eft que le terroir d'a- 
lentour eft plus hauc, & que la colli-. 
neau Couchant où eft le Fauxbourg; 
commande toute la Ville. 3 

A la portée du imoufquet hors de: 
Ja Porte du Lévant,il y a une Forte- 
reffe fur une eminence, qui comman- 
de auffila Ville;avec quatre Baftions, 
qui ne font ni achevez, ni réguliers. 
Auffi les Venitiens y tiennerit peu de! 
fofdats, & ils fe fient fur leur Forte-- 
τεῖς de Cliffa , foûs laquelle il faut) 
paller pour venir de Turquie à Spa- 
Jairo. Il y a un autre petit Fort de 
terre que le Chevalier V ernede avoit 
fait faire à la pointe du Croiffant qui 
forme le Port : mais comme ils ont 


€ de l'Archipel. 101 
prefentement la paix avec le Turc, 
ils le laiffent ἃ l'abandon , & n'ont à 
Spalatro qu'une compagnie d'Infan- 
terie ; & la moitié d'une de Cavale- 
rie, l'autre moitié fe tenant à Cliffa; 

Le Dome de Spalatro étoit autre- 
fois un petit Temple au milieu du 
Palais de Diocletian. 1l eft oétogone 
au dehors , & rond au dedans , tour 
bâti de belles pierres de taille, horf- 
mis la voûte qui eft de brique , au 
deffous de laquelle cft une galerie 
foûtenue de huit colonnes Corin- 
thiennes de porphyre & de granite. 
Entre lecul de lampe & cette gale- 
ricily a une frife chargée de diffe- 
rens animaux , de feftons , de malca- 
rons, & de quelques tétes , qu : 
gens du paysentétez du nom de Dio- 
cletian , prennent pour des têtes de 
ét Empereur. Au dehors du Tem- 
le regne à moitié de fa hauteur un 
corridor couvert de pierres de taille 
ravaillées en compartiment, & foû- 
enu de huit colonnes Corinthiennes 
e marbre , avec une frife bien tra- 
allée: On.y montoit par un autre 
Lemple quarré long;qui donnoit auf. 


2 


102 Voyage de Dalmatie , 

fi l'entréeà un autre Temple rond au 
fond , & cn avoit un autre petit à 
main droite qu'on appelle mainte- 
nant S.Iean Baptifte. La place & la 
difpofition de l'ouvrage étoient de 
quelque bon maitre, mais dans le de- 
tail les corniches,les feuillages & les 
chapiteaux n'étoient pas de fi bonne | 
maniere que du temps des premiers | 
Empereurs. Depuis que ce Temple a 
été changé en Eglife , on Ya percé 
pour y faire un Chœur,& on y a fait | 
quelques jours ; car auparavant il ne 
recevoit de jour que par la porte.Les 
Payens faifoient prefque tous leurs | 
Temples obícurs, pour ne pas profa- — | 
ux des mortels les myfte- 


des flambeaux & des lampes 
qu'on y allumoit. i 

On a auffi ajoüté au devant dela 
porte fur l’efcalier un tres-beau Clo- 
cher , percé de quantité de fenétra- M 
ges,dont les materiaux de marbre ou 
de belle pierre ont été tirez des rui- — 
nes de Salone, parmi lefquelles nous: 
trouvámes quelques Infcriptions qui | 
parlent de cette Ville, — Appian δῖ. 


i-o 
: 


1.3.4. Portes du Palais 5: Milieu detout Ledifice. € "Temple quarré decouuerr 
7 Temple Octogone 8 Temple Rond 9 Petit Temple quarre OT DRE 0 


Ortens 


sarpriw 


Septentrio 


res 


€ ice - 


& de l Archipel. 103 
Gruter en citent une dans ce Temple 
quarré proche d'une Idole de Cybe- 
le. Py vids l'infcription ; mais cette 
pretendué idole n'eft autre -chofe 
qu'un Sphinx. de marbre granite 
d'Egypte. Les colonnes qui font 
là autour font aufli de la méme 
pierre. 

Les murailles du Palais de Dio- 
cletian qui embraffent les deux tiers 
de la Ville, font prefque entieres, & 
font un quarré jufte , avec une porte 
au milieu de chaque face. Il en refte 
rois d'une architecture aufli belle 
ue folide.Les pierres foûs l'arc font 
ntées en mortaile les unes fur les 
utres;ceux qui bátiffoierit alors pre- 
endant de cette maniere rendre leut 
voute plus affurée. Aux cótez de cha- 
ue porte il y avoit deux petites 
ours hexagones;qui gardoient Pen 
crée, & y ajoütoient quelque embel- 
iffement. Tout ce quartier de la 
ille enfermé dans cette enceinte eft 
oüté en plufieurs endroits, & a quä- 
ἴτέ de mafures antiques. Du côté de 
à marine il y avoit un corridor entre 
& Palais & un mur élevé à même 
E 4 


104 Voyage de Dalmatie , 
hauteur , mais percé de fenétres qui 
luy laiffoient la vàe de la mer. Ces 
fenêtres ont des entre-colonnes & 
une frife deffus d'ordre Doriqueaffez: 
bien proportionnée, Nous y trouva - 
mes une douzaine d'infcriptions qui 
peuvent avoir été portées de Salone, | 
& dans l'Eglife de S. Frangois un bas | 
relief avec 2 5. figutes où environ,qui 
paroiffoit étré la vi&toire de Conftan- ! 
tin fur Maxence qui fe noya dans le ὦ 
Tybre. Vers la pointe Occidentale 
du Port il y a une Eglife de S.Geor- 
ge.qui eft apparemmentl'endroit ap- 
pellé Ad Dianam , dans la Table de | 
Peutinger,à caufe de quelque Temple | 
de Diane qui y etoit. Prés de la porte 
pat où Jon fort en ce quartier-là , ik 

a deux ou trois. petits rüiffeaux M 
d'eau falée & foufrée qui coulent | 
dans la mer, & dont l'on ne tire ad- 7 
cun avantage. | | 

Le Gentilhomme Venitien qui « 
commandoit alors à Spalatro, appel- « 
lé François Lauredano a été Prove- 
diteur à Cerigo. Il nous fit voir des ἡ 
colonnes qu'il en avoit apportées. Il 
femble qu’elles foient de marbre | 


& de l'Archipel. τος. 
blanc tranfparent,mais ce n’eft qu'u- 
ne-eau congelée qui fe petrifie dans 
les grotes de cette Ifle. 

Le temps que nous fejournâmes à 
Spalatro ne nous dura pas , parceque 
nous y decouvrions tous les jours 
quelque chofe de nouveau , & que 
d'ailleurs on y fait tres-bonne chere. 
. H n'y avoit à redire qu'au logement 
qui n'étoit pas fort commode,n'ayant 
trouvé que quatre murailles. nues. 
Les perdrix n'y valent que cinq fols, 
δέ un liévre n'y coûte guere davanta- 
tage. On a la viande de boucherie 
pour un fol lalivre , ὃς les tortues 
groffes comme les deux poings pour 
quatre ou cinq fols. Mais le plus fou- 
vent nous aimions mieux faire mai- 
gre & manger de ces petites truites 
de Salone , dont l'Empereur Diocle- 
tian étoit fi friand, que de peur d'en 
manquer il avoit fait un conduit ex- 
prés qui les amenoit dans fon Palais; 
Elles font affurément de tres- bon 
goût : mais celles de la riviere Afca 
nius dans la Natolie , où nous avons 
depuis paffé en allant à Smyrne, font 
encore meilleures. & beaucoup plus 

ἼΣΗΝ 


1o6 Voyage de Dalmatie , 
groffes. Il n'y avoit point , comme 
j'ay dit, d'hótellerie dans la Ville, fi 
ce n'eft un petit cabaret que tenoit 
une Allemande qui nous apprétoit à 
manger. Vn foir que nous foupámes 
trop tard, nous trouvámes les portes 
dela Ville fermées,comme nous vou- 
lions nous retirer à nótre chambre 
du Lazaret.Nous crümes quele Gou- 
verneur auroit la civilité de nous fai- 
re ouvrir pour ne pas laiffer coucher 
des Etrangers furla dure. Mais il 
nous fit dire que le mot du guet étoit 
donné,& qu'il falloit prendre patien- 
ce. Nous priâmes un foldat de nous 
chercher quelqu'un qui nous donnât 
au moins le couvert, & nous trouvá- 
mes enfin un Gentilhomme du lieu 
nommé Pierre Alberti , qui nous re- 
ceut tres- bien, & nous coucha beau- 
coup mieux quenous n'étions fur nos 
Strapontains ordinaires.-Mais il faut 
vous dire quelque chofe de Salone 
& de Cliffa,que nous fümes voir en- 
fuite. 

SALO. SALONE étoit une Ville fimeufe 

NA. dans l’Antiquité,rnais nous n'y trou- | 
vâmes que des mafures » & il n'y 4 


G del Avchipel. 107 


plus qu'une Eglife avec quatre ou 
cinq Moulins. Les Villes periffent 
auíh bien que les hommes. Elle étoit 
dans uue belle plaine à deux milles 
de la montagne Morlaque qu'elle 
avoit au Nord, & s’érendoit jufques 
à un petit golfe qui étoit fon Port, 
dans lequel va tomber la petite ri- 
viere qui paffe au milieu , & où l'on 
pêche les truites. Elle eft dans une 
égale diftance de Cliffa & de Spala- 
tro , c'eft-à-dire , environ à quatre 
milles de l'une & de l’autre.Elle pou- 
voit avoir huit à neuf milles de tour, 
mais ceux du pays en difent davan- 
tage. Nous étions quatre de compa- 
gnie,& nous avions autant de voitu- 
rins à pied , qni étoient quatre Mor- 
laques,& bien qu'ils fuffent d'un re- 
gard terrible & tels que j'ay depeint 
plus haut ceux de cette Nation, nous 
en fümes pourtant affez bien fervis, 
& on auroït de la peine en nos quar- 
tiers à trouver de plus honnétes gens 
de cette profeflion. Ils nous mene- 
rent voir parmi ces ruines un trou 
qu'ils difoient être le fepulchre de S. 
Domne premier Evéque de Salone ὃς 


CLISSA 


108 Voyage de Dalmatie , 4 
difciple de S. Pierre, & prés de ἴὰ 
deux autres fepulchres de S.Anaftafe — | 
& de S.Rainier Prelats du même | 
lieu. Le chemin qui va delà à Cliffa 
portoit anciennement le nom de 254 - 
Gabiniana, comme je l'appris par une 
infcription antique. 

CLISSA eft le lieu que Prolomée 
appelle Andecrium , ὃς Strabon A4n- 


derrinum. Mais cette pierre dont je — | 


viens.de parler le nomme Andetrium, 
& ccs monumens font plus certains 
que les livres qui ont pà étre alterez 
par les copiftes. C'eft une Citadelle 
de grande importance , qui fut prife 
aux Turcs par les Veniuens fous le 


commandement de Fufculo Provedi- 


teur de Dalmatie. Elleavoit été au- 
trefois à l'Émpereur d'Allemagne, & 
l'on dit qu'une Reine de Hongrie l'a- 
voit fait bàrr. Depuis que la Repu- 
blique la tient, elle en a fait fauter 
une partie au devant pour la rendre 
plus forte & plus aifée à garder. Elle 


eft fur une créte de colline entre deux 


hautes montagnes, fur le chemin de 
Turquie en Dalmatie. La fentinelle: 
void tous ceux qui paflent ,. & les 


C de l'Archipel. ^. 109 
oblige à parler. I] n'y a pourtant ni 
Baftions,ni ouvrages de dehors,mais. 
feulement quelques terratfes , & le 
soc fert de muraille. L'eau y man- 
que , & le froid y eft terrible en hy- 
ver. Je m'imagine que c'eft une rude 
penitence pour un Gentilhomme Ve- 
nitien d'y aller faire pendant deux 
ans la charge de Provediteur. Il y a 
deux compagnies d'Infanterie , & la 
moitié d'une de Cavalerie. La caufe 
de fa prife fut , outre les vives atta- 
ques qu'on y avoit données , une 
bombe qui tomba fur la Mofquée, 
pendant que les Tures étoient à leur 
devotion,avec l'efperance qu'ils per- 
dirent d'un fecours qui fut defair. Ils 
fe rendirent vies & bagues fauves, 
mais les Morlaques leurs ennemis ir- 
reconciliables les attendirent à un 
paffage, & les taillerent tous en pie- 
ces de leur propre mouvement. Te 
vids à Traou une infcription appor- 
τές de Cliffa, c'eft peu de chofe,mais 
toutefois cela montre fon antiquité, : 
Il ne faut pas s'étonner fi Ptolomée 
l'à mal placée,veu qu'il eft peuexa& 
£n ces quarüiers-]à , car il fait Traou 


LIESI- 
NA, 


lo — Voyage de Dalmatie, | 
plus meridional d'un degré que Sa- 


.lone,quoyque celle-cy approche plus 


du Midy que l'autre. De Spalatro 
nous paísámes à Liefina en moins de 
quinze heures. 

LIESINA eft une Ifle que Ptolo- 
mée appelle Pharia, & Strabon Pha- 
γος, d'environ cent milles de tour, 
mais ce ne font que rochers & terres 
ingrates propres pour des lievres & 
des lapins. Auffi les peuples de lIfle 
qui font au nóbre de trois oa quatre 
mille fe font tous retirez àla Ville du 
méme nom, afin d'y voir quelquefois 
aborder les Etrangers dans leur Port. 
Pour les recevoir avec plus d'hon- 
neur, ils y ont fait un tres-beau mole 
de marbre & de pierre de taille , qui 
environne le demi-cercle de ce Port. 
Les écueils qui font vers l'entrée font 
d'autres moles naturels, où les vaif- 
feaux font à l'abry. Sa fituation ref- 
femble à peu prés à celle de Genes, 
mais vous pouvez bien croire qu’elle 
n'approche pas de fa beauté. Il y à 
de tres-bon pain & de tres-bon vin, 
& forces fardines pour exciter l'ap- 
petit;dont ils fourpiflent l'Icalie διὰ 


e del Archipel. ΠῚ 
€rece.Leur péche en eft affez curieu- 
fe,& voicy de quelle maniere nous la 
vimes faire. Dés qu'on fçait que les 
Sardines doivét venir,enMay & luin, 
on va dás les enfoncemés des écueils 
de Dalmatie,où elles fe tiennent,pour 
fuir fans doute la rencontre des gros 
poiffons qui les avaleroient. Les 
appréts fe font le jour , & la nuit on 
allume à la poupe d'une petite bar- 
que un feu d'éclats de pin , & on les 
và chercher à deux ou trois cent pas 
delaterre. Quand les Pécheurs qui 
rament doucement en ont obfervé 
quelque gros peloton , qui fuit leur 
lamiere,ils s'en vont du côté de leurs 
filets, & dés qu'ils font dans l'encein- 
te , ils leslevent promptement , & 
rempliffent leur Barque de cepoitfon. 
Les meilleures fe trouvent à l'ifle 
voifine de Lifla. Les Turcs qui ne 
manquent pas d’efprit , fe gueriffene 
de plufieurs maladies avec des Sar- 
dines,qui font rares en Turquie.]ene 
{çais pas fi l'imagination y contribue 
quelque chofe,mais le remede ne de- 
plairoit pas à des marelots de Pro- 
vence , qui en font un de leurs prin- 

: 
cipaux ragoáts, 


€OVR- 
&ZOLA. 


12  Poyage de Dalmatie , 

. Je ne vous parleray pas dela Ci- || 
tadelle , ce n'eft qu'un nid de cor- 
beaux , qu'on abbatroit aifément de: - 
deffus les pointes voifines des ro- 
chers. Auffi n'y tient-on pour toute . 
garnifon qu'un fimple foldat,qui fait 
l'office de Capitaine , de Sergent & 
de Portier,à peu prés comme celuy de 
Plaute. Nótre Galere aprés avoir fait - 
provifion de bifcuit pour la Chiour- 
ine profita du bon vent, qui la porta 
cinquante milles dans une apref-di- 
née jufqu'à Courzola. ' 
COVRZOLA eft une petite Ville : 
dans une Ifle de méme nom, du ref- . 
fort de Venife auffi bien que Liefina, 
& les Anciens l'appellent Corcyra ni- 
gra. La maniere dont les Ragufiens | 


lont perdue eft affez plaifante. Ils T" 


étoient brouillez avec les Venitiens, 
qui ont un écueil appellé S. Marc qui 
commande la ville de Ragufe , avec 
un petit rocher encore plus prés, qui 
m'a pas plus de terre-plain qu'il en 
faut pour les fondemens d'une mai- 
fon mediocre qu'on y a depuis bâtie. Ὁ 

Les Venitiens y envoyerent donc une. + 
nuit des gens qui y bâtirent un petit 


C de I Arcbipel 113 
Fort de carton peint couleur de ter- 
τε, ὃς y porterent quelques canons de 
bois fabriquez à la hâte. Le matin 
ces petits Republiquains ayant và 
une Citadelle achevée & garnie d'ar- 
tillerie en fi peu de temps, en furent 
fort allarmez, & demandant à parie- 
menter furent bien aifes d'en être 
quittes pour l'Ile de Courzola qu'ils 
cederent aux Venitiens en échange 
de ce méchant rocher. Mais pour 
l'écueil deS.Marc qu'ils demandoiét, 
on n'en voulut pas entendre parler. 
La terre ferme le long de la mer vis- 
à-vis de cette Hle eft encore à eux, ὃς 
ils y ont de beaux jardins appellez 
Sabionera. Cependant Courzola cft 
fort utile à la Republique de Venife, 
parce qu'elle luy fert comme d’Arfe- 
nal pour fabriquer & radouber les 
bátimens , étant prefque toute cou- 
verte de bois de haute fuftaye. Les 
Sardines & le vin font fes principaux 
revenus.Elle a cinq Villages peuplez 
de 14.à 15. cent ames chacun , mais 
la Ville n'en a guere plus de millc,&c 
l'enceinte n'a pas plus d'un quart de 
lieu. Les murailles ont été báties 


114 Voyage de Dalmatie , 

par Dioclctian, auffi bien que le Do- 
me de S.Marc , qui eft au milieu fur 
une eminence , & auquel toutes les 
rues vont aboutir en montant. A la 
façade foüs l'angle du toi& cft un 
bufte de marbre d'une femme cou- 
ronnée. On nous dit que c'étoit la 
téte de la femme de cét Empereur, 
Mais je n'en voudrois pas être cau- 
tion , ne l'ayant point connue ni par 
les medailles,ny par les ftatuës. Elle 
εἴ pourtant antique,& l'Eelife auffi, 
qui a deux rangs de colonnes en de- 
dans l'unefur l'autre. Les materiaux 
en font prefque tout de marbre ; qui 
fe taille dans l'Ile même à quatre ou 
cinq milles delà. Ii y a peu de mai- 
fons qui n'en foient pareillement bà- 
ties, mais ils ne prennent pas le foin 
de le polir. Comme cette Ifle eft plei- 
ne de bois;cela fert d'azile à plufieurs 
bêtes fauvages. On y void entr'au- 
tres un certain animal qu'on me dit 
étre fait comme un chien , mais il a 
le cry d'un chat ou d'un paon. Sion 
allume du feu la nuit proche de ces 
bois, on en entend un grand nombre 
crier & entonner une mufique enra- 


ὦ de P Archipel. II; 

gcc : de forte que ceux qui ne les ont 
jamais ouis , les prennent pour des 
gens qui crient. On dit encore qu'ils 
deterrent les morts pour s'en nour- 
rir, du refte ils ne font bons à rien, fi 
ce n'cít qu'on*en peut faire quelques 
méchantes fourrures. Les Grecs les 
appellent Zachalia , & les Turcs 
1 chabal.Nous enavons oùi hurler en 
Natolie proche d'Ephefe, & à Sainte 
Maure. Ie crois que c'eft l'ZZjaua des 
Anciens, que quelques-uns ont dit 
être une année mále , & l’année fui- 
vante femelle ; mais Ariftote nie 
cette pretendue metamorfofe. Cette 
reffemblance méme de la voix hu- 
maine peut avoir donné lieu à ce que 
Pline en rapporte de fabuleux,qu'el- 
le imite fi bien la voix d'un homme, 
qu'elle apprend quelquefois des 
noms de Bergers pour lcs faire fortir 
de chez eux en les appellant , & les 
devorer enfuite. 

En pourfuivant nôtre route nous 
vimes les Ifles d’Augufta , de Mezzo 
& de Meleda, qui appartiennent à la 
Republique de Ragufe. Puis, nous 
donnàmes fond à Sainte Croix, qui 


t 


1716 74 voyage de Dalmatie, 
eft un beau Port de cét Etat,oà Mon- 
fieur le Doge a une maifon de plai- 
fance qui merite peu un pareil nom ; 
mais les Bourgeois y en ont d'affez 
paffables. Nous voguámes le jour 
fuivant à la vüe de Ragufe , qui a de 
la peine à fe relever depuis le furieux 
tremblement de terre qui l'abima 
prefque toute, Douze milles au delà 
il y a un village appellé Raguía vec- 
chia, qui étoit l'ancien Epidaure, au 
delà duquel font les bouches de Cat- 
taro où nous entràmes, Delà nous fi- 
mes voile pout traverfer le golfe de 
Lodrin , qui n'a pas moins de 180. 
milles de trajet. C'eft le celebre gol- 
fe d' Apollonie, où Cefar courat rif- 
ue dela vie. Nous laifsámes la peti- 
te fortereffe de Budua derniere place 
des Venitiens en Albanie. Enfuite fi 
lon voguoit terre-à-terre comme - 
nous Fimes au retour , on void Dul- 
cegno , autrefois Wlcimium , Ville 
des Turcs , qui peut contenir fept à 
huit mille ames 9. & qui eft une affez 
bonne échelle, c'eft-a-dire dans le 
langage du Levant, une Ville dene-. - 
goce. Les Francs y ont un Conful. 


| 
| 
| 
| 


e de P Archipel. 1:17 
Durazzo,qui étoit ie Dyrrachium des 
Romains , n'cft qu'un Viliage avec 
une Forterc{fe ruinée. On void en- 
fuite le golfe de Boyana avec une ri- 
viere de méme nom qui entre dedans, 
& que l'on nommoit autrefois Dri/o. 
Le long du méme rivage on trouve la 
riviere de la Pollona, à qui le voifina- 
ge d'Apollonie a donné le nom;mais 
l'eau refte,& la Ville ne fe void plus, 
& Aulon , que par corruption nous 
appellons /aF/aloze. A trente milles 
de là en terre ferme il y a une mon- 
tagne , oü fe trouve une fontaine de 
Poix, dont les Anciens ont fait men- 
tion , & l'on en calfeutre les Vaif- 
feaux, étant mélée avec du goudran. 
L'écueil de Safeno à fix milles de la 
Valone borne le golfe de Lodrin au 
Sud-Eft. Comme nous traverfions 
ce golfe, nous apperçûmes à la poin- 
te du jour un Brigantin, qui fe retira 
dés qu'il nous eut découvert , ce qui 
nous fit croire que c'étoient des Cor- 


faires; particulierement lorfque nous 


vimes qu'il tournoit la proüe du côté 
de la Valone. Nous le pourfuivimes 
chaudement, & nôtre Chiourme fit fi 


\ 


118 Voyage de Dalmatie, 
bien , qu'en moins d'une heure nous 
en fümes à la portée du canon. Nous 
le faluàmes de trois ou quatre volées, 
qui l'obligerent d'amener les voiles. 
Mais il fe trouva que ce n'étoit qu'u- 
ne Barque de Cefalonie chargée 
d'huiles & de fromages pour Venife, 
laquelle nous avoit pris nous-mêmes 
pour des Corfaires. Ainfi chacun 
pourfuivit fa route , les Cefaloniens 
bien aifes de n’avoir eu que la peur 
du mal qu'ils craignoient , & nous 
triftes de n'avoir eu que l'cfperance 
du profit que nous attendions, 

Le vent nous étant favorable,nous 
nemoüillàmes point à Safeno. Le 
Comite de nôtre Galere nous conta 
une chofe étrange qui y étoit arrivée 
depuis quelques années.Il étoit alors 
Pilote d'une autre Galere , & avoit 
jetté l’ancre en ce lieu-]à. Deux for- 
cats de (a Chiourme,& un d'une Ga- 
lere de compagniefe fauverent, & fe 
cacherent parmy les broffailles, juf- 
qu'à ce qu'on füt parti. Mais que 
croiriez-vous que firent ces mifera- 
bles? Aprés avoir demeuré là deux : 
ou trois jours, & n'ayant plus rien à 


e de PArchipel. 119 


manger dans ce lieu defert , les deux 
camarades de la Chiourme de nôtre 
Comite dclibererent fur les moyens 
de conferver leur vie jufqu'à l'arri- 
vée de quelque bâtiment , & refolu- 
rent de tuer celuy de l’autre Galere 
qui s'étoit fauvé avec eux , pour le 
manger. lls executerent ce qu'ils 
avoient projetté, & fe nourrirent en- 
core quelques jours du corps de ce 
miferable , jufques à ce qu'un Vaif- 
feau étranger venant aborder en ce 
méme lieu, ils s'y embarquerent , & 
| pafferent à Venife. 

Des environs de Safeno nous dé- 
couvrimes les Monts Acrocerauniés, 
appellez maintenant les montagnes 
de la Chimere. Du coté de la mer ils 
font peuplez de cinq ou fix Villages, 
qui font téte au Turc , & ne veulent 
| pas payer le caratfch ou tribut par 
tête. Le principal de ces Villages 
s'appelle /a Chimara , pofté fur une 
roche efcarpée , où tout le pays fe 
| peut retirer en cas de befoin. De 

plus , fi on vouloit les venir prendre 
| par mer, ils fc fauveroient dans leurs 
montagnes prefque inacceffibles avec 


120 — Voyage de Dalmatie, 
leurs troupeaux ; & fil'on venoit les 
chercher par terre , il y a des patfa- 
ges fi étroits , qu'ils deferoient une 
armée à coups de pierre.Ils font bons 
foldats , & ils fuivent la Religion 
Greque ; mais ils font d'ailleurs fort 
adroits à dérober,comme les Magno- 
tes, aufi ont-ils defcédus des Mace-- 
doniens,comme les Magnotes le font 
des Lacedemoniens , deux peuples 
également belliqueux ; ils ont. un 
bon Port appellé Porro-Panormo, où 
toutefois peu de bâtimens ofent 
moüiller ; car on dit qu'ils vendent 
les Turcs aux Chrétiens, & les Chré- 
tiens aux Turcs, Ils fe foümettent 
neancamoins pour le fpirituel au Me- 
tropolitain de Jana ,qui eft une 
grande Ville à deux journées de là. 
Nous commengámes alors de nous 
voir àl'entrée de la Grece, ce qui 
nous donna autant de joye qu'Enée | 
eut autrefois de chagrin loríqu'il | 
paffa en ces quartiers-là. Carilcone | 
fideroit les Grecs comme les deftru= " 
€teurs de fon pays; & nous,nous les: 
regardions comme des gens,auxan- - 
cétres defquels nous avons obliga- | 
tion 


e del Archipel. —— 121 
tion des Sciences & des Arts. Nous 
eûmes aufli plus de bonheur qu'E- 
née, car il fut fept ans pour aller de- 
puis Troye aux environs du Tibre,& 
nous vinmes en deux mois de Rome 
à Troye. 

L'ISLE DE CORFOV eftla pre- 
| miere desIfles confiderables que l'on 
| rencontre à la fortie du Golfe de Ve- 
nie, & qui appartient avec Cepha- 
lonie & Zante à la Sereniffime Re- 
| publique. Elle s'appelloit ancienne- 
ment Pbazcia , & depuis on la nom- 
ma Corcyra du nom d'une Nymphe 
qui y bâtit une Ville. Les Grecs d'a- 
prefent l'appellent Corfi ; ou Cor- 
fous. 

CASSOPO , où nous abordàmes 
premierement , étoit une des Villes 
de cette Ifle , connue fous le nom de 
Caffiope , fameufe par fon Temple de 
Jupiter Caffien , dont nous avons 
trouvé plufieurs medailles. Ce n'eft 
maintenant qu'unc fortereffe ruinée, 
avec une Eglife dediée à la Panagia, 
c'eft-à-dire,à la Sainte Vierge,& fer- 
wie par des Caloyers ou Religieux 
Grecs, Elle eft à moitié pleine de 

F 


L'ISLE 
DE 
COR- 
Fov. 


CAS- 
SOPO. 


122 Voyage & Dalmatie , ἢ 
marques de Voeux rendus par des | 
Mariniers ou autres perfonnes écha- 
pées de la mer. On parle là d'un mi- 

racle, dont nous voulümes voir l'cf- 

fet. Il y a une Image de Ja Sainte 

. Vierge peinte à la Greque , fur une 

plaque de pierre enchaflée dans une. 
Chapelle. Les voyageurs quifouhais 
tent de fcavoir fi quelqu'un de leurs 

parens cft mort , appliquent à cette. 
Image. un fol de cuivre de Corfou ou. 
de Dalmatie; ὃς fi celuy qu'ils pen- | 
fent eft vivant , le fol s'attache ; s'il 
eft mort, il tombe. l'y vids plufieurs. 
de ces fols qui y tenoient encore, ἰδ, 
qu'il n’y ait rien de fenfible qui pa«- 
roiffe les pouvoir arrêter. Fen vous. 
lus áppliquer;fans penfer neanmoins | 
à rien, de peur de faire mourir quel-- 
qu'un de mes parens. 1l y en eut qui 
tomberent, & d'autres qui s’attache: 
rent, & je crüs que ceux qui étoient 
toimbez n'étoient pas bien plats. Mais | 
je n'entreprens pas de donner la rai 
fon comme cela fe peut faire,ne vou- 
lant pas m'ingerer de juger fi c'eft 
par une vertu naturelle,ou par quel- 


que chofe de furnaturel & de divin. 


er de l'Archipel. 123 
Le lendemain nous fimes en peu de 
temps les douze milles qui nous re- 
ftoient pour arriver à la ville de Cor- 
fou , d'où jufqu’a Venife on compte 
fept cent milles d'Italie. 
| CORFOV eft la plus importante 
Place que la Republique de Venife 
poffede pour tenir en bride toute la 
mer Adriatique,& c’eft pourquoy ils 
y tiennent toüjours une armée de 
quinze ou feize Galeres , quelques 
Vaiffeaux & quelques Galeaces. 1} 
y à deux Fortereffes , dont la vicille 
eft fur deux pointes de rochers cfcar- 
pez tout autour , avec de bons Ba- 
(tions au bas. La nouvelle de l'autre 
coté de la Ville n'eft pas de cette 
force, quoy qu'on n'y ait rien épar- 
né ; car elle eft commandée par une 
zolline voifine appellée σ᾽ Aonr- 
brabam. Nn Provediteur voyant ce 
efaut , vouloit enfermer ce Tertre 
lans l'enclos des murailles. Je ne 
rous diray pas fi elles font bien four 
Hes d'artillerie, parceque nous ne 
Mmes pas plutôt arrivez , qu'on fit 
lefenfe d'y laiffer entrer perfonne, 
rincipalement des Anglois & des 

PUS 


124 Voyage de Dalmatie, 
François. C'eft qu'on nous prit pour 
des Ingenieurs, parceque l'un de n6- 
tre compagnie avoit des inftrumens 
de Mathematique , & que l’on nous 
voyoit tout copier dans la Dalmatie, 
foit Infcriptions , foit Mafures anti- 
ques , & méme quelquefois par cu- 
riofité crayonner le plan des Places. 
Le General Priuli qui commandoit 
aux trois Ifles, qui font Corfou,Ce- 
phalonie & Zante , ayant reconnu 
aprés s'étre informé dela chofe, que : 
ce n'étoit qu'une fimple curiofité , 
nous donna à M, Vvheler & à moy la : 
permiffion de nous embarquer fur les. | 
Vaiffeaux de la Republique , pour . 
Conftantinople ; car nôtre Galere 
n'alla pas plus loin. 

L'Eglife Metropolitaine des Grecs : 
eft a(fez belle , & ornée de riches 
lampes d'argent, & d'une d'or, pour . 
laquelle un Gentilhomme de Corfou . 
nommé Nicolas Politi ordonna par. 
fon teftament cinq mille fequins de. 
Venife. On y conferve le corps de | 
S.Spiridion Evéque de Corfou, à qui 
l'Eglife eft dediée, Les habitans di- 
fent qu'on à plufieurs fois tenté de le: 


"€ de l'Archipel. 12$ 
potter à Venife , mais que le Saint a 
toüjours montre par les obftacles 
qu'il a fait naiue , que cette tranfla- 
tion neluy plaifoit pas. Son corps 
eft tout entier, à la referve d'un bras 
qui eft à Rome. Tous ceux qui l'ont 
và , difent que quand on preffe fa 
chair avec le doigt, elle plie , & re- 
tourne en fon premier état comme à 
une perfonne vivante, Les Grecs 
n'ont point là d'Evéque , mais feule- 
ment un Protopapa, c'cft-à-dire pre- 
mier Prètre. Celuy qui Feft prefen- 
tement eft de la maifon de Bulgari. ΤῈ 
nous chargea d’un prefent pour lePa- 
triarche de Conftantinople,& c'étoit 
l'Office de S.Spiridion avec un abre- 
gé de fa vie en Grec literal. Le frere 
de ce premier Prétre)nommé Nicolas 
Bulgari eft Docteur en Medecine, & 
tres-Ícavant auffi en Theologie & 
dans la Langue Greque. Il y a dans 
Corfou une Academie de belles Let- 
tres , dont il fait membre, αὐτῇ bien 
que Meffieurs les Do&teurs Zuffiniani 
C Lupina , & Monfieur le Chevalier 
Marmora, qui a écrit en Etalien l'Hi- 
- foire de ce pays-là. Il nous fit voir 


^ 


2 


126 . Voyage de Dalmatie, 
fon Cabinet de medailles;qui eft pref- 
que tout compofé de medailles du 
pays gravées dans fon Livre. Il nous 
fit voir auffi des deffcins pour l'aug- 
menter ; & il ne fe contenta pas de 
nous avoir regalé decette vüe,il nous 
envoya un prefent d'une corbeille 
des meilleures figues du monde, 
qu'on appelle Fracaflanes. Elles ont 
comme yn fuc glacé au dedans , qui 
fait des merveilles contre les cha- 
leurs du mois de Iuillet;, Monfieur 
Spiridion Auloniti Nabifori a auffi 
un petit Cabinet de médailles. C’eft 
un jeune homme de qui nous reccá- 
mes beaucoup de civilitez, & qui eut 
la bonté de nous faire voir tout ce 
qu'il y a de plus curieux dans le pays. 
Monfieur le Do&eur Capello, quoy 
qu'affez jeune , eft cres-fçavant dans 
Ja Jurifprudence , & dans les belles 
Lettres ; & il nous dit qu'il compo- 
foit un Dictionaire en Grec vulgaire, 
Italien & Latin,plus ample que tous 
ceux qui ont paru jufques à cette 
heure. 

Il n'y a pas un fiecle que la Ville 
de Corfou n'étoit autre chofé que la. 


| 


C de l'Archipel.. [27 
vicille Fortereffe & le Faux-bourg de 
Caflrati , qui eft allez grand , & où 
nous tronvámes quelques Infcriptiós 
antiques, Au bout du Faux- bourg eft 
l'Eglife de Paztagioi, c'eft-à- dire , de 
tous les Saints, dont nous allàmes fa- 
laer le Papa,ou le premier Prêtre, H 
eft Hieromonachos , ou Moine facré, 
& s'appelle Arfenio Caluti. C'eft un 
homme fçavant en Theologie , & 
dans le Grec literal. Il eft auffi habi- 
le Predicateur, & a étudié à Padoue. 
ἢ nous fit voir parmi fes Livres quel- 
ques manufcrits Grecs fort curieux, 
entr'autres un de S.Iean Damafcene; 
qui ne fe trouve pasimprimé , & qui 
eft intitulé Palo; : c'eít comme un 
abregé de fes oeuvres , & un Com- 
mentaire de Prochoprodromus fux les 
Hymnes de l'Eglife Greque, Son 
Eelife eft bâtie en croix Greque avec 
un petit Dome au milieu,& au deffus 
de la porte il y a une Infcription du 
fixiéme ou feptiéme fiecle que le 
Chevalier Matmota a táché de de- 
chifrer dans fon Livre. Il nous mena 
enfuite faire la reverence à un autre 
Caloyer plus vieux que luy ; qui ef 

F 4 


128 Voyage de Dalmatie , 

fon oncle. C'eft un venerable vieil- 
lard tres-fçavant,qui a fait imprimer 
un Di&ionaire en quatre Langues, 
Grcc ancien & moderne , Latin & 
Italien. Il s'appelle Ieróme Vlach 
Candiot de Nation. Sa Bibliotheque 
eft nombreufe en manufcrits anciens 
de Theologie. Η y en a plus de vingt 
qui n'ont jamais été mis foàsla Pref- 
fe.entr'autres un Commentaire Grec 
d'Origene fur l'Évangile de S.Iean; 
& les Sermons d'Ephrem. Son Egli- 
fe appellée Paragia de Palæopoli dont 
ileft Abbé, eft tres-ancienne, & l'in- 
fcription Greque que nous y limes 
fur le grand Portail nous apprend 
que c'eft l'Empereur Jovian qui la fit 
bâtir ; car il faifoit profeffion de la 
Religion Chrétienne. Ce nom de Pa- 
Jæopoli qui eft refté à ce quartier-là, 
ne fignifie autre chofe que la Ville 
ancienne ; & en effet , c'eftlà qu'elle 
fut: anciennement bâtie. La gran- 
de quantité de marbre qui s’en 
tire fait voir que c'étoit une Ville 
grande & magnifique.Elle étoit dans 
une prefqu'Hle ; qui luy- faifoit auffi 
donner le nom de Cherfépoli , & clle 


| 
- 
À 
1 


© de l' Avchipel. 129 
avoit un beau Port, où l’on void en- 
core l'endroit de la chaine qui le 
fermoit ; mais il n’a plus de fonds: 
que pour les petites Barques. Il y 
avoit un Aqueduc qui pafloit de la 
Ville au Port, pour fournir les Gale- 
res d'eau, & nous en vimes la fortie, 
L'Hiftoize de Corfou , dont nous 
avons. fait mention , parle plus au 
long de cette Ville, & en donne le 
planr.On y trouva il y a quelques an: 
nées une ftatu& de Germanicus: qui. 
fut emportée à Venife par le Prove- 
diteur Vallier ; mais nous vimes l'in- 
Ícription de fa baíe. On y decouvrit 
auffi un grád trou couvert d'une pier- 
re de taille, plein d'une prodigieufe 
quantité de medailles de cuivre ‘de: 
plufieurs Empereurs , mais principa- 
lement de la famille de Severe , avee 
le nom des Corcyréens au revers, & 
une Galere pour marquer leur puif- 
Íance maritime. 

De l'autre côté de Palzopoli s'é- 
*tend une petite plaine fertile arrofée 
de plufieurs ruiffeaux que l’on juge 
voir été l'endroit des jardins du Roy 
2Alcinoiis fi renommez dans Homere, 


130 Voyage de Dalmatie , 
Les Scavans appellent maintenant ce 
lieu-là Chryfida , & le peuple Peza- 
milià caufe de quelques Moulins qui 
y font, Nous nous fouvinmes en. 
nous promenant par là de l'avanture 
de Nauficaa fille de ce Roy, qui s'en 
allant au bain avec fes filles de cham- 
bre rencontra Vliffe qui avoit été 
porté par la tempête à cette Ifle, 
comme on le void au long dansl'O- 
dyffée d'Homere. Le Cabinet du 
fieur Nigri de Bologne , poffede une 
medaille extremement rare de cette 
Heroïine. La Ville renferme plus de 
vingt mille ames , & l'Ifle en a envi- 
on foixante mille. Elle eft tres-fer- - 
iile en vins & oliviers, en cedres & 
€n limons. 
Nous levàmes l’ancre de Corfow | 
le premier jour d'Aouft 1675. avec ! 
un vent de Siroc qui nous étoit con- 
traire, Nous ne fimes ce jour-]à & le 
fuivant que louvier , & n'avangames: 
qu'environ vingt milles. Enfuite le 
vent fe tourna, & nous vimes en paf- 
fantlIfle de Cephalonie,qui eft deux 
fois plus grande que celle dc Corfou;. 
«ar clle a environ 140.mi]lesde tour, 
& l'auuc n’en a pas plus de 7o. Elle 


6 de l'Archipel. Té 
eít fertile en huile, vins rouges,muf- 
cats excellens, & en raifins de {a na- 
ture de ceux que nous nommons rai- 
fins de Corinthe, dequoy elle ere 
beaucoup d'argent. Le lieu où eft la 
Forterefle & la refidence du Prove- 
diteur s'appelle Argoftoli. fly a un 
grand Port fermé de tous côtez,mais 
les ancres n’y tiennent pas bien. Aux 
bouches de ce Port il y a un grand 
Village appellé Zuxuri, où demeu- 
rent plufteurs riches marchands de 
ces raifins de Corinthe. Depuis peu 
de temps il y eut une guerre civile 
-entr'euxjXcaufe d'un demélé de deux 
Familles. Il fe faifoit des partis de 
-cinquante ou foixante qui fe bat- 

-toientauffi cruellement que les Turcs 
εἰς battent contre les Chrétiens. Les 
Gouverneurs Venitiens n'avoient pas 
affez de pouvoir pour appaifer ces 
- differens ; mais aprés qu'ils furent las 
de leurs divifions , ils firent la paix 
- fo&s cette condition,qu’une des deux 
‘Familles ennemies ne prendroit ja- 
mais la liberté de paffer dans le quar- 
tier de l’autre,fur peine de la vie. Au 
-Leyantil y aun autre Port; eù nous 


| 3532. Voyage de Dalmatie , 


THIA- 
ΚΙ. 


donnâmes fond en revenant de Zante 
à Venife. Il s'appelle Pefcarda , ὃς 
n'cft bon que pour les petits bâti- 
mens. On void là les ruines d'un 
Bourg, & il n'y refte maintenant au- 
tre chofe qu'une Eglife avec quel- 
ques Caloyers. | 


Vis-à-vis de Pefcarda eft l’Ifle dé 


Thiaki , qui n'en eftfeparée que par 


un trajet de trois ou quatre milles,ce 


qui la fait nommer par quelques-uns. 


Ja petite Cefalonie.. Ea conformité 


de nom fait q:^on la prend pour l'Ifle 
.d'Iraque une des principales du Koy- 
aume d'Vliffe , & lcs Cartes de So- 
.phian & de Samfon la placent en cét 


endroit. Mais ils peuvent s'étre trom- 
pez; car Strzbon parlan: de l'Ifle d'1- 
taque luy donne 8o.ftades de tout; 


-qui font 10.milles d'Italie; & cette 
lle en a pour le moins le double.. 
- Ainf je crois qu'Iraque eft um autre 


écueil éloigné de fept ou huit milles 


- de là appellé encore Zarbaco , qui eft. 
- bien plus. petit que cette: Hle. Pour 
- «elle-cy , je crois que c'eft l'Itle de 

- Dulichium, patcequ'clle a au Levant 
- un grand Port avec les mafures d'une. 


| 


e» del Archipel. T33 

Ville appellée encore à prefent Do/i- 
cha , comme Strabon ἃ remarqué 
qu'elle s'appelloit de fon temps ; ce 
qui me paroit affez convainquanti 
Neantmoins il femble que Strabon. 
eft du coté de ceux qui prénent Thia+ 
ki pour Ithaca: ,. ὃς lui-méme peut-- 
€tre ignoroit la veritable fituation de: 
ces Ifles,parceque les noms en étoiét: 
déja.changez ; car du refte finous rez. 
courons à.ce qu'en dit Homere, il ne 
femble pas que Dulichium. foit une 
des Ifles Echinades, comme les Geo- 
graphes qui font venus aprés luy ont 
peníé ; & quoy qu'il enfoit,c'eft une 
queftion. affez difficile à decider. 
Deux vaiffeaux Anglois vont tous les 
ans charger dans ce Port de l'Ifle de 
"Thiaxi de ce raifin de Corinthe dont 
j'ay fait mention ,. & qui eft cultivé 
-par les habitans de l'Hle, qui font re-- 
: duits en tout àtrois Villages appel- 
lez Onoi, Vatbi, ἃς Oxia. On y.void 
-dans.un bois une mafure de vieux 
-Châreau , que les Infulaires difent 
étre d'un Palais d'Vlyffe. Pour ce 
ui eft de l'Ifle d'Iatbaco elle eft de-- 
AF Nie; ceux de Thiaki,y vont. de 


SAINTE 
MAVRE, 


134 Voyage de Dalmatie , 

temps en temps pour la cultiver. 
L'Ifle de Cephalonie au fiecle d'Ho- 
mere portoit le nom de Samos , & 
avoit une Ville du mime nom, qui 
ne devoit pas étre loin du Port de 
Peícarda , dont nous avons parlé. 
C'ctoit la plus grande Ifle des Etats 
d'Vlyfle,8c je m'étonne que Strabon 
ne luy donne que 300.ftades de tour, 
qui ne font que 38.milles , & Pline 
que 44. milles , quoy qu'elle en ait 
plus de fix-vingt. Mais je ne m'é- 
tonne pas des fautes des Geographes 
anciens, puifque les modernes ; qui 
outre la Geographie antique ont les 
relations de nôtre temps, s'écartent 
fi groflierement en beaucoup d'en- 


droits de ces pays-là. 


Puifque nous fommes dans le 


Royaume d'Vliffe, ne le quittons pas 


fi-tóc, & parlons un peu de l'Ile de 
Sainte Maure. Cette Ile s'appelloit 
anciennement Lezcas , & les Grecs 


“modernes l'appellent toàjours. Lea- 


cada : car ils n'appellent proprement 
Sainte Maure que la Fortereffe, où ik 


-y avoit du temps des Venitiens uiv 
Y | 


J&onyeng de ce nom. En reyenantà 


ὁ de? Archipel. 535$ 
Venife , nous fümes obligez à caufe 
du mauvais temps de relâcher à um 
Port de cette Hle appellé Cmeno,qui 
eft le meilleur de tous , ayant bon 
fonds & bonne tenucé. De là il nous: 
prit envie d'aller voir la Fortereffe,. 
& nous primes un Monoxylon pour 
nous y mener. Nous voguâmes qua- 
tre ou cinq heures pour y arriver; 
dans le détroit qui la fepare de terre- 
ferme. Strabon dit qu'elle y à été 
autrefois attachée, & que l'on creufa: 
ce détroit pour la feparer ; ce qui fe 
peut aifément croire ; car au plus: 
étroit il n'y a guere plus de so.pas de 
trajet, & prefque par tout feulement: 
trois ou quatre pieds d'eau. C'eft en 
cét endroit le plus étroit qu'étoit la: 
Ville de Leucade fur une eminence à 
un mille de la mer,de quoy l'on void 
encore quelques mafures , ὃς le Port 
étoit prefque tout le canal aux en- 
droits qui avoient le plus de fonds.. 
Ortclius & Ferrari fe ttompét,quand 
ils croyent comme les autres Geo- 
graphes que Sainte Maure foit enco- 
ze dans la méme place que cette Vil- 
Je. Us n'ont pas été fur les lieux ; ὃς 


156 Voyage de Dalmatie, 
Sainte Maure eft trois milles au delà, 
dans le milieu du canal , qui eft en 
cét endroit-là large d'une heuc. La 
Fortereffe eft bonne , & flanquée de 
quelques Baftions ronds fur une ter- 
re fort bafle; & ce qui la rend de 
quelque confideration ,. c'eft qu'on 
n'y peut aller ni par terre,ni par mer; 
fi ce n'cft dans ces.monoxyla ou pe- 
tits bateaux,qui ne prennent pas plus 
d’un pied d’eau. Elle eft feparée par 
une foffe de trente ou quarante pieds 
de large de deux autres petites Ifles 
dans le marais ,. qui font comme les 
faux -bourgs.de la Fortereffe,où font 
plufieurs habitans Turcs & Grecs. 
Leurs maifons ne font que de bois, 
& fort balles ,. mais en: revanche ils 
font bien vêtus. Auflifont-ils grans 
Corfaires fur cette mer , & le Bacha 
"de la Morée y étoit venu cette année 
là exprés pour brûler leurs petites 
.Galeres.Durag Bey fameux Corfaive 
de Lepante en avoit fept ou huit de 
Sainte Maure qu'il cómandoir. Nous. 
- laifsámes nôtre petit bateau en.terre;. 
pour y paffer fur un Aqueduc long; 
«alan mille;qui ferc auffide Pont.pour 


e delArbipel. — 137 
les gens de pied,bien qu'il n'ait gue- 
re que trois pieds de large , & fans 
aucun appuy. Quelque affuré qu'on 
puifle être,on tremble quand on paí- 
fe deffus , principalement quand on 
rencontre quelqu'un qui vient du 
lieu où l'on va, car c'eft tout ce que 
peuvent faire deux hommes que d'y 
paffer de front. Il y a plus de cinq 
ou fix mille ames dans la Citadelle. 
ou dans ces Fauxbourgs mais nous y 
aurions fait mauvaife chere fans du 
poiflon que nous y avions porté ; cat 
nous n'y trouvàmes que du pain mal 
fait & de méchant vim , avec de che- 
tif fromage. Il y a dans l'Hle environ 
trente Villages habitez de pauvres. 
Grecs qui pechent & cultivent la 
terre, & qui ont un Evéque, dont les 
revenus y apparemment tres-me- 
diocres. L'’Ifle eft affez fertile en 
grains, citrons, oranges, amandes, δὲ 
pâturages pour le bétail , & elle a 
douze à quinze lieués de tour. La 
Fortere(fe de Sainte Maure n’eft éloi- 
gnée que de douze milles de l'entrée 
du golfe d'Ambracie, appellé main- 
tenant golfe de Lar;a;proche duquel. 


348 Voyage de Dalmatie , 

étoit autrefois la celebre ville d’Ac- 
tium , fameufe par la bataille d'Au- 
gufte contre Marc-Antoine ; mais à 
prefent on ne parle plus de cette Vil- 
le. Ne voulant pas aller jufques-là, 
nous nous informàmes des particu- 
laritez de ce golfe, d'un habile hom- 
me de Larta. Nous fçûmes de luy, 
que Larta ou Arta n'étoit pas Am 
bracia , comme nos Geografes nous 
le veulent perfuader. Car la Ville 
d'Ambracie qui donnoit le nom àu 
Golfe eft à plus d'une journée de là, 
& s'appelle encore par les gens du 
pays Ambrakia , bien que ce ne foit 
qu'un Village à un mille de la mer, 
juftement au milieu du fond de ce . 
Golfe, Il y aun Chan à fon Port,qui 
fert de Magafin pour les marchandi- 
fes que l'ony décharge. Pour la ville 
d'Arta , elle eft à la main gauche, 
éloignée de quinze milles de la mer 
fur une riviere, qui eft apparemment 
lAcheron des Anciens, & qui fe 
degorge felon Pline dans le golfe 
d'Ambracie. Vouro-potami εἰς le nom 
moderne d'une autre riviere qu'on 
trouve en approchant d'Ambracie;& 


e de P Archipel. n 
fans doute c'eft l'Arachthus d'autre- 
fois, quoy qu'il ne pañle pas fi prés 
du village d'Ambrakia , mais appa- 
remment Ja Ville s'étendoit alors juf- 
ques-là. 

L'entrée du Golfe n'a pas plus d'u- 
ne demi-lieue de large, bien qu'il aic 
plus de 25.lieués de tour. Sur la gau- 
che on void une fortereffe des Turcs 
un peu moins habitée que Sainte 
Maure. On l'appelle Preventza , ἃς 
€'étoit la fituation de l'ancienne Ni- 
copolis bàtie par Augufte en memoi- 
re de fa victoire contre Marc-Antoi- 
ne. Il y a dans Arta fept à huit mille 
habitans, le nombre des Grecs fur- 
. paffant de beaucoup celuy des Turcs. 
Le fieut Adanno- Mannea riche mar- 
chäd de cette Ville-là me dit que l'E- 
glife Metropolitaine appellee Evaz- 
gelifIra, c'cft-à-dire P Annonciade , cft 
un grand corps de bâtiment , qui a 
autant de portes & de fenétres qu'il 
y a de jours dans l'année , & qui eft 
foütenu de plus de deux cent colon- 
nes de marbre. Il ajoáta qu'une In- 
Ícriprion qu'on y lit fur le grand Por- 
tail fait foy qu'elle a été bâtie paz 


40 — Voyage de Dalmatie , 

Michel Duca Comnene. Cette Ville 
& le pays d'alentour negotient en ta- 
bac, mére & fourrures, dont il 
fe fait grand commetce. at 

L'Archevéque ou Metropolitain 
d’Arta faifoit autrefois fa refidence à 
Lepante ; qu'il a quitée à caufe qu'il 
y a peu de Chrétiens. Il avoit huit 
Suffragans,mais l'Empereur Iean Pa- 
leologue partagea en deux l’Arche- 
véché d'Arta pour etiger celuy de 
lánina. Les quatre Évéchez qui rele- 
vent d'Arta , font Rogows petite Ville 
à dix milles de Preventza , où l'Ar- 
chevéque commande δῇ, Vonrza 
Ville avec le Château de l'autre có- 
té du Golfe. eros en terre-ferme, 
affez grande Ville à deux journées 
d’Arta. Acheloon qui tire fon nom 
᾿ de la riviere d'Acheloüs. L'Evéque 
de cette derniere Ville fait fa zefi- 
dence à Angelo-Caftro,& comman- 
de de plus Zapandi , Meffalongi & 
Anatolico. 

Iánina eft une Ville plus grande 
qu Arta, habitée de riches marcháds 
Grecs. Son Metropolitain a foûs luy 
&es quatre Evéchez : Are yro-Caffro 


& de P Archipel. 141 
Ville de mediocre grandeur ; Delbeno 
qui n'eft qu'une bicoque ; Burrinto, 
{oûs lequel font les Villages de la 
Chimere ; Gh£eón , qui prend fon 
nom d'une riviere appellée G7; , & 
ce dernier Diocefe s'étend depuis Pa- 
ramythia jufqu'à Parga fortereffe des 
Venitiens, au bord de la mer. 

Mais il ne faut pas oublier d'ex- 
pliquer ce que c'eft que ces Monox- 
l4 dont j'ay parlé. Ce font de petits 
bateaux faits d'un tronc d'arbre 
creufé , longs de 15. à 20. pieds fur 
un pied & demy de largeur , & pref- 
que autant de hauteur. On s'en fert 
à Anatolico, à Meffalongi ἃς à Sainte 
Maure , la mer étant fort baffle dans 
ces quartiers-]à , & s'ils prenoient 
plus d'un pied d’eau,on courroit rif- 
que de demeurer fouvent à fec. Le 
nom que l'on donne à ces bateaux 
exprime bien l'érofe & la maniere 
dont ils font bâtis ; car Monoxylon* 


* Ce nom de Monoxyla n'eft pas inconnu à 
Hefychius , qui dit que les Cypriots appel- 
loient auffi ces bateaux æ δρνα : apparem- 
ment à cau(e qu'ils étoient creufez d'un ché- 
ne, que les Grecs nomment δρῦς, Voicy les 


ZANTE. 


141 — Voyage de Dalmatie , 
paroles de cét Autheur, Apu , πλοῖα pere 
£v^2 Kéapisi. Et dans l'hitoire d'Heliodore 
il y eft auffi parlé de ces Monoxyla. 


en Grec veut dire qu'ils font faits 
d'une feule piece de bois. On s'affit 
fur le fonds,& on les conduit avec de 
petites rames , & méme quelquefois 
àla voile. Jamais je ne fus plus fur- 
pris, que de voir au plus étroit du 
trajet traverfer deux chevaux dans 
un de ces Monoxylon , car pour peu 
qu'ils fe fuffent remuez tout fut ren- 
veríé dás l'eau. Les Exoliens avoient 
la reputation de gens broüillons &' 
méchans,& les Turcs de Sainte Mau- 
re ont herité de leurs qualitez aufli 
bien que de leur pays. 

Pour reprendre nôtre route , vous 
fgaurez que nous arrivàmes à Zante 
le 4.d'Aouft , & que nous y demeu- 
ràmes trois ou quatre jours, 

ZANTE a été autrefois appellée 
par Boterus l'Ifle d'or, mais clle me- 
riteroit encore mieux ce titre à pre- 
fent qu'elle a trouvé le fecret de 
planter des vignes qui produifent de 
lor en Pr à le raïfin qu'on ap- 


pelle de Corinthe , bien qu'il n'en 


e de l'Archipel. 143 
vienne point maintenant à Corinthe 
ni aux environs. Il eft vray qu'il y 
en avoit autrefois , & puilqu'ils en 
portent le nom , il y a bien de l'ap- 
 parence que le plan eft venu de là. 
Je m'en informay particulierement 
loríque je fus à Corinthe, & l'on me 
dit qu'il n'y a pas long-temps qu'on 
en recueilloit encore un peu à Vafi- 
lica , qui eft l'ancienne Sicyon éloi- 
gnéc feulement de Corinthe de fix à 
iept milles ; mais que comme on n'en 
trouvoit pas le debit chez les Turcs, 
onles a negligez. Pour quitter un 
peu l'Antiquité, ὃς delaffer vôtre εἴς 
prit en vous parlant de chofes moins 
ferieufes, je vous feray l'hiftoire en- 
tiere de ces raifins de Corinthe , qui 
s'accommode affez bien avec toute 
forte de ragoûts , une bagatelle ré- 
jouiffant quelquefois plusnotre efto- 
mac qu'une viande trop nourriffante, 
Je vous diray donc , que depuis que 
les Chrétiens ont été depoffedez de 
la Grece, & que le Turc a bâti deux 
Cháteaux aux bouches du golfe de 
Lepante , il ne permet pas à nos bà- 
timens d'y entrer , de peur de qucl- 


144 Voyage de Dalmatie, 
que furprife, ὃς que foûs pretexte de - 
venir charger là des raifins de Corin- 
the, les Corfaires de Malthe ne leur 
faffent infulte. On fait venir neant- 
moins de ces raifins dans le golfe à : 
Lepante méme & à Voftitía,mais on 
les porte à Patras,où il en croit auffi; 
quand on les veut charger , & ces 
trois lieux en peuvent fournir la 
charge d'un Vailleau mediocre. Vis- 
à vis de Patras dans le pays des an- 
ciens Etoliens il y a un Village nom- 
mé Anatolico, bâti cóme Venife dans 
un marais, & peuplé d'environ deux 
cent feux. Ses habitans y cultivent 
dans la terre-ferme du voifinage le 
raifin de Corinthe qui y reüffit mer- - 
veilleufement. Il eft beau & bon, & 
deux fois plusgros que celuy de Zan- 
te. Ils en peuvent charger avec ceux 
du village de Meffalongi un grand 
Vaiffeau. Nous y fümes dansletems | 
qu'un marchand Angiois y avoit me- 
né fon bitiment pour le charger de 
cette marchandife ; & je vous diray 
en paffant , que les Anglois confu- 
ment plus de ce raifm dans leurs ra- 
goûts,que ni l'Allemagne ni la Fran- 

ce 


e de [ Archipel. 14$ 
ce enfemble. C'étoit un: plaifir de 
voir une flote de Monoxyla apporter 
chacun cinq ou fix facs de raifin au 
Vaifleau ; mais dés que le vent com- 
mence à fe renforcer on void en un 
inftant ces petits bateaux fe diffiper 
| comme un effain d'abeilles , car ils 
n'oferoient pas fe joüer comme nos 
felouques avec les moindres vagues. 
Ce marchäd Anglois ne payoit point 
| de Doüane pour la fortie de ces rai- 

fins, mais d’ailleurs il luy falloit fai- 
re un prefent de mille écus au Vay- 
vode ou Fermier d'Anatolico,& non- 
| obftant cela il ne laifloit pas d’y trou- 
ver mieux fon compte qu'avec la 
Doüane de Zante qui eft de dix écus 
par millier. Cephalonie qui eft une 
grande Ifle en fait avec Thiaki la 
charge de fept à huit Vaiffeaux , & 
Zante environ la moitié. Ses vignes 
font dans une tres-belle plaine de 
douze milles de long & de quatre ou 
;cinq de large;à l'abry des montagnes 
qui bordent lesrivages de l'Ile ;.de 
forte que le Soleil raffemblant fes 
rayons dans ce fonds y fait parfaite- 


ment meurir les raifins de Corinthe; 
G 


146 Voyage de Dalmatie , 
le raifin mufcat & le raifin ordinai- 
re, dont l'on fait du vin tres-fort, 
Qui croiroit qu'une place fi medio- 
cre, où il y a d'ailleurs quantité d'o- 
liviers & de jardinages , produife 
quatre à cinq millions pefant de ce 
feul raifin, & dix mille grandes ton- 
nelées de vin pour l’ufage des habi- 
tans. La Douane de l’un & de l’au- 
tre porte quarante mille écus par an | 
dans les cofres du Doge , & Zante 
& Cefalonie enfemble cent mille, 
Le millier pefant revient à ceux qui : 
l'achetent environ 24.écus, quoyque 
le premier achat ne foit que de dix. 
écus, mais il y a de gros droits. On 
vendange ces raifins de Corinthe un . 
peu plutôt que les autres , & l'on en 
fait des couches fur la terre, qu'on 
laiffe fecher pendant huit ou neuf 
jours. S'il tomboit de la pluye, tout | 
feroit en danger d’être gâté,mais el- 
le y eft affez rare. On les ferre enfui- 
te dans des Magafins,& quand on en 
veut charger fur les Vaiffeaux;on les 
met dans des tonneaux, & des hom- 
mes les preffent avec les pieds afin 
qu'ils fe confervent mieux , & qu'ils 


e de l’Archipel. 147 
n'occupent pas tant de place. On en. 
fait quelquefois du vin par curiofité, 
mais il eft trop violent,& il peut paf- 
fer pour de tres-bonne eau de vie. Ce 
raifin frais eft excellent à manger, & 
nous le trouvâmes de tres-bon goût, 
de méme que les melons de Zante, 
qui ne cedent point à ceux d’Efpa- 
gne,& ceux qui ont la chair blanche 
& mufquée font les meilleurs. On a 
auífi dans cette Ifle les plus belles 
péches que l'on puiffe voir ; elles pe- 
{ent d'ordinaire huit à dix onces, ὃς 
quelques-unes vont jufques à quinze 
& afcize.La chair en eft ferme com- 
me celle de nos auberges.Il n’y man- 
que pas auffi de concombres & de 
figues excellentes, & il s'y trouve de 
l'huile en abondance & d'une gran- 
de bonté. Le golfe de Lepante luy 
fournit de tres-bon grain, & la Mo- 
τός de tres-bon bétail. Enfin c'eftun 
Paradis terreftre , où toutes chofes 
abondent , hormis le bois qui y eft 
cher,bien qu'autrefois l’Ifle fût plei- 
ne de Forefts , ce qui luy fit donner 
le furnom de Sy/vo/4 par Homere. ὃς 
par Virgile, Elle a environ $o.milles 

G 2 


3448 Voyage de Dalmatie , 
'detour, & l'on y conte jufques à o. 
οὐ Villages. Si vous étes curieux de fça- 

-voir les noms d'une partie, les voicy 
comme je les ay pû apprendre, & fe- 
‘Jon l'ordre de Alphabet. 447//o,44m- 
pelo, Banato, Beloufi, Braka, Caglipa- 
do, Cataflári , Chiliomeno , Coucbiéft, 
Courcoulidi, S.Dimitry, Faghia , Fio- 
diti, Gaïtani, Galaro, leri , leracarió, 

Keri, S.Kiricó , Komiri , Lagopodi, 
Langadächia, Litbachia, Luka , Ma- 
&erado, Mariais, Mufaki, Orthoniaïs, 
Oxochora , Pigadachia , Piffinounda, 
Plemonario, Sarachinada, Schoulicha- 
do, Tragaki, Volima. | 
- La Ville porte le nom de Zante en 
Italien , & en Grec elle s'appelle 
Zacynthos auffi bien que toute l'Ifle. 
Elle peut contenir vingt àvingt-cinq 
mille ames , quoy qu'elle ne foit pas 
murée, mais elle a fur une eminence 
une Fortereffe affez bien munie de 
canons. Les maifons font baffes à 
caufe des tremblemens de terre qui y 
Íont frequens , ne fe paffant guere 
d'années qu'il n'y en ait, mais qui ne 
font pas de grans dommages. La 
langue Italienne y eft prefque aufi 


c" de l'Archipel. ^ 149 
commune que la Greque. Il y a tou-: 
tefois tres-peu de gens du rit Latin, : 
quoy qu'auffi- bien qué les Grecs, ils : 
ayent un Evéque qu'on leur envoye: 
de Venife. Celuy des Grecs com-: 
mande auffi Cefalonie, & s’y tient le 
plus fouvent. Au deffus de la Ville 
en allant à la Fortereffe , il y a une: 
Eglife appellée S.Helie, où felon que : 
quelques-uns ont écrit , on avoit 
trouvé le tombeau de Ciceron & de 
Tertia-Antonia fa femme ; mais je 
| my remarquay autre chofe qu'un 
. fond d'Vrne de porphyre , & je ne 

pus apprendre aucune nouvelle du 
| refte, n'y ayant pas là des perfonnes 
. curieufes comme à Corfou! Pendant 
le fejour que nous y fimes , on nous 
| mena voir un endroit de l’Ifle , où la 
| terre tremble foûs les pieds. Le my- 
| fteze confifte en une fontaine de poix 

qui fort des entrailles de la terre 
| avec une belle eau claire. La poix | 
| demeure au fond pat fa pefanteur , 
mais quand on en tire , il en tombe 
toûjours fur la terre, avec laquelle il 
fe fait comme une croûte , le deffous 
fe creufant par l'eau dela fontaine. 

G 3 


350 Voyage de Dalmatie , 
De maniere que quand on marche 


deffus on fent branler cette terre, : 


comme quand on va fur une planche 


qui n'eft pas forte. Ils ont là fur ce 


fujet une plaifante imagination.C'eft 
qu'ils croyent qu'en fautant un peu 
fort en cét endroit , on excite des 
tremblemens de terre dans l'Mle. Hs 
ajoûtent qu'enfuite des tremblemés, 


il fort toûjours plus de poix , & fur : 
tout pendant que le vent de Sud- - 


Oueft foufle. On tire toutes les an- 
nées environ: 100 barils decette poix, 
& elle eft tres-bonne à calfeutrer les 
Vaiffeaux méléeavec du goudran.La 
fontaine eft à 200.pas dela mer, & 
vis-à-vis eft un écueil appellé A424- 
rathonifi, c'eft-à-dire Ifle de fenoüil, 
parce u'il y croit beaucoup de fe- 
noüil fauvage. Nous y allámes faire 


un grand repas du poiffon qui prète - 
fon ventre pour faire la boutargue, - 


& ce fur chez deux Caloyers qui s'y 
tiennent pour le fervice d'une petite 
Eglife. L'Autheur d’Athénes ancien- 
ne & moderne, s'étonne que les An- 
ciens avoient donné le nom d’Ifle au 

"y^; : : : \ 
petit écueil de Pecno. Celui-cy où 


2a 7 anf 


C de P Archipel. τι 
nous mangeâmes cft en core plus pe- 
tit, & il n'y a pas dequoy être fur- 
pris qu'on luy donne le nom d'ifle, 
puifque les Grecs appelloient ancien- 
nement /Viços, & que ceux de ce 
temps nomment Λε , c'eft-à-dire 
Ifle , toute forte de terre environnée 
de la mer,fans que la petiteffe la prive 
de ce nom,fi ce n'eft que quelquefois 
ils fe fervent du diminutif N7/22/,0u 
N ifópoulo, ne nómant Xera ou écueil 
qu'un fimple rocher , ou des fables 
couverts d'eau, Et qu'eft-ce que la 
fameufe Ifle de Delos qu'un écucil 
affez mediocre: Il y avoit à Mara- 
thonifi une femme qu'on difoit étre 
poffedée,& qui depuis quatre ans ne 
vivoit que de pain & d'cau. Mais 
nous remarquàmes que le Diable qui 
la poffedoit n'étoit qu'un fot,car il fe 
difoit être de Padoue,& il ne fcavoit 
pas un mot d’Italien. Il eft vray que 
la femme toute ignorante qu’elle 
étoit, répondoit prefque toüjours en 
vers fur le champ;dans fon Grec vul- 
gaire ; mais il eft conftant que la me- 
lancolie & le genie peuvent faire ce 
prodige. | 

G 4 


xs2 Voyage de Dalmatie, ἡ 
Avant que de partir nous allàámes 
rendre une Lettre de recommanda- 
tion au Signor Dimitry Beninzelos. 
Il eft Athenien, mais il y a deux ans 
u'il eft à Zante auprés de fa mere. 
C'eft un des plus habiles qui foient 
dans la Grece. Il fçait le Latin , le 
Grec & la Philofophie , ὃς de plus il 
eft Predicateur , bien qu'il ne foit ni 
Caloyer,ni Papa. Il nous apprit que 
Hiero-Monachos Damaskinos étoit 
mort depuis peu à Athenes , dequoy 
nous fümes fàchez , aprés avoir và 
fon Eloge dans le Livre d'Athenes 
ancienne & moderne.1l n'étoit pour- 
tant proprement que Maitre d'Ecole, 
mais dans un pays où il ny a guere 
que des ignorans , il ne faut pas être 
beaucoup fgavant pour y faire quel- 
que bruit. Les Ifles qui font foüs les 
Venitiens font mieux fournies de 
gens de Lettres que la Grece. Le Pa- 
pa del'Eglife de tous les Saints ap- 
pellé Papa J4gapito paffe pour bon 
Predicateur. Il nous fit voir fa Bi- 
bliotheque où il y a plufieurs manuf= 
crits,& un entr'autres qui n'a Jamais 
été imprimé , où font contenus les 


e de I Archipel. 153 
Vies des Saints Peres, Archevèques, 
Abbez & Caloyers de l'Eglife Gre- 
que. | 
: Nous ne continuâmes pas nôtre 
voyage comme nous l’avions com- 
mencé , & nôtre compagnie n'étant 
pas de bonne intelligence fe parta- 
gca en deux à nôtre depart de Zante. 
Monfieur Vvheler & moy primes la. 
refolution de pouffer jufques à Con- 
ftantinople par mer,& les deux autres. 
voulurent aller en Grece. C'étoient 
deux Gentilshommes Anglois , dont 
l'un s'appelloit le Chevalier Gilles 
Etícaurt,& l'autre M.Frangois Vern- 
hon Aftronome & bon Mathemati- 
cien. Ils allerent droit à Athenes, & 
de là firent le tour de la Morée,mais 
il en coütala vie au pauvre Cheva- 
lier. Il. s’efforçoit de fe tenir à che- 
val, quoy quil {e trouvât incommo- 
dé, pour ne pas demeurer dans des 
lieux oùil auroit été mal traité , ef- 
perant de pouvoir arriver à Athenes; 
mais aprés qu'ils eurent paffe Lepan- 
te pour aller à Delphes , il mourut 
fubitement fur la montagne de Vi- 
tranitza 5 sS'étant fair deícendre de 

G 5. 


Yj4 Voyage de Dalmatie , 

cheval. On fit faire le rapport de. fa 
mort au Cady du premier Village, & 
on l'enterra dans une Eglife Greque 
la plus proche du lieu où il expira. 
Son cempagnon pourfuivit fon voya- 
ce, & fe rendit pour la feconde fois 
à Athenes, d'où il s'embarqua enfui- 
te pour Smyrne ; mais il fut. pris par 
des Coríaires Chrétiens qui le de- 
poüillerent & le laifferent à Milo;oü 
quelques Vaiffeaux Anglois étant ar- 
rivez il emprunta de l'argent pour: 
continuer fareute. Nous avons vû 
depuis une Lettre Angloife imprimée 
quil écrivit de Smyine , où il y a. 
quelques particularitez de ce qu'il a. 
và dans la Grece. De lil pañfa à 
Conftantinople, & de Conftätinople 
à Trebizonde parle Pont-Euxin,d’où 
3l devoit gaigner la Perfe : mais on a 
appris depuis qu'il avoit été mifera- 
blement tué en chemin par des gens 
avec qui il s'étoit pris de querelle, 
C'étoit une perfonne tres-fgavante; 
& qui parloit fept ou huit Langues: 
mais il étoit né fous quelque mé- 
€hante Etoile,car il avoit déja été il y 


aquelques années,pris efclaye parles 


€ de l' Archipel. 15$ 
Corfaires de Tunis,cc qui ne l'avoit 
pas degoüté des voyages de mer. 
Voilà les rifques à quoy s’expofent 
les voyageurs,mais Dieu nous a con- 
fervé mon camarade & moy de tou- 
te mauvaife rencontre ;quoyque nous 
en ayons eu la peur plus d'une fois. 
Le Jeudy matin 8.d’Aouft notre 
flote fit voile pour Conftantinople. 
Elle étoit cépofée de huit Vaiffeaux, 
cinq de guerre , & trois marchands. 
Le Capitan de N ave y étoit en per- 
fonne. C’eft une grande charge dans 
l'Etat de Venife, Il avoit ordre d'ac- 
compagner un Provediteur qu'on en- 
voyoit à Tiné , & d’efcorter nôtre 
Vaiffeau qui portoit les hardes & les 
prefens du Bayle. Nótre Bâtiment 
portoit pour enfeigne la Conftance 
guerriere , & étoit commandé par le 
Capitaine Jean Bronze de Perafto vil- 
le del'Albanie Venitienne. C'eft un 
des braves foldats quela Republique 
ait à fon fervice. Il fe trouva dans fa 
jeuneffe au fiege de Perafto,qui étoit 
attaqué par une armée de deux mille 
Turcs.Bien qu'ils ne fuffent que qua- 
xante-neuf dans la Place, ils ne laif- 


156 — Foyage de Dalmatie, — 
ferent pas de refifter vigoureufemét, 
jufqu’à-ce qu'aprés avoir tué une 

arte des Turcs, & avoir mis en de- 
{ordre leurs bateries , ils firent une 
fortie fur eux , & les chafferent de 
devant leurs murailles, Il a été en 
courfe avec un Vaiífeau qu'il com- 
mandoit , & autant qu'il eft redouté 
des Turcs , il eft. aimé des Corfai- 
res Chrétiens , qui le connoiffent 
tous, 

Avec une Tramontane fort favo- 
rable nous laifsámes en peu de tems 
les Ifles Srrofades , que les Anciens 
feignoiét être le refuge des Harpyes, 
dont le vifage étoit de femme , & le 
corps de Vautour. Les Grecs & les 
Italiens les appellent à prefent Srro- 
fadi ou Sirivali. Ce font deux peti- 
tes IfIes fort baffes,dont la plus gran- 
de n’a que trois ou quatre milles de 
circuit , mais qui dans fi petit efpace 
porte une grande quantité de fruits 
excellens.Les fources y font fi abon- 
dantes , qu'on ne fçauroit prefque 
planter un báton en terre, qu'il n'y 
forte de l'eau. On dit que dans les 
fontaines de cette Ifle il fe trouve 


e del Archipel. 157 
fouvent des feuilles de Platane,quoy 
qu'il n'en croiffe point là ; mais feu- 
lement dans la Morée , dont elle eft 
éloignée à peu prés de trente milles, 
C'eft ce qui fait croire affez vray- 
femblablement que ces fources vien- 
nent de ce pays-là , par des canaux 
foüterrains que la nature a formez 
foüs les abimes de la mer.Cela pour- 
roit en quelque maniere autorifer la 
fable d' Arethufe;qui s’allant baigner 
à la riviere d'Alphée fut pourfuivie 
du Dieu qui prefidoit à cette eau , ὃς 
par le fecours de Diane fut changée 
en une fontaine qui alla fortir en Si- 
cile,quoy qu'il y ait plus de cent mil- 
les de trajet de la Morée à cette Ifle. 

Les habitans des Ifles Strofades ne 
fe marient jamais , car il n'y en à 
point d'autres que des Caloyers ou 
Moines Grecs , jufqu'au nombre de 
de foixante ou quatre-vingt. Leur 
Convent eft bàti en maniere de For- 
tereffe avec une terraffe au deflus 
garnie de bons canons, & une Sarra- 
finefque à leur porte , de la crainte 
qu'ils ont des Corfaires. Neanmoins 
on nous dit que même les Turcs & 


38 Voyage de Dalmatie, 

ceux de Barbarie refpe&ent ces bons 
vieillards , & qu'ils n'abordent leur 
Ile que pour y prendre de l'eau. 

Le Vendredy 9.d'Aouft nous laif- 
sàmesà gauche les montagnes d’Ar- 
cadie & l'écueil de la Sapience. C'eft 
une petite Ifle qui s'appelloit ancien- 
nement Sphagia & Sapientia , & qui 
eft bien connué aux Corfaires de 
Barbarie,qui fe tiennent cachez der- 
riere,pour attendre en embufcade les 
Bitimens qui fortent du Golfe de 
Venife , ou qui viennent du cóté de 
. Sicile. Nous n'en étions pas trop 
éloignez quand un matelot décou- 
vrit de dcflus nôtre Hune dix grands 
Vaiffeaux à la voile , qui tenoient la 
méme route que nous. Nous tirâmes 
un coup de perrier de nótre bord 
pour avertir le Commandant;& tou- 
te la flote de ce que nous avions và; 
& l’on éleva dix fois la banniere en 
poupe pour leur faire fcavoir lenom- 
bre des Vaiffeaux. D'abord le Capi- 
tan embroüilla une partie de fes voi- 
les , & rebrouffa chemin autant que 
le vent de Maéftro , qui nous étoit 
auparavant favorable , nous le pous 


€ de ἢ Avchipel. 159 
voit permettre. Nous fuivimes fes 
bordées , & nous commengames à 
nous appareiller au combat. On mit 
toutes les hardes à fond de cale , on 
chargea l'artillerie , on fit des para- 
pets fur la proüe & fur la poupe, ἃς. 
l’on difpofs tous les foldats dás leurs: 
poftes.Bien que l’on fût dans l'incer- 
titude fi c'étoit des Corfaires,parce- 
que les Algeriens: marchent fouvent 
avecune bonneEfcadre de Vaiffeaux, 
Ou des amis , on ne voulut toutefois 
rien negliger dans cette rencontre.Ils 
demeurerent plus de trois heures à 
venir à nous, quoy qu'ils fiffent force 
de toutes leurs voiles; ce qui nous fe 
juger aprés les gageures que lon 
avoit propofées , que ce n'étoit pas 
des Corfaires dont les Bâtimens font 
plus legers » mais qu'il falloit que ce 
fuffent des vaiffcaux marchands An- 
glois ou Hollandois.Il y en eut d'en- 
tre nous, qui crürent que c'étoit une 
efcadre de François commandez par 
Monfieur de la Berrefche,qui en vou- 
loità la lote de Hollande pour Smyr- 
nc. Mais quand ils furent plus prés; 
en decouyri avec une Lunete à loge 


160  Woyage de Dalmatie , | 
gue vûüé, qu'ils portoient en poupe Je 
pavillon rayé de bleu, blanc & rou- 
σε, & qu'ainfi c'étoient des Hollan- 
dois : De forte que tout ce grand ap- 
pareil de combat , fe reduifit à rien, 
& nous en fumes quittes mon cama- 
rade & moy,pour la moitié d'un barril. 
de nôtre vin,que les Matelots prirent. 
la peine de boire à nôtre fanté , tan-: 
dis que nous étions au deflus de la 
poupe, à confiderer l'ordre de notre: 
Efcadre, & le tremouffement de nos 
Canoniers & des Officiers du Vaif- 
feau. Nótre Capitan portoit le pa- 
villon de Saint Marc au grand mats, 
comme grand Admiral ; mais Rui- 
ter le fils , qui commandoit la flote 
des Hollandois , n'avoit arboré que 
la flammette au grand mats , comme 
fimple Chef d'Efcadre. Ainf ce fut 
à luy de venir paffer foûs le vent de 
nótre Capitan , & de faluer le pre- 
mier. Tous les autres pafferent de 
méme,& nous leur rendîmes le falut; 
& aprés que le Commandant de la 
flote Hollandeife eut envoyé deux 
Officiers complimeater nôtre Capi- 
tan, nous les laiffames paffez devant, 


e de lArbipel. τόϊ 
Hs alloient à Smyrne,& avoient trois 
Vaiffeaux de guerre qui accompa- 
gnoient fept Vailfeaux marchands, 
La bonace regna prefque route cette 
nuit-là , & nous ne nous trouvámes 
le lendemain que vis-à-vis du Golfe 
de Coron. Comrne nous n'étions pas 
cloignez du Brazzo di Mayna ;, nous 
prenions plaifir de nous informer de 
quelques Magnotes qui étoient ma- 
riniers fur nótre bord , de l'état pre- 
fent de leur pays. Ils nous dirent que 
depuis quelque tems le Turc les avoit 
obligez par adreffe à confentir qu'il 
bâtit deux Fortereffes fur leurs cotes, 
& qu'il n'y avoit que ceux des mon- 
tagnes qui puffent éviter de luy payer 
tribut : Quecela avoit été caufe que 
quantité de gens avoient abandonné 
le pays , & quil y en avoit plus de 
deux mille qui s'étoient retirez dans 
la Poüille, où le Roy d'Efvagne leur 
avoit affigné quelques terres. Ils 
font fi adonnez au larrecin , que 
voyant arriver quelques Vaiffeaux 
dans leurs Ports , ils en vont couper 
les cables, ne pouvant voler autre 
chofe. Comme dans ces fortes de re- 


CERIGO 


162 Voyage de Dalmatie , 

cits on préd plaifir d'encherir les uris 

fur lesautres, pour mieux marquer le 

genie de la Nation , un Officier qui 

avoit été en ces quartiers-là nouscóta 

une hiftoriette que je vous donne de 

la maniere que je l'ay receué. Quel 

ques Etrangers étoient dans un des 

villages de ces Magnotes, & avoient: 
fait porter leurs hardes dans la mai- 
fon d'une bonne vieille qui fe mit un 

peu aprés à pleurer. Les Etrangers 

furpris de cela s'informerent du [jet | 
qu'elle en avoit ; quelqu'un de la 
compagnie répondit pour elle ; que 
voyant des gens qui n'étoient pas de 
fon pays, cela luy faifoit fans doute 
dia à l'état miferable où les Ma 
gnotes étoient reduits & & qu'elle 
pleuroitleurs propres miferes. Hé, 
nenny , repliqua auffi-tót la bonne 
vieille s’adrefsant aux Etrangers, ce 
n'eft pas cela qui m'afflige , mais je 
pleure de ce que mon fils n'eft pas icy 
pour vous dérober vos hardes. 

Le quatriéme jour de nótre dé- 
part de Zante nous arrivámes à l’I- 
fle de Cerigo , qui eft la fameufe Ifle 
de Cythere , pays natal de Venus & 


C de D Archipel. 163 
d'Helene. Cela vous en donnera 
fans doute des idées comme de [τε 
la plus belle & la plus delicieufe du 
monde; mais en ce cas là je fuis obli- 
gé de vousen defabufer. C'eft une 
llle montagneufe & un terroir fec , 
qui n'a rien de fort charmant. Elle 
appartient aux Venitiens qui y en- 
vovent un Provediteur. Nous mon- 
támes pres d'une heure,avant que de 
pouvoir arriver à la Citadelle , qui 
n'eft forte que du côté de la mer, 
qu'elle regarde comme d'un precipi- 
ce, Dea,quand le tems eft clair on 
entrevoit l'ifle de Candie, qui en eft 
pourtant éloignée de quarante mil- 
les ; & environ à moitié chemin on 
voit la petite Ifle de Cerigero , où il 
| n'ya que des chevres fauvages , & 
quiappattient au Colonel Macarioti 
de Cerigo , qui étoit venu avec nous 
dépuis Corfou. Il nous fit goûter du 
vin du pays que nous trouvámes 
tes bon. Les vivres y font à grand 
marché , & un de nos Camarades y 
acheta un mouton pour deux quart 
d’ecus. Il y a quantité de lievres , 
de cailles & de tourterelles , & ces 


164 Voyage de Dalmatie , 

dernieres étoient les oyfeaux de Vez 
nus, Devant le port de la Citadelle 
il y aun petit écueil qu'on appelle 
l'œnf à caufe de fa figure , & l'on y 
prend auffi bien. qu'à Cerigo d'ex- 
cellens Faucons. Ce por: ne vaut 
rien,car il eft entierement exposé aux, 
vents du Midy, & n'a place que pour 
fepr ou huit bâtimens. Aufli n'eft . 
ce pas cét endroit là qui fait dire à 
Strabon que cette Ifle a un bon port. 
Il entendoit fans doute parler de ce- 
luy de Saint Nicolas , oà notre vaif- 
feau alla prendre de l'eau ; car outre 
le port des grands vaifleaux qui ont 
là bon ancrage & bonne tenue , il y 
a une darfe enfoncée naturellement 
dans le rocher capable de contenir 
40. galeres, qu'on pourroit aïfément 
fermer àchaîne. Nous reconnümes 
le long de ce port les mafures de la 
Ville ancienne du Roy Menelaüs 
préque toutes rez terre, Ce que nous 
y vimes de plus entier eft une voüte 
creufée dans le roc, queles gens du 
pays difent avoir été les bains d'He- 
lene. Comme nous avions oüy par- 
ler des ruines d'un Palais d'Hclene 


οὐ de I Archipel. 16$ 


qui étoit de ce côté-la , nous fimes 
trois ou quatre milles pour y aller ; 
mais nous n'y trouvâmes autre chofe 
que deux colonnes debout fans ba- 
fe & fans chapiteau, que nous jugeä- 
mes avoir été de l'ordre Dorique. 
Tout cela ne nous fatisfailoit pas, & 
nous retournàmes au port, où nos 
gens avoient fair un trou proche de 
la mer,d'oà ils tiroient de l’eau.C’eft 
qu'il y a un lit de ruiffeau qui fe fe- 
che l'Eré;& envoye neanmoins quel- 
que eau par deffous le gravier. 

Le lendemain nous vimes nos 
vaifleaux quenous avions laiffez foüs 
la Fortereffe , qui s'étoient mis àla 
voile, Nous en fimes de méme , & 
palfàmes avec bon vent /a Falcome- 
74 , écueil defert. & inhabité , à qui 
Pietro de la Valle croit que les Fau- 
cons ont donné le nom ; bien qu'on 
dife qu'ils n'y font pas plus frequens 
que dans les autres Ifles de l'Archi- 

el. Nous vimes à nôtre droite Ze/- 
la-Pola , ou l'Ifola Brugiata , & plus 
loin 74;lo ὃς Zutimilo. Le premier a 
un des beaux ports du monde. L'é- 
cucil de Caravi , qui fignifie en Grec 


^ 


166 — Voyage de Dalmatie , 

un vaiffleau, étoit à nôtre gauche, & 
plus avant / Argentiere , appellée par 
les Grecs Kzmole, qui a quelques ha- 
bitans & une mine d'argent. Ce nom 
que les Grecs luy confervent encore, 
montre que c'eft l'Ile de Czmolus 
une des Cyclades , dont Ptolomée & 
Strabon font mention : Ce que nos 
Gcographes n'ont pas encore fçeu, 
apellant Cimolus tantôt Polino & 
tantôt Sicandro. Sfunto paroit en 
Ínite, oà il y a neuf ou dix Villages 
riches en beaux fruits & en belles 
filles. Elles y ont un grand Mona- 
ftere, où préque toutes les Religieu- 
fes de l'Archipel vont faire leur pro- 
fcffion.Pari5 ou Paros lle renommée 
pour fon marbre , parut, mais éloi- 
gnée de nous ; & le foir du 17. nous 
eûmes à nôtre droite Serifos , qui a 
un Bourg & un port vers le Sud.Cet- 
te Ilea des mines d’aymant , qui ne 
font pas toutefois varier la Bouffole, 
quoyque ‘le vaiffeau en approche, 
Notre Pilote nous aflura qu'il en 
avoit éprouvé, & qu'il n'étoit pas - 
fi bon que des autres mines. Pline 
aflure que de fon tems les grenouil- 


ὦ de f Archipel. 167 
les de cette Ifle y étoient muettes , 
mais que fi on les tranfportoit ail- 
leurs , elles faifoient autant de bruit 
que les autres, 

La nuit le vent s'étant mis au Po- 
nant , nous dreffames la proüe entre 
Zea & Thermia. Nos faifeurs de 
Cartes defigurent le nom de cette 
Ifle, l'appellant Fermia ou Fermina ; 
mais fon veritable nom eft Thermia, 
comme l'appellent ceux du pays, à 
caufe des eaux chaudes qui s’y trou- 
vent , cat le mot Grec ne fignifie au- 
tre chofe. La reffemblance de pro- 
nonciation qu'il y a entre l'F & le 
Th parmy les Grecs d'à prefent; a 
contribué à cette erreur. 

Le jour fuivant nous paffames af- 
fez proche de l'Ifle de Scyra , apellée 
autrefois Scyros , & proche de celle 
de Gyaros que l'on nomme à prefent 
loura. Elle avoit la reputation d’être 
un tres mauvais fejour , & l'on y en- 
| voyoit en exil des perfonnes de qua- 
lité de Rome. Aujourd'huy elle eft 
tout-à-fait inhabitéc, la grande quä- 
tité de rats ayant fait deferter cesIn- 
fulaires , fi nous ajoütons foy au ra- 


TINE. 


168 — Voyage de Dalmatie , 

ort de Pline. Iuvenal luy donne le 
cai de courte, * parce qu'en effet 
elle eft tres-petite; & Virgile celuy 
de profonde,d'autant que la mer d’a- 
lentour y a grand fonds, 

Nous arrivàmes enfin à T'enos ap- 
pellée prefentement Tiré, qui eft la 
derniere Ifle que les Venitiens poffe- 
dent au Levant. Elle eft mieux culti- 
vée & plus peupleé que les autres If- 
les Cyclades , qui font foûs la domi- 
nation Ottomane, parce qu'elle eft à 
couvert des infultes des Corfaires 
Chrétiens. Elle n'a point de Port, 
mais feulement une plage appellée 
Saint Nicolas , où les vaiffeaux vont 
donner fonds., aupres de laquelle 
étoir la Ville de cette Ifle , & bien 
qu'il n'y ayt plus que trois ou quatre 
maifons , le lieu porte encore le nom 
de Polis, qui fignifie une Ville en nó- 
tre langue. De-là on monte àla For- | 
tereffe qui eft à quatre ou cinqmil- : 
les de la mer fur un des plus eminens 
: endroits 
* Aude aliquid brevibus Gyaris. c 
. carcere digaum.luven.Sat.1. ———— 
Vt Gyara clanfns fcopulis. parváque | 

Seripho. Idem. Sat. 10. 


€ de I Archipel. 169 
endroits de l'Ifle,ce qui la rend con- 
fiderable pour l'avantage de fa fitua- 
tion. Le Bourg joint la Fortereffe, 
| & en cas de beloin tous les habitans 
des Villages s'y pourroient renfer- 
| mer. Ils fuivent préque tous le rit 
| Latin , quoy-qu'ils parlent la langue 
Greque , & l'on y conte jufqu'à 24. 
| Villages ; qui s'employent à faire de 
laíoye & à travailler celle de l’Ifle 
 d’Andros. Elle n'y vaut qu'environ 
| quae francs la livre, mais elle n'eft 
pas fort belle , & ils font fi mal - 
'adroits en cespays-là , qu'au lieu de 
luy donner du luftre en la travaillant, | 
ils luy otent celuy qu'elle avoit ; de 
forte que leurs étofes de foye ne pa- 
roiffent pas plus que fi elles étoient 
de fleuret. Nous rencontràmes dans 
fcette Ifle un François qui s'y eft éta- 
foli, & qui tâche de s’y faire creer 
Conful de la Nation , n'y en ayant 
»oint encore en celieu-là. Il s'ap- 
elle Charles Guyon , & paroit étre 
ort honnête homme. L'Ifle eft 
ertile en bleds , en figues & en 
eaux raifins , ce qui a donné occa- 
on de graver au revers d'une me- 


H 


170 Voyage de Dalmatie , 
daille de cette Ile que nous y trou- 

vàmes , une grape deraifin. Dans 

une autre on y void Neptune avec 

fon Trident , parce qu'il y avoit fà 

autrefois un Temple celebre conía- 

cré à ce Dieu. Elle a aufli porté an- 

ciennement le nom d’Hydrooufa , à 

caufe de quantité de fources d'eau | 
dont elle eft remplie, Tout le roc y 
eft prefque de marbre , & il y en a 
encore des carrieres qui ont été au- | 
trefois travaillées, Notre Efcadre | 
devoit s'y arrêter quelques jours ;: 
pour avoir le temps de charger les 
hardes d'un Provediteur de Tiné,qui | 
retournoit à Corfou avec la moitié - 
des Vaiffeaux, Ainfi nous aurions eu 
peu de curiofité fi pendant ce tems- | 
là nous ne fuffions allé voir l’Ifle de. 
Delos qui n'en eft éloignée que de. 
douze milles. Nous liimes la partie! 
avec un Docteur de Tiné nommé Si-: 
gnor Nicolo Crefcentio , qui s'offrit 
fort obligeamment de nous y con-! 
duire. Nous ne pouvions fouhaiter 
une meilleure compagnie, car il fca- 
voit l'hiftoire de ces pays-là , le La- 
tin & l' Italien , & n'étoit pas igno- 


de l'Archipel. τα 
rant ni en Philofophie , ni en Thco- 
logie , ayant bien étudié à Rome. 
. Nous fimes quelques provifions pour 
y diner, & nôtre Docteur n'oublia 
| pascinqou fix gros oignons pour fon 
écot, En France on laifferoit cela aux 
payfans & aux maçons ; mais auffi il 
faut avouer qu'il y a autant de diffe- 
rence entre nos oignons & ceux de 
ces pays-là , qu'entre nos poires de 
bon Chrétien , & les poires que le 
vulgaire appelle d'étranguillon;c'cft- 
à-dire ápres & rebutantes. Ces oi- 
| gnons des Ifles de l'Archipel n'ont 
point cette mauvaife odeur & cette 
acrimonie qu'ont les nôtres, Ils font 
doux , & fe mangent cruds comme 
des pommes,& méme font excellens 
| pour ayder la digeftion. Je fuis per- 
fuadé que les plus délicats de nos 
François ne feroient pas difficulté 
d'en manger , apres en avoir goûté 
une fois. Cela me fit. faire quelque 
reflexion fur ce que les Enfans d'If- 
rael regrettoient fi fort les oignons 
d'Egypte ; & en effet des gens qui 
avoient été en Barbarie & en Egypte 
nous affuroient que ceux de ces quar» 
2 


DELOS 


472 Voyage de Dalmatie , 
tiers-là font encore plus excellens 
que les oignons de la Grece, 1l en eft 
de méme des pourreaux qu'on man- 
ge aufli tout cruds, & dont les Grecs 
font un grand regal, Le Soleil en ces 
lieux-là ayant plus de force , toutes 
fortes de fruits ; d'herbages & de le- 

umes meuriffent bien mieux que 
τᾷ nôtre climat où la chaleur man- 
que. On croiroit que de manger du 
concóbre crud en quantité, & méme 
avec du lai& aigre,ce feroir affez pour 
faire creyer un cheval, Cependant 
tous ceux qui ont été au Levant fça- 
vent que c'cft un des mets les plus 
delicieux des Turcs, & que perfonne 
ne s'en trouve jamais incommodé en 
ces pays-là, 

Nous primes donc une Barque de 
Tiné , où nous laifsàmes nos Vaif- 
feaux , croyant de les pouvoir venir 
rejoindre fur le foir, Vn petit vent 
favorable nous porta heureufement 
en deux heures à Delos , dont je vas 
vous donner la defcription le plus 
exactement qu'il me fera poffible. 

DELOS eft appellée par les Grecs 
Dili au nombre plurier ; parce qu'ils 


BETA ΝΗ 
ILE 
Apellee 
Autrefois 
: A 55 R HENÆA 
18 ee 
PoRT 2 
E 3 tombeaiux: ὅς 
c. 3 [ms = Maintenant 
Jrscription E LSU La 
de t "auf me. 
Mikridate "zs à TS grade DELos 


o 
LD — o 0 
PT. ZE choles 


Bye 


e de l Archipel. 173 
comprennent (οἷς le méme nom l'1f- 
le Rhenæa,qui de loin femble n'étre 
qu'une même Ifle avec Delos ; & ils 
lY'appellent la grande Delos,* & l’aus 
tre qui eft la veritable , la petite De- 
los. La premiere a peu de mafures; 
& à füfhíamment: de bonne terre 
pour étre cultivée, comme elle l'eft 
par ceux de Myconé : mais la vetita- 
ble Delos a tant de ruines,qu’elle ne 
Ícauroit l'étre , & elle n'eft habitée 
que de Lievres & de Lapins , qui y 
multiplient de telle forte ; que cela 
luy fit donner anciennement le nom 
de Lagia , lagos en Grec fignifiant un 
Lievre. C'étoit peut-être pour cette 
faifon qu'on n'y fouffroit point de 
chiens, puis qu'ils en auroient bien- 
tot éteint la race, & que Delos étant 


* M. Baudrand qui a augmenté le Di&io- 
naire de Ferrari, fe trompe de dire que cet- 
te Ille eft prefentement nommée Fermene, 
qui eft le nom corrompu de l’Ifle de Ther- 
mia à plus de 30.milles de Delos,dont nous 
avons parlé àla pag.167.L'erreur de nos ma- 
riniers qui ont crü qu'on les appelloit Sdi- 
les , vient de ce que les Grecs pour dire à 
Delos, difent ez Dilouws, ὃς pour abreger 
S-Dilous ou S-Diles. 
H 3 


174 Voyage de Dalmatie , 

un lieu facré , les bêtes méme y de- 
voient trouver un afyle affuré. On 
luy donna auffi le nom d’Orrygia , 
comme qui diroit l'Ile des Cailles, 
parceque felon le fentiment de Soli- 
nus , c'étoit là que les premieres 
avoient été vûes.Mais à prefent qu'il 
nc s'y feme plus de grains, il ne faut 
pas s'étonner que ces oyfeaux l'ayent 
abandonnée pour fe retirer dans les 
les voifines. 

Vne fuite de fiecle change beau- 
coup la face d'un pays. Herodote af- 
fure que cette Ifle étoit fertile en 
Palmiers , mais prefentement il n’y 
en a pas un feul , & il n’y vient que 
du Lentifque, qui eft l'arbriffeau qui 
porte la gommede maftich. On tient 
quil n'en produit que dans l'Itle de 
Chio ; mais il y a apparence que fi 
on lecultivoit de meme à Delos,il en 
produiroit auffi ; car j'y en remar- ! 
quay quelques larmes deffus , & le 
climat de ces deux Ifles eft prefque 
femblable. | 

Au refte cette Ifle à été fi celebre 
dans l'Antiquité , que vous ne trou- 
verez pas étrange fi je m'étens un 


— € de l'Archipel. 175 
peu fur fa defcription;veà queles An- 
ciens ne nous l'ont pas affez nettemét 
depeinte 9 & que les modernes ne 
hous en ont donné que des portraits 
fort peu reffemblans. Laurember- 
gius qui a fait de petites cartes de 
toute l'ancienne Grece , embrouille 
plus la fituation des lieux qu'il ne les 
deméle , les ayant placez plutôt fe. 
lon fon caprice , que felon la verité: 
auffi eft-il fort difficile de le bien fai- 
re, fans avoir été fur les lieux. 

Delos a pris fon nom du mot Grec 
delein, c'eft-à-dire paroitre, parceque 
felon quelques Autheurs elle parut 
la premiere des autres Ifles aprés l’é- 
coulement des eaux du Deluge , qui 
arriva au fiecle d'Ogyges,long-tems 
avant celuy de Deucalion. Mais c'eft 
une fable mal inventée, fuppofé mé- 
me que ces deluges particuliers euf- 
fent pà fenfiblement enfler la mer, 
Car les eaux venant à fe retirer, De- 
los auroit plutôt été des dernieres à 
paroitre, étant une Ifle fort baffe, & 
n'y ayant pas une des Ifles voifines, 
comme Andros, Tine, Myconé, Scy- 
ros & Naxia qui ne foient incompa- 


4 


\ 


176 Voyage de Dalmatie, 
rablement plus hautes. Strabon mé- 
me tout exa& Geographe qu'il eft 
nous en fait accroire,en voulant que 
le mont Cynthus , qui eft au milieu 
de l'Ifle foit une haute montagne; 
puiíquà peine eft-elle auffi élevée 

ue celle du Capitole ; c'eft-à-dire 
qu'elle n'a que 20. ou 30. toifes de 
haut, pour ne pas m'engager dans 
une melure exacte. de Geometrie. 
Mais il y a plus d'apparence que cet- 
te Ifle tire l'origine de fon nom de 
l'opinion qu'on avoit que Latone y 
étoit accouchée d'Apollon & de Dia- 
ne, & que c'écoit là qu'elle avoit ofé 
paroître la premiere fois depuis qu’el- 
le fuyoit par tout le monde la colere 
de Iunon. 

Stephanus en donne une autre rai- 
fon affez ingenieufe. C'eft parce ,dit- 
il, que fon oracle faifoit paroître au 
jour les chofes dont l'on s’informoir, 
& qui fans cela auroient demeuré en- 
fevelies dans l’obfcurité. Ariftote en 
apporte une plus naturelle,& dit que 
Dclos a été ainfi appellée , parce 
qu'elle vint à parétre tout d'un coup 
hors de la mer ; ce qui n'eft pas in- 


€ de l' Archipel. 177 
᾿ croyable, s'il eft ΥΓΔΥ͂ , comme il n° 
a point de doute, que les tremble- 
mens de terre ont íouvent éleyé 
des montagnes dans une plaine , & 
pouifé hors de la mer, des terres 
qu'on n’y avoit pas encore vücs, 

Nous ne fümes pas plutot arrivez 
à Delos , que nous étendimes nótre 
nappe fur l'herbe , pour ne pas aller 
faire nos promenades à jeun. Mais 
ou le peu de provifions que nous 
avions porté, ou la demangeaifon de 
courir parmi les mafures d'un lieu ἢ 
celebre, nous fit abreger nótre repas. 
Nous commengames de marcher du 
cóté oà nous voyions de plus grands 
monceaux de marbre; car l’Ifle en. eft 
fi fort couverte , que fi on y vouloit 
prefentement bâtir une Ville, il ne 
feroit pas befoin d'y employer d'au- 
tres pierres, 

Nous n'eümes pas fait cinquante 
pas depuis le petit Port où nous avoit 
porté nôtre Felouque,que nous trou- 
vàmes onze colonnes debout fans 
chapiteau , & quelques autres cou- 
chées par terre. Les habitans des If. 
les voifines , c'eft-à-dire , quatre ou 


H ; 


178  Poyage de Dalmatie , 

cinq perfonnes,qui ont quelque tein= 
ture de l'Hiftoire , tiennent par une 
efpece de tradition , que c'étoit le 
Gymnafe , ou les Ecoles; & en effet 
affez prés de là nous trouvâmes une 
ancienne infcription qui faifoit men- 
tion d'un Gymnafiarque,ce qui fert à 
confirmer cette opinion. 1] eft vray 
qu'un peu plus à l'écazcnous en trou- 
vâmes une autre , qui parloit d'une 
femblable charge ; & ainfi cela ne 
pourroit fervir qu'à prouver qu'il y 
avoit un College à Delos. On dit 
méme que la plüpart des Corfaires 
Chrétiens appellent encore cette If- 
lej/es Ecoles. Les deux Recteurs dont 
i| eft parlé dans cette infcription 
étoient Atheniens,& l'on fçait qu'A- 
thenes a été long-tems en poffcffion 
de l'Ile. Mais ce qui me furprit , eft 
qu'elles font dediécs, l'une à Mithri- 
date Evergetes , ἃς l'autre à Mithri- 
date Eupator Roys dc Pont , dont le 
dernier fut vaincu par Pompée : bien 
qu'on life dans Strabon que les Ge- 
neraux d'un de ces Roys faccagerent 
D:los , & la mirent au pillage. Les 
Sçavans ont remarqué,que leur nom 


Οὔ de I Archipel. 179 
devoit étre écrit Mithradate , comme 
on le void dans ces deux bafes de fta- 
tuc, que je vous donneray avec d'au- 
tres à la fin de cette Relation. 

Environ cinquante pas plus loin 
nous vimes un lieu pour les Nauma- 
chies ou combats de mer qui fe fai- 
foient pour le divertiffement du peu- 
ple. C'eft un ovale de 300.pieds de 
long & de 200.de large,revétu d'une 
muraille de quatre ou cinq pieds de 
haut;autour de laquelle il paroit en- 
core trois ou quatre colonnes fut 
pied , & l'on juge parlà qu'il y en 
avoit une rangée qui l'entouroit, foit 
qu'elles ferviffent fimplement pour 
l'ornement, ou pour attacher les pe- 
tits bateaux qu'on y faïfoit combat- 
tre , le lieu n'étant pas capable d'en 
porter de grands. * | 

Ayant pafféun peu plus avant dans 
ces precieux debris, nous nous trou- 
* C'eft ce que le Poëte Callimachus appel- 
le Tpéxitos λέμ νη γ UN Lac rond : car fon 
Scholiafte ayant expliqué que l'on peut en- 
tendre la mer par ces mots, à caufe qu'elle 
environne l'Ile , il ajoûte que ce peut auífi 
être un Lac rond qui eft dans l'Ifle , ἢ »/am 


Ἧς ἃ gie mese Ex Epift. A GAallanda. 


180 Voyage de Dalmatie , 
vâmes fur le plan du Temple d'A- 
pollon; ce que nous aurions pü igno- 
rer, fi nous n'y euffions apperccu fa 
ftatué couchée par terre , & prefque 
reduite à un tronc fans forme, Ce 
Íont des fuites inevitables defa vicil- 
leffe., ou des mauvais traitemens 
qu'elle a receus par diverfes perfon- 
nes qui ont abordé à Delos.Les unes 
luy ont emporté un pied , les autres 
une main, fans refpect ni confidera- 
tion de l’eftime qu'on en faifoit. an- 
ciennement. Il n'y a pas méme long- 
temps qu'un Provediteur de Tiné luy 
fit fcier le vifage , voyant que la téte 
étoit une trop lourde mafle pour la 
pouvoir enlever dans {on Vaitfeawr, 
En effet c'étoit un vray Coloffe , ear 
cette ftatu& étoit quatre ou cinq fois 
plus grande que nature, comme vous 
le pouvez juger par les mefures que 
yeus la curiofité d'en prendre. La 
largeur des deux épaules enfemble 
eft defix pieds, ὃς le tour de la cuiffe 
vers le milieu , environ de neuf, Je 
ne pus pas fi bien prendre la hauteur, 
É- qu'il y manque les deux jam- 
bes & une partie des cuiffes. Comme 


d de l'Archipel. 181 
nous admirions un fi beau morceau 
-de marbre , un de nôtre compagnie 
nous dit que nous avions tort de 
prendre cela pour une ftatué d'Apol- 
lon ; & que (lon fon fentiment,c’en 
étoit plutôt une de Diane,parce qu'il 
y remarquoit de longues treffes de 
cheveux qui luy pendoient fur les 
épaules. Je luy repartis que je croyois 
que c'étoit lui-même qui prenoit le 
change , & que ces cheveux étoient 
la marque la plus affurée que cette 
ftatué étoit d'Apollon , parce qu'ils 
nous reprefentoient fes rayons ; ce 
qui avoit porté les Anciens à luy 
donner le furnom d'ALeirecomis en 
Grec, & d'Jatonfus en Latin, & c'eft 
de la maniere qu'Horace le depeint 
au premier Livre de fes Odes: 

Dianam tenera dicite virgines , 
Intonfum pueri dicite Cyntbium. 
C'étoit pour fignifier que la cheve- 
lure d'Apollon n'avoit point été 
-coupée , au lieu que Diane avoit fes 
cheveux rattachez derriere,pour n'é- 
tre pas embarraffée à la chaffe, dont 
elle faifoit fon divertiffement ordi- 
paire. À quoy il falloit ajoûter ; lux 


18» Voyage de Dalmatie, 

dis-je , que Diane étoit toájours re- 
prefentée vétué , & Apollon nud , à 
la referve d'un petit manteau qu'on 
luy donnoit quelquefois , comme ce- 
luicy paroiffoit en avoir eu un fur l'é- 
paule gauche. 

Pour ce qui eft de ]a ftatuc de Dia- 
ne, qu'on Ícgait par l'Hiftoire avoir 
aufli été à Delos , nous l'y cherchä- 
mes inutilement , & nous trouvámes 
feulement prés de là une piece de 
ftatué que nous jugeâmes être d'un 
Centaure, dont la fculpture étoit 
merveilleufe , les veines & les muf- 
cles marquant l'effort qu'il failoit, 
_ À quelques pas de là nous vimes un 
demy-corps de femme , dont la dra- 
perie étoit l'ouvrage d'une main auf- 
fi delicate que celle qui avoit travail- 
lé à la piece precedente. Pour moy, 
je jugeay que les deux pieces n'en 
avoient autrefois fait qu'une , & 
qu'elle reprefentoitle Centaure Nef- 
fus qui enlevoit Dejanire; ce qui ne 
convenoit pas mal à l'orsement de ce 
Temple,puifque les Cétaures étoient 
confacrez à Apollon , comme nous 


Japprenons par les types de diverles - 


| Οὐ de l'Archipel. 183 
medailles , & particulierement de # 
Galien. D'un autre côté du Temple 
on void encore quatre troncs de mar- 
bre, qu'on auroit de la peine à pren- 
dre pour des Lions, fi les voifins de 
Delos ne fe reffouvenoient de les 
avoir vüs fur pied , & plus entiers 
qu'ils ne font. Le Lion étoit auff 
dedié à Apollon , & lorfque les Per- 
fes vouloient reprefenter le Soleil.ils 
εξ depeignoient avec un vifage de 
Lion, parceque lors qu'il eft dans le 
| figne du Lion, il a plus de force que 
. dans tous les autres. 

Entre a mer & le Temple regnoit 
un beau Portique de marbre du cóté 
qui regarde l'Ifle de Rhenia. C'eft là 
particulierement qu'il refte une pro- 
digieufe quantité de grans quartiers 
de marbre, de pieces de colonnes, ὃς 
de frifes entaffées les unes fur les au- 
tres. Les colonnes qu’on y void font 
pour la plus grande partie canclées 
par le haut , & taillées à facetes par 
** Medaille de Galien, Revers, un Centaure, 
& écrit autour Apollini Augufto , ce que le 
Poëte Manilius liv.z.confirme dans ces deux 
Vers : 

- Et Phœbo (acer ales, e» almo grates Iacchx 
Crater (n duplici centaurus imagine fulgés, 


184 — Voyage de Dalmatie, 
le bas. Nous ne vimes dans cette 
confufion que deux ou trois chapi- 
teaux d'ordre Corinthien,le refte qui 
devoit accompagner les colonnes 
ayant été enlevé par les Vaiffeaux 
Turcs ou Chrétiens , qui y font ve- 
nus aborder depuis que l'Ifle a été 
abandonnée. Les Roys de la Grece 
avoient contribué aux frais d'un fi 
fuperbe ouvrage , dequoy il ne nous 
fallut point d'autres preuves que le 
nom du Roy Philippe de Macedoine 
ue nous y làmes fur une grande fri- 
e, & celuy d'un autre Roy appellé 
Dionyfius Eutyches fur un marbre | 
femblable. | | 
Joignant le Temple ,où peut-être | 
méme dans fon enceinte,nousremar- | 
quâmes une grande pierre àdemy en- . 
xerrée , où fe lifent ces deux mots, 
NAXZIOI ATIOAA quine nous ap- 
prirent autre chofe,fi ce n'eftque les 
habitans de l'Ile de Naxos appellée 
prefentement N axia , avoient dedié 
à Apollon quelque ftatué , ou quel- 
qu'autre monument à Delos, dont ce 
“marbre fervoit de bafe. De l’autre 
«óté il y avoit quelques caracteres, 


€ del Archipel. 18; 
qui approchoient de la figure des let. 
tres Tofcanes anciennes , mais je re- 

connus pourtant qu'elles étoient de 
Grec moderne, 
. Au pied du mont Cynthien l'on 
void auffi grande quantité de mar- 
bres & de pierres , qu'on peut juger 
être des debris de la Ville, car c'étoit 
là qu'elle devoit étre placée , felon la 
defcription que nous en font les Au- 
theurs; & particulierement Strabon, 
Nous y lümes une infcription qui 
parle d'un Vœu fait à Serapis , Ifis, 
Anubis & Harpocrates , qui peuc- 
être y avoient un Temple, quoyque 
les Hiftoriens ne nous en ayent pas 
fait mention ; ou du moins un Autel 
dans le Temple d'Apollon ; car les 
Egyptiens difoient quelquefois que 
Serapis étoit Iupiter, & d'autres fois 
que c'étoit Apollon ; d’où vient qu'ils 
reprefentoient fouvent Serapis avec 
des rayons autour de la tête, De mé- 
me ils croyoient qu'Ifis étoit la Lu- 
ne,&on la void quelquefois dans 
les medailles avec un croi ffant. * 


* Cette Ville s'étendoit dans la plaine juf- 
q u'au détroit de mer,qui cft entre les deux 


4986 — Voyage de Dalmatie, : 

Jfles de Delos & de Rhenæa, & méme le 
Theatre dont nous patlerons bien-tôt éroic 
dans l'enceinte de la Ville ; comme on l'ap- 
prend par une infcription qui fe void main- 
tenant à Venife , à la Bibliotheque de Saint 
Marc , & qui apparemment a LE apportée 
de Delos. Elle eft imprimée dans le Grute- 
rus à la page ecccv. Stephanus parle d'un 
lieu appellé Olympieum dans l'Ifle de Delos, 
où les Atheniens bâtirent une Ville, aux dé- 
pens de l'Émpereur Hadrian , à caufe de- 
quoy ils la nommerent, Ja nouvelle Athenes 
d' Hadrian, & il y a beaucoup d'apparence 
que c'étoit cette même Ville dont parle 
Strabon;qu'ils avoient rebárie ὃς agrandie. 


Tout Le marbre qui étoit employé 


à Delos étoit de celuy de Paros , que 


les Grecs eftimoient beaucoup pour 
fa beauté & pour fa blancheur. Le 
p mont Cynthius qui donnoit le 

urnom de Cynthien à Apollon & à 
Diane, eft un roc de marbre granite, 


alfez approchant de celuy d'Egypte. 


Il ne paroit pas neantmoins qu'en en. 


ait jamais tiré, On void au deffus 
quelques mafures,comme s'il y avoit 
eu quelque Temple. 

Entre cette colline & la mer du 


coté qui regarde l'Ile Rhenia, nous | 
vimes un Theatre de marbre, dont il : 


ὦ de f Archipel. 1$7 
refte encore une partie des degrez. 
Il a un peu plus que le demi-cercle 
avec les angles exterieurs qui ren- 
went en dedans. Son diametre en y 
comprenant l'épaiffeur des degrez eft 
de 200. pieds. Sur le derriere font 
placées aux cótez deus efpeces de 
Tour maffives qui ont 3o.pieds de 
long & 18.de large; & (οὔ l'endroit 
de la Scene fe decouvrent en terre 
neuf voûtes féparées chacune pat 
une muraille, Nous les primes pour 
des citernes , parce qu'à quelques- 
uneson void un conduit qui y portoit 
Peau de pluye. 

Sur le foir nous voulàmes retour- 
ner à nos Vaifleaux , mais voyant le 
vent fenfiblement augmenté , & la 
mer fort agitée , nous trouvàmes à 
propos d'attendre au lendemain.Ain- 
fi il fallut pour ce foir-là nous con- 
tenter des reftes de nôtre diné, & 
de nous faire des matelats de Po/ium 
montanum , & d'autres herbes que 
inous pümes amaffer , efperant que le 
vent fe calmeroit la nuit,& que nous 
pourrions nous remettre en mer de 

grand matin. Mais le jour étant ve- 


188 Foyage de Dalmatie , 
nu, & le vent fe rendant toüjotts 
plus fort, nous ne voulümes pas rií- 
quer avec une fi ien barque que la 
nôtre, Cette difgrace nous arriva 
.. tres-mal à propos;parceque nous n'a- 
vions pas eu la precaution de pren- 
dre des provifions ; & qu'il nous au- 
roit fallu jeüner fort aufterement 
tout ce jout-là, fi par bonheur un de 
nôtre compagnie n'eüt mené avec 
luy un chien de chaffe , & porté fon 
fufil , avec quoy il tua quelques la- 
pins , que nous fimes rótir le moins 
fal que nous pümes , & que nous 
mangeâmes fans pain, ni bifcuit. Le 
pis étoit que nous n'avions rien à 
boire, δέ qu'alorsla chaleur étoit 
tres-grande. Nous cherchámes inu- 
tilement la riviere d’Inopus, qui cou- 
loit autrefois dans cette Ile , felon 
le témoignage de Strabon & de plu- | 
fieurs autres Gcographes,de l'infide- | 
lité defquels nous avions bien lieu : 
de nous plaindre dans une rencontre : 
fi fàcheufe. Mais cette riviere dont 
ils font métion ne pouvoir être qu'un 
torrent fort mediocre qui ne fe for- 
moit que pat la pluye , ou du moins. 


ei de l'Archipel. 189 
une fimple fontaine que le bonlever- 
fement de tant de ruines nous ca- 
choit. Auffi Pline ne luy donne que 
le nom de fontaine ; mais il en ra- 
conte une chofe merveilleufe ; c'eft, 
dit-il , qu'elle obfervoit le méme 
temps & la méme regle que le Nil 
quand elle venoit comme ce fleuve à 
croitre ἃς à decroitre, 

Le Docteur Crefcentio , qui étoit 
nôtre guide fçavoit pourtant que 
l'Ifle avoit de l'eau , & il s'opiniátra 

à lachercher deux heures durant. A 
la finil trouvaune ouverture de voü- 
te à cent pas du pied dela montagne 

, parmi des mafures, Ayant jetté de- 
dans une pierre , il reconnut qu'il y 
avoit de l'eau, & nous en vint aver- 
tir. Nous nous y rendimes tous, 
pour y faire defcendre un de nos ma- 
tclots,& nous remplir un baril. C’é- 

toit une belle citerne ancienne àqua- 
we voûtes feparées feulement par 
quelques piliers. L'eau en étoit bon- 
ne, ou du moins elle nous paroiffoit 
telle, & méme auffi excellente que le 
eilleur vin du monde. 3 
L'apreídinée nous allàmes à la 


190 Voyage de Dalmatie , 

pointe de l'Ile qui regarde Tiné ἃς 
Myconé , pour obferver fi nos Vaif- 
feaux étoient encore à l'ancre. Nous 
vimes qu'ils éoient à la voile pour 
fuivre leur route de Conftantinople, 
& fümes bien furpris deles voir par- 
tir, fans trouver d'expedient pour 
nous y rendre. Le vent leur étant 
contraire nous. jugeâmes bien qu'ils 
auroient de la peine à doubler le cap 
de Tullo, qui eft de l’Ifle de Myconé, 
ce qui nous donna quelque efperance 
qu'ils feroient obligez de retourner 
à Tiné, ou de venir mouiller au Port 
de Myconé , en quoy nous ne fümes 
pas trompez , car ils vinrent donner 
fond à ce dernier. Notre fommeil ne 
fut pas profond cette nuit-là , par 
l'inquietude de ce: que nous devien- 
drions fur ce miferable écueil de De- 
los , dont l'ancienne renommée ne 
nous donnoit point à manger. Nous 
fümes tous éveillez avant l'aube du 
jour , & nos matelots ayant remar-: 
qué que le vent s'étoit un peu relà- 
ché , nous pcofirmes de ce moment 
pour nous embarquer , & venir à la 
rame à Myconé , ce que nous fimes 


& de P Archipel. 191 
en moins d'une heure, Comme nous 
étions tout proche, le vent recom- 
menca de foufler plus cruellement 
qu'il n'avoit fait , & bien que nous 
fuffions à l'abry de la cóte;nous n'c&- 
mes pas peu de peine à gaigner le 
Port. Les vagues avoient rempli 
d'eau nótre barque , & nous étions 
prefque autant moüillez que fi nous 
fuffions tombez dans la mer, 

MYCONE , anciennement 745- 
conos εἰ l’Ifle où les Postes difoient 
que les Centaures defaits par Hercu- 
le étoient enterrez, Elle n'eft fepa- 
rée de Dclos que de trois milles de 
trajet, & non pas de quinze , comme 
Ferrari l'affure dans fon Dictionaire 
Geographique. Entre cetre Ifle ὃς 
Delosil y a un écucil que les Francs 
appellent Dragonera , & les Grecs 
Tragonifi, comme qui diroit l'Ifle des 
Boucs. Le circuit de Myconé eft de 
25. à 30.milles. Elle eft fertile en 
orge & en vin, mais qui n'eft pas des 
meilleurs. Je m'étonne que Baudrád, 
qui a augmenté Ferrari , dife qu'elle 
eft foûs la domination des Veniticns, 
n'ayant pas oli dire qu'ils en ayent 


MYCO: 
NE. 


192 Voyage de Dalmatie, 

jamais été en D Mais il fe 
peut faire que du temps de la guerre, 
l'Ile érant abandonnée , ils y ayent 
fait quelque defcente. Car elle n'a 
point de Forterefle,& c'eft pourquoy 
les Turcs n'oferoient l'habiter , de 
peur que les Corfaires Chrétiens ne 
les y vinffent enlever pour les rendre 
efclaves. Mais les Galeres du Grand 
S:igneur ne manquent pas toutcsles 
années d'y venir prendre le tribut 
par tefte qu'ils appellent Caratseb : 
Il n'y a qu'un feul village dans l'Ile, 
& il paye pour fon Caratsch trois 
mille fix cent piaftres, Le nombre 
des habitans monte à peine à deux 
nille, & l'on y trouve quatre fem- 
es pour un homme , parceque la 
pluspart de ces Infulaires font Mari- 
niers ou Corfaires , & il ne revient 
jamais la moitié de ceux qui vont 
chercher fortune. Les filles n'y font 
pas cruelles , quoyque pour la plá- 
part elles foient tres-belles. Nôtre 
Capitaine en enleva une , que fon 
propre pere luy avoit vendue. Elle 
faifoit femblant de n'y pas confen- 
tir, & toutes les femmes feignoient 


de 


Ls " lé X € co E 


adeft deni db bte ni χ- + 


ET ee OR ER EE NP I ET 


— εἶν del Archipel. . 193 
de s'en allarmer, Leur habit eft tout- 
à fait particulier, Le corps eft de ve- 
lours rouge ou brun ; les manches 
font de toile , ayant plus d'une aune 
de large, & autant de long. Le co- 
tillon fort pliffé ne defcend qu'un 
peu plus bas que le genou, & la che- 
mife qui paroit deflous jufqu’au fou- 
lier, eft pliffée de méme, & ouvragée 
deíoye. Elles s'entrctiennent à filer 
du coton qui croit dans leur Ifle , ou 
de la foye d'Andros , dont elles font 
des mouchoirs. Le Gibier eft à grand 
marché dans cette Ifle. La paire de 
perdrix ne coûte d'ordinaire que cinq 
fols, mais nous en payámes dix, par- 
céque nous étions étrangers. S'ils 
avoient alfez de poudre, on les auroit 
| encore à meilleur prix.Le bois & l'eau 
| yfont rares.On n'y brûle préque que 
| des herbes feches , & un grand puits 
| fournit d'eau τοῦς le Village. Il y a 
environ trente Eelifes Grequcs , ὃς 
une feule Latine. Le Commandant 
de l'Ile eft un Grec de Conftanti- 
 nople. 
| Vendredy 25.d'Aouft nous levá- - 
mes les anchres fur le midy ; ὃς paf- 


194 Voyage de Dalmatie, 

sâmes entre Tiné ὃς Myconé , qui ne 
font éloignées l'une de l'autre que 
de quatre ou cinq milles. La Tra- 
montane nous étant contraire, elle 
nous jetta le lendemain du coté de 
Nicaria & de Samos, que nous laif- 
sâmes environ à trente milles fur.nó- 
tre droite. Sur le foir nous nous 
trouvâmes prèque à l'entrée du ca- 
. nal , qui eft entre Chio & la tetre- 
ferme de Natolie. Comme ce n'étoit 
pas nótre route de nous aller enga- 
get dans ce détroit , nous fifmes un 


grand bord à gauche pour aller dou- 


bler l'écueil de Venetico, proche due 
quel nous pafsâmes, Le Dimanche 
nous eümes bonace, & nous avions à 
notre droite l'Ile deScyros,& le pe- 
tit écueil de Caloiero, que quelques- 
uns. prennent mal-à-propos pour 
l'Ifle de Gyaros, qui s'appelle main- 
tenant Zozr4, comme je l'ay dit plus 
haut. Quand on découvre de loin 
cét écueil , il femble que c'eft une 
voile de navire. La nuit le vent s'é- 
tant mis au Siroc ou Sud-eft , nous 
paísàmes entre l'écáeil de Pfara, qui 


pa qu'un Village , & l'Ille de Cl, 


c de ἢ Archipel. 19$ 
Le vent continuant de nous être fa- 
vorable, nous laifsàmes à nôtre droi- 
te Metelin,qui eft l'ancienne Lesbos, 
ἃς vinmes le foir du 26. entre lifle 
de Tenedos & le pays de Troye , où 
un calme qui furvint nous obligea de 
jetter l’anchre, 

Je ne puis quiter l'Archipel , fans 
vous en dire quelques autres particu 
laritez que j'ay [cceues. Chio eft une 
belle 1fle , où il y a une bonne Ville 
& douze ou quinze Villages,qui cul- 
tivent le Lentifque & le Terebinte, 
pour en tirer le maftic & la tereben- 
tine, dont on fait beaucoup de cas 
dans toute l'Europe. On y fait auffi 
des étofes defoye , & des damas af- 
fez groffiers qu'on envoye en Barba- 
rie. L'Ifle a environ foixante milles 
de tour, & il y a un bon Port & une 
bonne Fortereffe , où le Grand-Sei- 
gneur entretient une Garnifon. 

METELIN eft le double de Chio 
en grandeur , mais fon negoce n'eft 
pas femblable.Tous fes revenus con- 
fiftent en grains, en fruits, en beurre 
& fromage, & ces deux Ifles payent 
chacune dix-huit mille piaftres.de 

li x 


CHIO, 


METE: 
LIN, 


196 | Voyage de Dalmatie, 

Carafch au Grand Seigneur, Ceux 
qui le levent des habitans de Chio, 
le leur font payer encore trois ans 
aprés leur mort, c’eft-à-dire, qu'ils y 
obligent lheritier.En general,quand 
un Grec change de pays, il faut qu'il 
paye doable carafch, un dans le pays 
qu'il 4 laiffé , & l'autre dans celuy 
qu'il vient habiter , à moins qu'il ne 
s'en exemte par quelque addreffe , 
comme en tàchant de cacher fon 
nom & fa naiffance. L'Ifle de Naxia 
paye pour le fien (jx mille piaftres ; 
Milo trois mille; Paris e Aufe au- 
tant ; Seyra deux mille ; Zea dix-fept 
cent pour le carafch , & deux mille 
cinq cent de dimes ; “πάγος quatre 
amille cinq cent de carafch,& fix mil- 
le huit cent de difmes. Negrepont, 
qui eft la plus grande Hle del'Archi- 
pel paye pour tous fes droits cent 
mille.piaftres. Le difme vient aux 
Beys ὃς Vayvodes , qui font obligez 
d'entretenir de ces deniers-là certain 
nombre de Galeres , fans qu'il en 
coûte rien au Grand Sceigneur.Szr- 
ge entretient deux Galeres ; Naxia, 
Metelin, Samos, Andros une chacu- 


- 
ww" "—————— A—— ts 7 


e de l'Archipel. 197 
ne; Chio deux ; Myconé avec Seri- 
pho une, & de méme les autres à pro- 
portion. Naxia étoit anciennement 
dediée à Bacchus , parce qu'elle eft 
fertile en vins excellens, qui n'y va- 
lent qu'un quart de piaftre le baril. 
Sur un écucil qui n’eft qu'à une por- 
tée de moufquet de l'Itle il refte un 
tres-beau portail de marbre, qu'on 
croit avoir été d'un Temple de ce 
Dieu. L'air y eft fi bon,qu'un Noble 
Venitien appellé Antonio Gigli qui 
s’y étoit retiré depuis 30.ans, y mou- 
rut depuis peu âgé de cent quinze. 
Il y en a encore uii autre de la famil- 
le des Baroci âgé de cent cinq ans, 
comme me l'ont affuré des gens di- 
gnes de foy qui ont demeuré dans 
cette Ifle. 

Nous fümes contrains de demeu- 
rer quelques jours à l'ancre entre 
Tenedos & la Troade, tantót la bo- 
nace , & tantót le vent contraire, 
s'oppofant au deffein que nous aviós 
d'avancer chemin. Pour ne pas per- 
dre ce temps-là inutilement , nous 
nous fi(mes mettre à terre avec l'ef- 
quif , & allàmes voir de plus prés les 

I 3 


TROYE. 


38 Voyage de Dalmatie , 

ruines de la ville de Troye , dont 
nous découvrions quelques marques 
vis-à-vis de nous. Le terroir d'alen- 
tour eft cout inculte , à la referve de 
quelques endroits où il croît du co- 
ton. Le refte n'eft que broffailles & 
bois de chénes verds, & le terroir ne 
nourrit que des lievres, des cailles & 
des perdrix , qui y font en abondan- 
cc. Quand nous fümes prés du lieu 
où étoit la Ville, nous vimes quanti- 
té de colonnes , dont il n’y en ἃ pas 
une entiere avec le chapiteau.A l'ex 
tremité le la Ville du côté de la Tra- 
montane eft le Port de Troye , que 
l'Antiquité a rendu celebre ; mais 
prefentement l'entrée en eft boucbée; 
& il y refte peu d'eau dans le baffin, 
qui eft prefque tout comblé de fa- 
bles. Les pieds de colonnes qui re- 
ftent autour font juger que fon cir: 
cuit étoit d'environ quinze cent pas; 
Ces colonnes ayant été toutes ron- 
gées par l'air , ne paroiffent pas plus 
belles que la pierre ordinaire ; mais 
on ne laiffe pas de remarquer qu'elles 
étoient de marbre granite d'Egypte. 
La rade fervoit aufli de Port, ce qu'il 


I3 


ὦ de l'Archipel. τὺ 
eft aifé de juger par quantité de co- 
lonnes ὃς de piliers qui y réfent. H 
y a méme dans un endtoit des deerez 
de marbre , & proche de là deux où 
trois tombeaux dont la figure n'eft 

uere differentede ceux des Romains 
qui font à Arles. Leur conformité 
me fait avoir cette opinion,& m'em- 
péche de croire que ce foient des 
monumens des anciens Troyens, 
Nous trouvàmes dans ce qui nous 
parut l'enceinte dela Ville, proche 
d'une moitié de Temple rond , une 
infcription Latine du fiecle des pre- 
miers Cefars.  Augufte y avoit en- 
voyé une Colonie, & avoit un peu 
remis la Ville fur pied. Auffi voit-on 
fouvent à des revers de medailles 
Imperiales le nom qu'elle avoit pris 
de Colonia Augufla Troas. 

Le Grand Seigneur a fait enlever 
quantité de colonnes de Troye pouf 
la fabrique de la Mofquée neuve de 
laSaltane mere. Nous ne laifsámes 

as d'y en trouver encore trois cou- 
chées dans les broffailles,au Sud du 
Port fur une eminence.Il y en a deux 


de 30.pieds de long d'une feule piece 
l 4 


200 Voyage de Dalmatie , 

chacune,& une de 5 5.pieds rópue en 
trois, qui a quatre pieds neuf pouces 
dc diametre , toutes trois de pierre 
granite, Sclon les apparéces le quar- 
tier le plus habite de la Ville étoit 
fur Le plus haut d'une colline qu'on 
monte infenfiblement depuis le riva- 
ge, environ à deux milles de la mer. 
Car on void en cét endroit quantité 
de mafures, de temples, de voütes,& 
un theatre plus petit que celuy de 
Delos : mais particulierement trois 
arcades , & des pans de muraille qui 
reftent d’un bâtiment fuperbe , dont 
la fituation avantageufe & l'étendue 
font connoitre que c'étoit le Palais 
le. plus confiderable de la Ville. Je 
ne veux pas croite , comme le difent 
ceux des environs de Troye, que c'é- 
toit le Cháreau du Roy Priaim,car je 
ne le viens pas plus ancien que le 
tems des premiers Empereurs Ro- 
mains. Ce bâtiment étoit prefque 
tout de marbre , & les murailles ont 
douze pieds d’épaiffeur. Au devant 
de ces arcades , qui patoiffent avoir 
- foütenu une voute , il y a une fi pro- 
digieufe quantité de quartiers de 


C delArchipel. |^ ot 
marbre entaffez les uns fur les au- 
tre, qu'on peut aifément juger par là 
“de la hauteur & de la beauté de ce 
Palais. Nous decouvrimes auffi par- 
my ces ruines un beau chapiteau de 
pilaftre d'ordre Corinthien ; mais fi 
je voulois vous rendre raifon de tou- 
tesles pieces qui reftent dans ces ma- 
fures , j'en aurois pour trop long- 
tems , & je vous ennuyerois d'une 
piece fi feche & fi peu utile. | 
Le famedy 31.d’Aouft nos Vaif- 
feaux avancerent quelques milles, 
pour aller donner fond proche de la 
fortereffe de Tenedos,qui n’eft qu'u- 
ne Tour avec un Boulevard garni 
d'environ quinze canons. Les Veni- 
tiens s'en étoient rédus maitres pen- 
dant la guerre de Candie , mais les 
Turcs la reprirent par le moyen d'un 
tonneau de Sequins , avec lequel ils 
gaignerent le Commandant. L'’Ifle 
eft fertile en bons vins , dont elle 
fournit Conftantinople , & les muf- 
cats y font excellens. Ceux du Vaif- 
feau qui fe plaifoient à la chaffe , y 
xrouvoient autant de gibier qu'ils 
4 vouloient, mais particulierement des 
| lievres & des perdrix, Is 


ΔΌΣ Voyage de Dalmatie , 

Le 5.du mois fuivant nous allâmes 
nous fournir d'eau fous le village qui 
eft au Cap de Janifferi, où étoit l'an- 
cienne Ville de Sigée. Nous montá- 
mes jufqu'au village que les Grecs 
appellent encore 77e;25, & comme 
nôtre voyage fe prolongeoit nous y 
fimes provifion de poules & d'œufs, 
tout y eft à fi grand marché, qu'on a 
quinze poules pour une piaftre , & 
que la douzaine d'œufs ne coüte 
qu'un fou. Nos mariniers y firent 
auffi grande provifion de feves. Le 
Village peut contenir environ trois 
cent feux. Tous les habitans font 
Grecs, & vivent de la vente de leurs 
denrées, qui font bleds,vins,fafrans, 
melons & autres fruits. Le Timin, 
qui cft nótre piece de cinq fols, vaut 
]à quatorze afpres, mais leurs afpres 
font petits, & ne pailent pas à Con- 
ftantinople. 

Quatre jours aprés nous fimes 
voile pour aller mouiller àl'Ile d'Ime- 
bros, où nous avions beloin de faire 
du bois. Cette Ifle cft un peu plus | 
grande que Tenedos, & a quatre vil- 
dages , dont le principal eft Imbros, | 


» 


e de l'Archipel. ποῖ 
accompagné d’une Fortere(fe. Nous 
montâmes à un des plus hauts lieux 
de l'Ile, qui n'eft toute que de peti- 
tes montagnes couvertes de bois, où 
il y a beaucoup de chaffe. Vn Gen- 
tilhomme Flaman de nôtre Vaïflean 
y alla avec fon fufil & fon chien, & 
en moins de deux heures il tua un 
Sanglier & une Laye avec fes quatre 
matcaffins.Ce plaifirluy coàta cher, 
car le Chef de notre Eícadre s'étant 
mis à la voile pendant qu'il chaffoit, 
nôtre Vaifleau fut obligé d'en faire 
autant , & nôtre Capitaine qui ne 
vouloit pas le laiffer , donna ordre à 
trois ou quatre de fes matelots de 
l'attendre avec Pefquif. Il vint demi- 
heure aprés,mais l’efquif ne pouvant 
atteindre le Vaiffeau, la nuit les [ur 
prit avec le mauvais tems , qui les 
jetra fur l'écueil defert. de Afawria 
proche de Tenedos , d’où ils ne fe 
purent rendre que le deuziéme jour 
à notre bord, avec affez de danger ἃς 
de fatigue. 

Le 9. nous entrâmes dans les bou- 
ches de Conftantinople, c'eft-à-dire, 


«dans le Détroit fameux de l'Hicllet- 


, 


204 Voyage de l' Arcbipel , 
pont, qui fepare l'Europe de l'Afie;& 
. en particulier la Thrace de la Phry- 
gie. Ce Détreit où Xerxes Roy de 
Perfe jetta un Pont de bateaux pour 
faire paffer huit cent mille hommes 
en Grece , a deux noms anciens, & 
deux noms modernes. On lappelloit 
Hellefpont ; comine qui diroit , mer 
de Hellé,qui fut fille d'Athamas Roy 
des Thebains , & qui pour éviter les 
embüches de fa belle-mere Ino , prit 
la fuite avec Phryxus fon frere, & fe 
noya en paffant cette mcr, qui en re- 
tint le nom. On l'appelloit encore 
détroit de Seftos & d'Abydos , du 
nom de deux Villes bâties de côté & — - 
d'autre de fon rivage, & fameufes M 
par les amours de Leandre & de He- 
ro , que les Poëtes nous ont tant 
chantées. Les deux noms modernes 
font les Dardanelles & le Détroit de 
Gallipoli , dont je parleray dans la 
fuite de cette Defcription, que jetà- ! 
-cheray de vous donner le plus exa- 
étement qu'il me fera poffble. 
.- Eftant donc fous le canon des deux 
;Chátcaux neufs , qui font des deux | 
. çotez de l'entrée ;, nous les faluâmies — 


€ de Conflantinople. | 205 
de fept coups de nôtre artillerie , & 
ils répondirent à leur ordinaire d'un 
feul coup à bale. Nous les remerciá- 
mes de cinq autres , car les faluts de 
mer fe font toûjours à nombre im- 
pair, comme les medecins font des 
pilules qu'ils ordonnent. Ces deux 
Fortereffes n'ont rien de confidera- 
ble , ni qui les doive faire craindre, 
que la groffeur des canons pointez à 
leur d'eau. Elles n'ont ni foffez, ni 
ouvrages, & cene font que de fim- 
ples murailles, qui ne font pas méme 
Xoütenués de terre par dexriere. Le 
foir l’Aga d'une des Forterefles en- 
-voya-faluer nos Capitaines , & les 
regaler d'un magnifique prefent de 
.deux douzaines d'oeufs , & d'autant 
de poules. On les paya avec ufure, 
par de bon vin & de la poudre qu'on 
prefenta à ceux qui vinrent de fa 
part. Car les Turcs n’ont guere ac- 
coûtumé de donner , s'ils n’efperent 
-de recevoir le double en échange. 

Le courant de l’Hellefpont , qui 
va toëjours du Nord au Sud en tom- 
-bant dans l'Azchipel , comme Pline 
-A'aremarqué , & la Tramontane qui 


206 Voyage de l Archipel , 

y foufle-en Eté quelquefois deux 

mois de fuite,nous empéchoit d'aller 

plus avant, & nous commencions de 

nous ennuyer d'étre fi long-tems à 

l'anchre. C'eft ce qui nous fit pren- 

- dre la refolution d'aller par terre juf= 
qu'aux vieux Chàteaux, pour y pren- 

dre une barque pour Conftantino- 

ple , & il y avoit fept ou huit milles 

de chemin. Nous allâmes au village 

le plus proche appellé Kainourio-Che- 
rio, c'eít-à-dire le Village-neuf,pour 

y chercher des chevaus. Fy couchay 

chez un Grec , qui mme receut avec 
V'Evéque de Serifo & Myconé, qui y 

étoit venu avec moy , & qui avoitle - 
méme deffein que nous. Nótre hôte 

nous traita le mieux qu'il luy fut pof- 
fible, ὃς parceque l'Evéque qui étroit : 
€aloyer, comme ils le fons tous , ne 
mangeoit pas de la viande , felon les . 
regles de leur Ordre , il nous fit un 
repas de raifins, de figues; de mielen — 
rayons , d'œufs , de fromage & de . 
mclons d'eau que les Grecs appellent . 
Angourie.C’eft un fruit commun dans. - 
ces quartiers-là,& les meilleurs viens 


inent de Gallipoli, Cc village cft d'u- 


€ de Cozflantinople. 107 
ne centaine de maifons de Grecs,qui 
y ont une petite Eglife où nous allä- 
mes entendre leurs Vépres. Le Pré- 
tre les chanta de la plus miferable 
maniere du monde, & lon ne difcer- 
noit pas un mot de ce qu'il difoit, 
Peut-être auffi n'y entendoit-il rien 
lui-même ; cat ils font la plüpart fi 
ignorans dans les Villages, qu'ils ne 
fçavent pas feulement lire leur Offi- 
ce, & ce qu'ils en difent , ils le fças 
vent ordinairement par cœur. Du 
moins s'ils le fçavent lire, y en a-t-il 
fort peu qui l'entendent , parce qu'il 
eft en Grec literal;qui eft prefque au- 
tant different du Grec moderne ; que 
le Latin l'eft de l'Italien. 

Le jour fuivant 15.de Septembre, 
n'ayant pü trouver des chevaux,nous 
loüámes pour nous códuire aux Chá- 
teaux quatre chariots pour quatre 
que nous étions avec nos hardes. 
Nôtre marche étoit affez finguliere. 
Nos chariots étoient foütenus de 
deux petites roües folidesfans rayós, 
& attelez chacun par deux buflcs;qui 
mous conduifoient avec beaucoup de 
gravité , ce qui fit que la nuit vint, 


208 Voyage de l'Archipel, —— 
avant que nous fuflions arrivez. Par 
bonheur nous avions rencontré en 
chemin un honnéte homme;qui nous 
reconnoiffant pour des Francs, nous | 
dit qu'il éoit le Conful de la Nation 
Angloife & dela Hollandoife,& qui 
fe mit devant pour nous preparer un 
logis ; ce qui nous fit bien du plaifir, 
parceque n'ayant aucune connoiffan- 
ce en ce lieu-là , & y arrivant à une 
heure de nuit , nous aurions eu bien 
de la peine à en trouver un. Nous. 
fümes receus chez un de fes amis ap- 
pellé Eliazar Ruffer Drogueman des 
Venitiens,& le Cóful s'appelle Abra- 
ham Curfo, tous deux Iuifs de Reli- 
gion , & fort civils. Nous commen- 
çâmes à connoitre que nous étions en 
"Turquie, parce qu'il nous fallut fou- 

er avec nos hotes, les jambes croi- 
fes fur une eftrade , dans la méme 
pofture de nos Tailleurs d'habits. Le 
Bourg de ce Chateau du coté d'Afie 
“ft peuplé de trois ou quatre mille 
ames, moitié Mahometans, ἃς moitié 
Juifs. Les Chrétiens y font en tres- 
:petit nombre, & n'y font pas fort 
onfderez, | 


C de Cezflantinople. — 209 

- Je m'étois imaginé que ces deux 
Cháteaux defendant l'entrée. de la 
mer de Marmora, ou de la Proponti- 
de, & par confequent celle de Con- 
- ftantinople , devoient être quelques: 
places d'importance. Ce n’eft pour- 
.tant rien moins que ce que je m'étois 
figuré,celuy du côté de l’Afie où nous 
étions , n'étant qu'une enceinte de 
murailles, avec un méchant foffé de 
trois ou quatre pieds de profondeur; 
& celuy qui eft du coté de l'Europe, 
n'eft qu'une Tour ronde avec deux 
Boulevarts avácez en cœur d'une ma- 
niere Gottique.Ces deux petites Vil- 
les ne font point fur le plan des deux 
anciénes Seftos & Abydos.comme le 
veulent nos Di&ionaires Geographi- 
ques, Il n'y paroit aucune sad are an- 
tique,& ce n'eft pas là aufli l'endroit 
le plus étroit de l'Hellefpont. Car à 
trois milles plus loin il fe ferre bien 
| davantage , & nous y trouvámes au 
bord de la mer des fondemens & 
quelques mafures , qui nous confir- 
merent que c'écoit là leur veritable 
ficuation. Le nom méme d'Abydo,ou 
Avido eft inconnu aux Châteaux, 


CGCALLI- 
POLI, 


216 Voyage de l'Arrhipel, 
Les noms qu'on donne à ces deux 
Bourgs qui font autour des deux for- 
terefles des Dardanelles, font le ch4- 
teau vieux de Romelie ; & le chatean 
vieux d’Anatolie,chacun felon la ma- 
niere d'exprimer de fa langue.La lar- 
geur de l'Hellefpont eft là d'environ 
deux milles , de forte que le canon 
porte aifement d'un côté à l'autre. 
Le lendemain nous primes une Fe- 
louque à cinq rames,qui nous devoit 
conduire jufques à Conftantinople, 
€ eít-à- dire au moins foixante lieues, 
& nous fimes marché avec des ma- 
riniers Turcs pour dix-neuf piaftres, 
Nous marchâmes toute la nuit, & 
arrivâmes deux heures avant jour à 
Gallipoli,que nous allàmes voir, bien 
qu'il y euft de la pefte.. Mais comme 
nous allions à Conftantinople,où el- 
le regne prefque inceffamment , il 
étoit neceffaire de s'y accoëütuimer dé 
bonne-heure. Gallipoli eft une gran- 
de Ville de cinq ou fix milles de tour, 
mais eile n'eft pas peuplée à propor- 
tion de fa grandeur. Chaque maifon 
préque a fon jardin. Le Bezeftein, 
qui cft le lieu où fe vendent les mar- 


€ de Cozflantineple. — ztt 
chandifes,eft un grand bâtiment qui 
a quelques domes converts de plób; 
& qui eft aflez bien fourni. On fait 
état qu'il y a dans la Ville douze mil- 
le Turcs,quatre ou cinq mille Grecs, 
ὃς préque autant de Euifs. Elle n'a 
qu'une méchante Fortereffe à peu 
… prés de la maniere des precedentes. 
. Nous avions eífayé d'avaneer che- 
. min, mais aprés avoir demeuré à un 
. mille de Gallipoli , & pañlé la. nuit 
foüs un arbre , nous fümes obligez 
d'y retourner , en attendant que la 
Tramontane s'appaisát, & nous vin- 
mes loger chez le Conful Venitien. 
Nous ne trouvâmes pas là des Anti- 
quitez qui nous fatisfiflent,n’y ayant 
và qu'une frife de marbre bien tra- 
| vaillée vers le Port, & qu'une infcri- 
prion de peu de confequence. 

Nous crûmes que nous pourrions r A M. 
voir quelque chofe de plus confide: PsACO, 
table à Lamp/aco , qui eft de l'autre 
côté du détroit dans l'Afie , & nous 
y pafsimes malgré un gros vent qui 
nous donnant en flanc menagoit fou- 

. vent nôtre barque d’être culbucée, 
. C'eft un Bourg mediocre habité de 


212 Voyage de l Archipel ,— 
Turcs & de peu de Grecs. Mais pár 


avance, je dois vous donner avis , 


que quand je vous parle de Villes;de - 


Bourgs ou de Villages dans la Tur- 
quie, je n'entens pas faire une diftin- 
étion comme dans nos pays de lieux 
fermez ou ouverts ; car en Turquie 
les Villes , quoyque fort grandes, 
n'ont point d'ordinaire de murailles, 
à la referve de quelques-unes » com- 
me font Conftantinople,Andrinople, 
& quelques Villes frontieres. Celles 
qui font un peu confiderables ont 
quelque petite fortereffe commandée 
ar un Âga avec quelques Officiers 


& foldats , qui ne portent pas nean- 


moins l’épée,s’ils ne font en faction. 
Auffi feroit-ce s'expofer à quelque 
affront de la vouloir porter dans une 
Ville , car il leur fembleroit qu'on 
auroit quelque mauvaife intention, 
ou du moins qu'on témoigneroit de 
ne fe pas croire,en feureté parmy 
eux. τὰ . 
Lampf(aque eft une des trois Villes 


que Xerxes donna à Themiftocle | 
pour fon entretien. Magnefie étoit | 


pour fon pain,Myuns pour fa viande, 


$ 


Q de Conflantinople. — 213 
& celle-cy pour fon vin. Auffi y re- 
. marquámes-nous de tres-belles vi- 
nes à l’entour. Il y avoit un Port 
excellét à 170.ftades d'Abydos;& el- 
le fut nommée anciennement P;nz- 
fà ; felon le témoignage de Strabon, 
Priape fut particulierement reveré 
en ce lieu-là , qui étoit celuy de {a 
naiffance, & Virgile en fait mention 
au 4.des G:orgiques. Les Turcs qui 
habitent à Lamplaquene font pas fi 
fcrupuleux qu'en bien d'autres lieux, 
où ils n'ofent pas cultiver la vigne, 
| le vin leur étant defendu par la Loy 
- de Mahomet. Icy fous pretexte d’a- 
voir des raifins, ils ne laiffent pas de 
faire des vins cuits qui leur font per- 
mis, & de l'eau de vie,dont les moins 
fcrapuleux fe fervent de même que 
nous. Entrant dans un lieu, où l'on 
boit du Café, nous y trouvames un 
Iuif, qui parloit Italien. Il nous me- 
na voir trois ou quatre Inícriptions 
Greques , dont les deux plus belles 
étoient chez un Turc appellé Achmet 
"Aca Tchelebi , & quelques mafures, 
que nous jugeàmes avoir été des mu- 
railles anciennes de la Ville, 


214  Poyage de l'Archipel., 

La Moíquée eft affez belle pour cé 
lieu-là. Les gens du pays difent 
qu'elle a fervi d'Eglife aux Chré- 
tiens,& en effet aux quatte colonnes 
qui foûtiennent le Portique , on re- 
marque des croix fur les chapiteaux. 
Notre Iuif nous mena voir à une de- 
mi-heure de là au quartier de Souba- 
bachi quelques debris d'une Eglife 
avec fept ou huit colonnes couchées 
par terre les unes fur les autres. Il 
nous en fit un conte que les payfans 
d'alentour affurent étre veritable,que 
depuis peu d'années on en voulut 
emporter quelques-unes pour fervir 
dans Lampfaque à la fabrique d'une 
Mofquée neuve , mais que le lende- 
main on les trouya dans le méme 
lieu d’où elles avoient été ótées ; & 
cela par deux fois ; ce qu'ils attri- 
buent à un miracle, Dieu ne voulant 
pas que des pierres qui avoient éré 
employées pour une Eglife,ferviffent 
aux Mofquées des Turcs.Neanmoins 
ils ne doivent être que trop convain- 
cus du pouvoir que Dieu a donné à 
ces Infideles fur les Chrétiens de PE-- 
glife Greque, dont ils fe font appro- 


c de Cosflantinople, | 21$ 
priez par tout les principales Eclifes, 
Nous retournimes coucher le foir à 
Gallipoli , le trajet n'étant que de 
huit milles ; mais ces deux Lieux ne 
font pas tout-à-fait vis-à-vis l'un de 
l'autre, car Lampfaque cft un peu 
plus au Midy , & Gallipoli eft jufte- 
ment à l'entrée de la mer blanche, 
connué anciennement fous le. nom 
de Propontide, 

Nous parrimes le lendemain à l'en- 
tree de la nuit, pour profiter du cal- 
me , & le matin nous nous trouvà- 
mes avancez de trente milles, Nos 
mariniers ayant befoin de repos,nous 
nous arreftàmes au village appellé 
Perafle , où nous fümes regalez de 
café & de fruits par l'Aga qui y come 
mandoit , ayant reconnu M. l'Abbé 
Charpentier qui nous avoit joint 
avec fa Felouque , & qui faifoit la 
méme route que nous. Il l'avoit và 
au premier château des Dardanclles; 
où il étoit defcendu, Six milles au 
delà nous fifmes une feconde paufe à 
un autre villageappellé Heracliffa, ὃς 
deux heures apres nous en fimes une 
troifiéme à Ayriofjren , autre village 


, 


216 Voyage de l'Archipel, 

qui a plus de deux cent feux,& dont 
les habitans font en partie Turcs , & 
en partie Grecs. Nous voulümes 
nous promener dans les rués , mais 
les enfans nous ayant apperceus ha- 
billez à la Frangoife , s'attrouperent 
aprés nous , ce qui nous obligea de 
vous retirer vers notre barque. Le 
Sangiac qui commandoit en ce lieu- 
là nous connoiffant pour Etrangers, 
nous aborda, & nous entretint quel- 
ques momens avec un peu d'Italien 
qu'il fcavoit. Il nous dit qu'il avoit 
éé pris efclave & mené à Malche,où 
il avoit demeuré trois ans avant que 
de s'étre pà racherer.Il fe loüoit fort 
du Corfaire qui lavoir pris, & dont 
il avoit recet toute forte de bon trai- 
tement. C'étoit le Capitaine Daniel 
de Marfcille, qui fut tué il y a deux 
ans,en fe battant contre les Vaiffeaux 
de Tripoli & les Galeres du Bey 
Maffamam. Ce Sangiac nous fit pre- 
fent d'un panier de raifins , dont les 
grains, fans mentir;étoient auffi gros 
que des œufs de pigeon , & le goût 
en étoit tres-delicat. Le vin eft à 
grand marché dans toute la cóte de 
la mer blanche. Nous 


€ de Conflantinople. — 217 
Nous couchâmes dans nôtre Cha- 
loupe , ὃς partimes avant jour pour 
traverfer le golfe de Rodeffo, au Fond 
duquel eft la Ville de ce nom , fituée 
iur le panchant d'un cótcau, & dont 
les maifons font une agreable vüe 
fur la marine. Elle eft auffi grande 
que Gallipoli , & mieux peuplée. 
Nous y decouvrimes dix ou. douze 
Mofquées avec leurs zaemarers , c'eft- 
a-dire, avec leurs petites tours , d’où 
l'on crie aux heures de la priere,pour 
appeller le peuple à la Mofquée. Les 
Grecs y ont auffi plufieurs Eglifes. 
Trois heures avant ia. nuit nous 
arrivàmes à Heraclze , qui a un beau 


Port fait en amphitheatre, d'environ 


trois milles de tour , & dont la bou- 
che eft au Nord-Eft. Nouscümes af- 
fez de tems pour y aller chcrcher.des 
Antiquitez, & nous ne tardämes pas 


HER A: 
CLE E. 


d'en découvrir. Les murailles ont’ 


des pieces de ftatuës, de colonnes &: 


de chapiteaux enclavées parmi leurs” 


autres materiaux , & ayant apperceu 

quelque infcription , nous voulämes 

la copier,mais malheureufement mon 

camarade & moy avions perdu nos 
K 


218 Voyage de l' Archipel , 

plumes.Ce nous étoit un grand mal- 
heur en ces quartiers-là;parceque les 
Turcs & les Grecs ne s’y fervent que 
de petites cannes taillées à leur mo- 
de, dont nous aurions bien de la pei- 
ne à écrire le moindre mot. Dans cét 
embarras nous allàmes jetterles yeux 
fur une aile d'oye qui traînoit par la 
tue, d’où nous tirámes promtement 
quatre ou cinq plumes, avec lefquel- 
les nous copiâmes quelques belles 
Infcriptions. Il y en a une entr'au- 
tres inferée dans le mur de l'Eglife 
Cathedrale des Grecs, où fe lit le 
nom de Perinthus , que la Ville por- 
toit du tems des premiers Empereurs, 
comme elle.avoit eu auparavant ce- 
luy d'Heraclea qu'elle avoit repris 
dans le bas Empire, felon que le rap- 
perte Zozime , & qu'elle retient en- 
core à prefent.Cette Infcription étoit 
dediée à l'honneur de l'Empereur Se- 
vere, & c'eft avec raifon qu'ils fe fou- 
venoient de ce Prince, qui leur avoit 
affujetti la Ville de Byfance,devenué 
l'objet de fa colere, pour avoir de- 
fendu avec trop d'opiniátreté.le parti: 


de Pefcennius Niger. 


d de Conflantinople. 219 
Je m'entretenois un jour à Con- 
ftantinople avec Monfieur Fin{ck 
Ambaffadeur d'Angleterre, fur la fi- 
tuation d'Heraclée. C'eft un Gentil- 
homme feavant , & de beaucoup de 
merite, & qui a une particuliere con- 
noiffance de ces pays-là. Il me dit 
qu'il croyoit , que c'étoit la Ville de 
T chourly, où il avoit paffé en venant 
d'Andrinople. Qu'il y avoit méme 
trouvé unc Infcription à l'honneur 
d'Herennius Etrufcus faite par les 
Perinthiens. Que la pierre étant fort 
groffe il n'y avoit aucune apparence 
qu'elle eût été apportée d'ailleurs,8c 
qu'ainfi ce devoit éue leurVille.Pour 
lay dire auffi nion fentiment , je re- 
partis,qu'à la verité Tchourly devoit 
être une Ville du reffort des Perin- 
thiens, n'étant éloignée que de quel- 
ques lieuës d'Heraclée;mais que pro- 
prement Perinthus étoit une Ville 
maritime , ce que la defcription des: 
anciens Geographes, & les medailles 
dé cette Ville,qui ont une Galere au 
révets , prouvoient affez clairement, 
Que l'infcription que nous y avions 
fouvée portoit auffi le nom des Pc« 
id 


C O N- 
STAN- 
TINO- 
PLE. 


220 Voyage de 1 Archipel ; 
sinthiens , & qu'enfin lenom d'He- 
racléa qu'elle avoit encore à prefent 
en étoit une preuve fuffifante, 

Le lendemain quatre heures avant 
le jour nous nous mimes à la rame, 
& laifsámes au Soleil-levant Se/yzm-: 
bria, qui eft une ancienne Ville , où. 


Aly a prefentement plufieurs Mof-, 


quées,un Bezeftein & pluficurs Egli- 
les. Greques. Plus avant nous vimes 
Pivades ; T fchefchmegé , & trois ou: 
q'atre autres grans Bourgs, Nous, 
vinmes. coucher au Port de la Ville 
de San Stefano,d’où l'on ne conte que. 
neuf ou dix milles jufques à Con- 
ftantinople, | | 
- Le lundy matin 23.de Septembre 
nous arrivàmes à cette grande & fa- 
meufe Ville , qui bien qu'elle ne foit 
bâtie préque entierement que de bois, 
ne laiffe pas d'avoir fes beautez auffi 
bié que fi elle étoit toute de marbre. 
Cómenous paffions prés des murail- | 
les de la Ville;qui font fur le Bofpho-. 
re,je remarquay qu'elles étoient fort 
negligées ,, & qu'apparemment elles 
»'ont pas été rebàues depuis le tems 
des Empereurs Grecs; parce qu'on y; 


& de Conflantizóffe 2111 
void encore en beaucoup: d'endroits 
des Infcriptions où font les noms des 
Empeteurs qui les avoient relevées. 
Oa y lit entr’autres les noms des Em- 
pereurs Theophile ; Michel , Bafile, 
Conftantin Porphyrogenete, Manuel 
Comnene & Iean Paleologue ; foûs 
l'Empire duquel la Ville fut prife. 
Ainfi cela confirme ce que Gyllius 
dit , que les murailles de Conftanti- 
nople ont été rebáties par Theophi- 
le, fans parler des autres, ce qu'il 
n'auroit pà neanmoins ignorer , 51} 
avoit obfervé ces Infcriptions » qui 
font allez en νὰ, 

L'ancienne Byzance , qui étoit au 

eme lieu oit eft maintenant. Con- 
ftantinople , n’éroit autre chofe que 
l'enceinte du Serrail , qui eft de qua- 
treoucinq milles. Ses Fondateurs 
avoient confulté l'Oracle , qui leur 
ordonna d'aller bâtir une Ville vis- 
à-vis du pays des aveugles. Comme 
il étoit fort obícur , & qu'ils étoient 
en peine de fçavoir ce que l'oracle 
 entendait par ces aveugles, ils juge- 
rent enfin que c'étoit fans doute ceux 
de Chalcedoine , qui étoient tzaitez 

K 3 


222  Poyade del Archipel, 
d'aveugles, pour être venus les pre« 
miers dans le voifinage du Bofphore, 
& avoir fi mal choifi l'endroit de 
leur Ville, qui eft du côté de FAfe 
dans une affiete defavantageufe ; au 
lieu qu'ils pouvoient s'aller pofter: 
fur la langue de terre qui eft enarela. 
Propontide & le Golfe que fait le 
Bolton; fi commode pour fervir de 
Port. Ainfi ils refolurent d'y aller 
bátir une Ville qu'ils nommerent By- 
zance, du nom de leur Chef appellé 
Byzas. En effet,la fituation de Con- 
ftantinople eft admirable , foit pour. 
la commodité;foit pour la beauté. Il 
ne regne que deux vents en ce pays- 
Ale vent de Nord & le vent de Sud. 
Quand le premier foufle , il ne peut 
rien venir par la Propontide & par le 
Bofphore de Thrace ; mais alors par 
le Pont-Euxin & le Bofphore Ponti- 
que les Vaiffeaux ont vent en poupe, 
& fourniflent la Ville de provifions 
neceffaires. Au contraire , quand le 
vent de Sud domine,rien ne peut ve- 
nir du Pont- Euxin , & tout vient de 
la mer blanche. Ainfi ces deux vents 


font comme les deux clefs de Con- 


ὦ" de Conflantinople. 1123 
ftantinople , qui ouvrent & ferment 
l'entrée aux Vaiffeaux, & quand l'un 
& l'autre ceífent,elle eft libre aux pe- 
tites Barques qui vont à la rame. 

Ces deux Dretroits qui font la 
communicadó de la Propontide avec 
lc Pont- Euxin fe joignent entre Con- 
ftantinople & Galata,& s'élargiffent 
en un petit golfe de dix ou douze 
milles de circuit. Quand on eft au 
milieu, on ne void ni l'entrée , nila 
fortie , & ce grand bañin fait le plus 
beau Port du monde, méme pour les 
plus grands Vaiffeaux , qui ont affez 
d'eau proche de terre , pour y pou- 
voir paffer fur une planche. C'eft 
autour de ce baffin qu'on void Con- 
ftantinople au Midy & au Couchant; 
Galata, Fondukli & Top-hana au 
Nord , & Scutari au Levant, ce qui 
donne aux yeux le plus magnifique 
objet qu'on fe puiffe imaginer. Tou- 
tes ces maifons, ou plutót toutes ces 
Villes étant báties fur des eminences 
en amphitheatre,on découvre le tout 
d'un feul coup d'œil. Le mélange des 
cyprés & des maifons de bois peint, 
avec les dômes des Mofquées qui 


- 


224 Voyage de l'Archipel, 

font fur les lieux les plus elevez, 
contribué beaucoup à ce merveilleux 
afpe&. Mais pour dire auffiles cho- 
fes comme elles font, toute la beauté 
de Conftantinople eft au dehors, car 
au dedans il y en a peu.Les ruésfont 
fort étroites , & il faut préque toû- 
jours monter ou defcendre. Il n'y 4 
que la grande ruë qui regne depuis 
la porte d'Andrinople jufqu'au Ser- 
rail, qui eft paffablement belle. 

Je ne veux pas entreprendre une 
d:ícription exacte de cette Ville;plu- 
ficurs autres que moy s'en étant ac- 
quitez fidelement, & entr'autres Pe- 
trus Gyllius , Pietro de la Valle, du 
Loir, Thevenot, & tout fraîchement 
M. Iean Tavernier , le plus fameux 
Voyageur de nôtre fiecle. Il mefem- 
ble que Rome ne nous doit pas être 
mieux connué que Conftantinople, 
puifque nous avons tant de relations 
de l’une & de l’autre. Toutefois il 
ne me feroit pas honnête d'en fortir, 
fans faire voir que j'y ay été, & que 
j'y ay remarqué des chofes , à quoy 
peut-être les autres n'ont pas pris 
garde, 


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& de Conflantinople. — 125 
II n'y a perfonne qui ait décrit plus 
exactement Conftantinople que Pe- 
trus Gyllius , neantmoins il n’avoit 
jamais và la colonne de l'Empereur 
Marcian, cóme fi elle càt été perdue. 
J'eusle bonheur de la découvrir, & 
je veux. bien donner icy le detfein, 
que je crayonnay moi-méme. On la. 
“void au quartier des Ianiffaires tout 
joignant le bain d’Ibrahim Bacha, 
dans la cour de [a maifon d'un parti- 
culier. Elle eft de marbre granite; & 
peut avoir environ quinze pieds dé 
haut. Son chapiteau cft d'ordre Co- 
rinthien , & elle portoit au deflus la 
ftatué de ce Prince , comme l'infcri- 
prion de fa bafe nous l'apprit ;quoy 
que tres-difhcile x dechifrer. Sur le 
chapiteau eft um quaarré de pierre 
ereufe orné de quatre aigles à fes:an- 
gles. Cela me fait juger que le cœur 
de ce Prince y ροπνοῖς etre renfer- 
mé ; car les deux Vers qui font à la. 
;bafeyavertitfent le L2&eur de con(t- 
-derer la: ftatué & le lit de Marcian, 
-que-Tauanus luy avoit confacré. Si 
:€'eàt été un Empereur Payen,on aue 
xxois mis là fes cendres dans quelque 
K s 


426 Voyage del Archipel , 
urne ; mais comme il étoit Chrétien, 
& que la coûtume de brüler les corps 
étoit abolie parmy eux , il y a quel- 
que raifon de croire,qu'on avoit mis 
"nr fon cœur là dedans , le 
Corps étant peut-étre enterré foüs la 
pyramide. | 
La colonne qui eft au milieu de la 
NV ille toute hiftoriée en bas reliefs, a 
été élevée à l'honneur des Empereurs. 
Arcadius ὃς Hororius,dont l'on voit 
la reprefentation fur un côté de la 
bafe. Deux Victoires leur mettent la. 
couronne fur la téte, & ils font ac- 
compagnez d'une troupe de Sena- 
teurs. Au rang de deflous, deux au- 
tres Victoires amenent des figures de 
femmes couronnées de crenaux , qui 
reprefentent autant de Villes,que les 
armées de ces deux Princes avoient 
foñmifes à leur Empire.Lc Labarum, 
qui étoit le chifre entrelacé des deux 
premieres lettres du nom de Chriflos, 
que la pieté des Empereurs Chrétiés 
avoit fubftirué à l'Aigle Romaine, y 
paroit en differens endroits. La co- 
Aonne eft toute de marbre , & de la 
maniere de celle de Trajan; qui ef à 


C de Conflantinople. 227 
Rome. La fculpture n'en eft pas ἢ 
bonne ; aufli eft-elle d'un fiecle où 
les Arts avoient beaucoup perdu de 
leur perfe&ion. Elle eft pourtant af- 
fez belle, & je me fuis également 
étonné de ceux qui la stri aa tout- 
à-fait, & des autres, qui la preferent 
méme à celle de Trajan. Pour ce qui 
eft de la hauteur, elle la furpaffe ; car 
felon la mefure qu'en a donné Gyl- 
lius,elle eft de 147.pieds,au lieu que 
«elle de Trajan n'en a que 123. mais 
«elle d'Antonin les furpaffe toutes 
deux,ayant 177.pieds de haut. Cette 
colonne dont je parle a un efcalier en 
dedans , mais je ne pus obtenir des 
Turcs la permiffion d'y monter , foit 
qu'ils faflent fcrupule d'y admettre 
des Chrétiens , ou que les degrez en 
Íoient ruinez. Les figures de la bafe 
& du bas de la colonne font fort 
maltraitées,plutôt par la fuperftition 
des Turcs qui n'en veulent pas fouf- 
frir, que par fa propre vieilleffe. Le 
Sculpteur quia gravé ce grand nom- 
bre de figures d'hommes & de bétes, 
era bien étonné au jour du Iugemét, 


#clon l'opinion de ces ridicules See 


228 Voyage del Archipel, 
&ateurs de Mahomer, quand chacu- 
ne de ces figures viendra luy deman- 
der fon ame , à faute dequoy clles 
laccuferont. devant Dieu de leur 
avoir donné ce corps , fans avoir. pà 
en méme rems leur fournir un cípric 
pour les animer, Car les Turcs ont 
cette folle imagination de croire que 
toutes ces reprefentations ,. foit en 
plate peinture , foit cn boffc , pren- 
dront vie à !a fin du monde , & que 
Dieu leur donnera une ame ; en pu- 
niffant en méme tems ceux qui au- 
ront eu la temerité de les faire, & 
d’avoir voulu imiter la puiffance da 
Createur. | | 
Il y a une autre colonne à côté de 
la grand-ru& qui vient d’Andrinople. 
Elle n'a point de bas reliefs , mais. 
elle eft plus precieufe que toutes les 
autres, étant de porphyre, quoy qu'à 
prefent il y ait de la peine à le difcer- 
ner d'avec le marbre parce qu'elle a 
été noirciepar les frequens embrafe- 
mens dcs maifons voifines,ce qui luy 
a donné le nom de Colonne brü!ée; 
& im: me pendant le. fejour que je fis 
à Conftantinople il. y eut une centaie 


C de Conflantinople. 119 
ne de maifons qui brûterent aux cn- 
virós.Conftantin avoit fait mettre fa 
fta é au deflus, mais elle ne s'y voit 
plus. Gyllius qui en avoit pris tou- 
tes les dimenfions , & qui nous les 
rapporte avec exaékicude , ne parle 
point d'une infcription qui eft touc 
au haut, Ie la làs avec une petite lu- 
nete d'aproche, ne pouvant pas aflez 
difcerner les lettres fans cela, du bas 
de laruc. Le (ens de ce qu'on y lit 
n'cft autre chofe, finon que cetre co- 
Jonne a ‘été renouvelée par | Empe- 
reur Manuel Comnene. On dit que 
c’cft là proche que mourut d’une 
mort tragique le fameux heretique 
Arrius. 

Pour ce qui eft de Ia colonne de 
Pompée, comme le vulgaire Pappel- 
le, elle eft à l'embouchure dela Mer 
noire ou du Pont-Euxin fur un écueil 
vis-à-vis du village de Fanari.. Ce 
rochercít une de ces pierres Cyanées, 
dont les Anciens racontoient diver- 
fes Fables, comme de dire qu'elles 
flowoient fur la mer , tantôt. d'un cô- 
té , tantôt de l’autre. Nous primes 
Ane Felovque à fix rames pour l'alies 


230 Voyage de l' Archipel , 
voir. Elle eft de marbre, & n'a guere 
| plus de douze pieds de haut, avec un 
chapiteau Corinthien , & une bafe 
ronde,quine paroît pas avoir été fai- 
te pour cela, mais plutót pour quel- 
que Aute] de Saerifice, L'infcription 
de cette bafe eft à l'honneur d'Au- 
gufte. Monfieur de Monconis a crû 
qu'elle n'étoit pas antique, parceque 
les caracteres en font mal formez,& 
fort fuperficiels , mais il ne faut pas 
s'en étonner, puifqu'elle eft depuis fi 
long-tems expofée à l'air de la mer, 
qui eft de Íoi-méme corrofif ; & fi 
mon fentiment eft de quelque poids 
dans une matiere que je dois enten- 
dre, j'avoue que je ne fais pas de dif- 
ficulté de la recevoir pour telle. En 
y allant on laiffe à main-gauche les 
Bourgs & Villages fuivans,dont voi- 
«y les noms;les premiers étant joints 
A Galata. 
Top-hana,Fondukli,Bechiktafch,Or- 
takioi, Coroutfchefiné, Arnaudkioi,Be- 
dek-bakchefi , Eskihiflar où Caftel- 


vecchio, Bartoliman, Stegna,legnikiois ^. 


Therapia, Boinkderé, Saruer. 


Er à la main droizc dans l'Anarolig, 


À 


4 
| 


= 


᾿ 
N | 


© de Conflantinople. — 251 
Scutari ,Coufchcougiuk Stauros T chen- 
ghelkiei , Coulabahchefr, Candil-Bak- 
chef, Eskihiffar d' Anatolie vis-à-vis 
celuy de l’Europe, Ghicksoui ,. T chi- 
boukli , Inghirlikios ,, Onkiar-Skelof > 
Beicos Salibouroun,Icro, olim Fanum. 

Pour achever ce difcours des Co 
lonnes de Conftantinople, nous vin- 
mes à l'Aumeydan qui eft une place 
longue de s50.pas , & large de 120, 

, C'étoit. l’ancien Hippodrome du 
tems des Empereurs d’Orient,où l’on 
faifoit des couxfes de chevaux & des 
réjoüiffances publiques. L'Obclií- 
que, ou l'aiguille qui y eft dreffée ef: 
une belle Pyramide quarrée d'une 
feule piece, & d'environ go.pieds de 
haut. On trouve dans les Memoires 
de Monfieur de Monconis qu'elle eft 
haute de 6o.pas ; mais c'eft une fau- 
1e trop groffiere pour croire qu'elle 
vienne de l'Autheur ; c'en eft une de 
J'impreffion,au lieu de 60.pieds.H y a 
dans la bafe une infcriprion Greque 
d’un côté , & une Latine de l'autre, 
qui nous apprennent toutes deux,que 
c'eft l'Empereur Theodofe qui l'a- 
yoit fait redrefler ; aprés avoir été 


232 Voyage del Archipel, 
long-tems negligée & couchée par 
terre. Les Vers Grecs difent qu’elle 
fut erigée en trente-deux jours, & 
l'on voi dans un bas relief, qui eft à 
un des cótez les machines que l'on 
.employa pour la mettre fur pied. Je 
vous en donne icy le deffein,avec un 
autre bas relief qui s’y voit auffi , & 
qui reprefente cette même Place 
comme elle étoit lorfqu'elle fervoit 
d'Hippodrome. L'Empereur y và 
couronner quelque Viétorieux,qui fe 
profterne à fes genoux : ὃς au bout 
un Cavalier manie fom cheval, ἃς 
FEcuyer l'anime du fouer, comme on 
fait dans nos maneges.: Cinq: colon- 
nes paroi(fent dans cét Hippodrome. 
Celle du milieu eft ‘ce méme Obchf- 
que. Il en refte encore une des qua- 
ue autres, qui eft fort haute;au bout 
de la Place, maflonnée de gros quar- 
tiers de marbre; ;/ & qui'a une infcri- 
prion gravéc fur fa baie, tapportée 
par Gyllius. Vn Commentateur maà- 
naícrit de Sophocles;* dit quele Sz 
“dinin des Grecs ou fe-faifoient les 
** Cité dans Fafoldi isa Græcorunt, 
igdirà lecüx 4676 ς 1:1131031 2:151. IU 


L 1 


Pag, 239. T. I 


KIONA TETPANAEYPON AEI ΧΘΟΝῚ KEIMENON AXOOS 
MOYNOS ANASTHSAI OEYAOSIOS BASIAEY.S 
TOAMHSAS DPOKAOS ENEKEKAETO ΚΑῚ TOSOS ESTH 
KINN HEAIOIS EN ΤΡΙΆΚΟΝΤΑ AY. 


C de Conflantinsple. — 233 
combats & les courfes, avoient trois 
colonnes ; l'une à l’entrér, l'autre au 
milieu , & la troifiéme au bout de la 
| carriere. Que fur la premiere colon- 
| ne il y avoit cé mot écrit APIXTEYE, 
C'eft-à-dire: Fay le mieux que tn pour- 
ras : à la feconde z U EY AE , Depé- 
che, & à la derniere K A MFON, Re- 
tourne. X remarque auff , que ces 
colonnes étoient cubiques ; comme 
eft celle qui refteicy ; mais comme 
cér Hippodrome étoit beaucoup plus 
grand que le Stadium qui n'étoit que 
| de 125.pas, c'eft pour cette raifon 
| qu'on y voit jufques à cinq colonnes 
| placées de diftance à autre. |j 

Je reviens à l'Obelifque, qui eft de 
| marbre granite d'Egypte , chargé de 
| diffcrés caracteres ὃς d’hieroglyphes 

Egyptiens. De plus toute la bafe eft 
hiftoriée de Sculpture.D'un cóté pa- 
roit l'Empereur Theodofe , qui tient 
| une couronne à la main,& une foule 
| de foldats qui l'environne.Au deffous 
| eft un Chœur de Muficiés;,qui jouent 
dela flute, & d'un certain inftrument 
hydraulique fait en façon d'orgue, 
| dont on voit la reprefentation dans 


$34 — Foyage de T Artbipel. , 


quelques medailles contourniates de 


ces temps-là. A une autte face Theo 


dofe eft affis fur un thrône avec fes 
dcux fils Honorius & Arcadius ac- 
compagnez de toute leur Cour. Si 
j'avois été meilleur peintre que je ne 
fuis, & que j'eufle eu la commodité, 
jel'aurois deffeienée de tous les οὗ - 
vez : mais il n'y a pas trop de feureté 
de s’y arrêter long-tems,& les Turcs 
ne comprenant pas bien les raifons 
de ma curiofité, m'auroient peut-être 
fait quelque infulte, 

On voit encore dans la méme Pla- 
ce trois Serpens de bronze entrela- 
cez l'un avec l'autre , qui compofent 
comme le corps d'une colonne , & 
les tétes fortent au deffus en trian- 
gle.Quelques-uns prennent cette an- 
tiquité pour un trepied d'Apollon, 
ou du moins pour la colonne qui 
foütenoit ce trepied d'or de l'Oracle 
de Delphes. D'autres veulent que ce 
für un Talifman, qui prefervoit cette 
Ville de ferpens, & ajoûtent, que de- 
puis que Sultan Mourat fe prome- 
nant un jour par la Place,abatit d'un 


coup de canne la mâchoire de deffous 


= 


e de Conflantinople. 2% 


. d'une de ces têtes ,ce Talifman per- 


dit fa yertu. : 


Certe Place de l’Atmeydan a d'un 


côte la face d’un vieux Serrail , qui 


n'arien de fuperbe , & de l’autre la 
Mofquée neuve de Sultan Achmet, 
Cette Mofquée eft une des plus ma- 
gnifiques de Conftantinople.Le Dó- 


me en eft grand , & accompagné de 


quatre demi-dómes qui la rendent 
préque quarrée en dedans. Quatre 
piliers qui n'ont pas moins de 6o. 
pieds de tour , & qui en ont un peu 
plus de haut , foûriennent la voûte, 


. Cette proportion ne plaira pas fans 


doute à nos Architeétes ; mais les 
Turcsíont en poffeffion de faire chez 
eux les chofes comme il Jeur plait, 


|. Et peut-être , pour fonder en raifon 
. cette prodigieufe eroffeur de colon-. 
. nes, me feroit-il permis de dire ; que 


cela fait d'autant plus admirer la 
mofle de ce dôme , qu'il luy a fallu 
avoir des jambes fi groffes pour le 
fupporter. Ces quatre manieres de 
colonnes font de marbre blanc,cane- 
lées d'une facon toute contraire aux 


- notres; c'eft-à-dire que la canclüre 


235 — Voyage de D Avchipel , 

eft en demi-boffe , aulieu que celle, 
dont nous nous fervons eft en creux. — 
La Cour de la Mofquée eft de la mé- j 
me grádeur que le plan du bitiment, 
& a un corridor autour foütenu de : 
colonnes antiques de matbre rouge 
& gris,& une fontaine au milieu fer- 
née de treillis de fer doré. 

La Molquée néuye de la Sultane 
mere de Mahomet à prefent regnants | 
eft encore plus fuperbe. C’eft un des: 
plus beaux edifices qui fe puiflent 
voir ; foit par le dchozs , foit parle 
dedans. L'Archite&ure , bien qu'un. 
peu éloignée de nos regles,nele cede | 
point à celle des plus belles Eglifes | 
d'Italie, Elle a méme à nôtre égard 
quelque chofe deplus furprenant par”. 
fa nouveauté. Le corps de la Mof- | 
quée eft un grand Dôme avec quatre 
demi-dómes aux cotez,8 quatre au" : 
tres petits à chaque coin;ce qui rend. ! 
cét edifice quarré.. Les murs & les: 5 
pilaftres au dedans font tous incru- : 
ftez de terre cuite verniflée fembla- 
ble à nôtre fayence , de méme que le | 
Trianon de Verfailles. : La frife qui 
regne autour foûs les domes eft fun 


c de Conflantinople.. 237 

ple; mais bien proportionnée , avec: 
des moulonsil'Antique. Les culs 
de lampe font tous peints à fleurs & 
à compartimens : cette forte de pein- 
ture n'étant pas defendue par la Lo 
de Mahomet , comme celle des cho- 
fes animées. A plein-pied dela Mof- 
quée regne tout autour en dedans 
‘une galerie foûtenuë de colonnes de 
marbre , & au milien à la hauteur 
| d'une toife ou environ pendent une 
anfinité de lampes, de luftres,de bou- 
es de verre & d'yvoire , & de vales 
doréz , qui doivent faire un bel ef- 
fet, quand les bongies font allumées 
la nuit pendant la priere. |. Il y a du 
danger à un Chrétien de s'y trouver 
à ces heures-làj mais hors du temps 
de ces Affemblées on peut entrer par 
tout en demandant permiffion aux 
Gardiens » & en leur donnant l'éré-.— 
ne. La propreté y cft entiere, on n'y. 
lailfe jamais entrer des chiens, & les: 

ommes laiffent leurs pantoufles à la 
portesou les portent à la main. Mais 
je ne crois pas que ce foit par devo- 
tion qu'ils.en ufent de la forte, puif- 
qu’ils en font autant quand ils /en- 
! AN P | 


{ 


Dome Rm V add 


z3& Voyage de T Archipel , 
rent dans la chambre d'un particu- 
lier, & fur leurs fofas couverts d'un 
tapis ou d'une fimple nattefine,com- 
meil y en a prefque dans toutes les. | 
Moíquées. Le Portique qui regne | 
autour de la Cour eft foûtenu de bel-: 
les colonnes de marbre blanc & de 
marbre gris entremélez : mais les. 
deux qui font à l'entrée font d'un 
marbre jafpe par faitement beau. El-. 
les out été tirées pour la plus grande 
partie , des ruines de Troye. "Leurs: 
Chapiteaux ne fe rapportent à aucun 
de nos ordres; & ne laiffent pas d'é- 
tre aflez bien proportionnez au fufte: 
des colonnes. En voicy à peu prés La! 
figure : 


C — 4 la va 


€ de Conflantinople. 5139 
Les deux Mofquées precedentes, 
& les autres de Sultan Selim,Maho- 
met , Soliman ἃς Bajazer font bâties 
prefque felon le modele de Sainte 
Sophie ancienne Eglife des Chré- 
tiens, qui eft maintenant la premiere 
de muse Mofquées Royales , & la 
plus proche du Serrail. C'eft un d6- 
me tres-vafte & tres- bien éclairé, 
foûtenu de belles colonnes de mar- 
bre aux cótez , & les murailles tn 
font δι toutes incruftées, Ie ne 
m'arréteray pas à vous en donner la. 
defcription, ni à la comparer à Saint 
Pierre de Rome , à qui elle cede en: 
grandeur & en architecture, Cela 
a.été fait par plufieurs perfonnes,qui 
ont mieux examiné les chofes que 
moy; car j'eus affez de peine à entrer 
dans cette Mofquée, à caufe que c'é- 
toit le tems du Ramazan , ou jeûne 
de quarante jours , pendant lefquels 
felon la Loy. les Mahometans ne 
mangent rien de tout le jour , mais 
dés que le Soleil eft couché , il leur 
eft permis de manger autant qu'ils 
veulent. Il leur eft méme defendu de 
furner. pendant ce temps-là ; mais 


/ 


240. Voyage del Avchipel , 
comme ils ont de la peine à fe fevrer 
de leurs plaifirs, il y en a quelques- 
uns qui s'avifent de faire prendre du 
tabac à des Iuifs, ou à des Grecs au- 
prés d'eux;pour avoir un peu de part 
àleur fumée. Pendant ce tems-là les 
minarets des Mofquées font éclairez 
toute la nuit de quantité de lumie- 
res,ce qui fait un bel effet dans l'ob- 
fcurité. | 

: Aux environs de Sainte Sophie il 


me ri) i PT ES 


y. quatre Maufolées bâtis en dôme, 


& ornez au dedàns de colonnes de 
marbre,de lampes ἃς de gros cierges 


fort épais en bas , & qui vont pes ἃ: ἢ 


epul- 


peu en diminuant, Ce font les 


chres de Sultan Achmet, de fes fem- : 


mes, & de fix vingt enfans étranglez 
en un jour par fon frere Sultan Ma- 
homet , qui luy fucceda à l'Empire. 
Les tombeaux n'ont qu'une toile de 
foye par deffus une quaiffe de bois. 


Les mâles font marquez avec une fi- : 
eure de τέτε liée d'un turban , & des : 
mouchoirs à l'entour du col , pour : 
donner à connoitre leur genre de 


1nort., 


Va peu plus avant. dans la grande - 


rue 


e de Conflantinople. | 541 
. rué eft le Maufolée du Grand Vifir 
Mahomet Coprogli Bacha , pere 
d'Achmet Coprogli Bacha, qui luy a 
fuccedé , & qui étoit encore vivant 
lorfque j'étoisà Conftantinople. Ce 
Maufolée eft comme une petite Mof- 
| quée à dóme , avec un veftibule du 
| côté de la rué , foüs lequel il eft en- 
.terré. Depuis deux ans ce veftibule 
cft découvert , de forte que la pluye 
arrofe ce tombeau. Voicy la raifon 
qu'on en debite à Conftantinople, & 
que vous recevrez , s'il vous plait de 
a méme maniere qu'elle m'a été don- 
née. Ils difent donc que le Grand 
Seigneur & le Grand Vizir fon fils , 
'eurent une nuit un méme fonge,dans 
lequel le defunt Vizir fe prefentoit à 
eux , & les conjuroit de luy donner 
un peu d'eau & de rafraichiffement, 
parce qu'il brüloit. Le matin ils fe 
le rapporterent l'un à l'autre,& con- 
fulterent le Moufti,qui trouva à pro- 
pos de faire decouvrir ce Veftibule, 
afin que la pluye y püt entrer. Le 
peuple dit qu'il eft puni en l'autre 
onde , pour les tyrannies qu'il a 
exercées fur les bourfes durant fa vie. 
L 


242 Voyage de l'Archipet, 

Le fieur Abraham Finfch Iuif de 
Religion & Drogueman des Anglois 
chez gn nous étions logez à Galata, 
nous fervoit de conducteur & de Ja- 
niffaire pour nous faire voir les cu- 


riofitez de la Ville , qu'il entendoit - 


mieux qu'aucun Turc. Il nous fit re- 
marquer en nous promenant que les 


Porte-faix Turcs ont certains facs de : 


cuir pleins de paille fur le dos , pour : 


porter leurs fardeaux avec plus de 
commodité ; & il ajouta qu'il n'y 
avoit qu'un Iuif de cette profeífion à 
qui cela füt permis, Nous voulümes 
ícavoir la raifon d'un fi beau privile- 


ge, & voicy ce qu'il nous en apprit. - 
Sultan Mahomet IV. qui regne pre-- 
fentement,a une fi forte paffien pour. 


la chaffe, que depuis long-tems il en 
fait toute fon occupation. C'eft par 
cette raifon que fept ou huit ans de 


fuite il a fair fa refidence à Andrino- | 
ple, parceque les environs font fort 
propres à luy donner ce plaifir qu’ils 


aime tant.Souvent quand la nuit l'o- 


bligeoit à fe retirer , on le voyoit re- 


venir tout chagrin d'étre forcé de 


differer fon exercice jufqu'au lende- 


> de Conflantinople 143 
main. Il fe mettoit fur un tapis de 
Turquie ou de Perfe les jambes en 
croix à la maniere des autres Turcs, 
le dos appuyé fur un carreau de bro- 
card , & fe failoit donner à fouper ; 
aprés quoy fans bouger de cette pla- 
ce, il fe faifoit apporter une couver- 
ture, & dormoit là fans autre façon. 
Un peu aprés la minuit , il ne man- 
quoit pas de s'éveiller & d'appeller 
un Page pour fçavoir s'il étoit tems 
de fe lever ; & commeil luy répon- 
doit qu'il ne feroit jour de trois ou 
quatre heures , il poufloit un foûpir, 
& fe plaignoit de la longueur de la 
nuit. Ayant repofé encore environ 
deux heures , il faifoit la méme de- 
mande & le méme foüpir. Mais à la 
troifiéme fois , comme on luy difoit 
que le jour commengoit à paroitre,il 
fe levoit d'abord, & batoit lui-même 
une tymbale pour faire promptement 
lever tout fon equipage, & monter à 
cheval. De cette maniere il couroit 
| jufqu’àla nuit àtravers les bois & les 
montagnes, Vn jour pourfuivant un 
cerf à toute bride, fans prendre gar- 
de fi on le fuivoit , il s'égara fi bien, 

Le 


244 Voyage de l'Archipel, 

qu'il y avoit deux heures entieres, 
ue ne fe reconnoiffant pointil cher- 

choit le chemin fans le pouvoir re- 

trouver. La nuit s'approchoit , & il 

couroit rifque de la paffer dans les 

bois,tout Grand Seigneur qu'il étoit, 


fans un Porte-faix Juif qu'il rencótra . | 


par bonheur , & à qui il demanda le 
chemin d'Andrinople. L'Hcbreu le 
reconnoiffant pour ce qu'il étoit , & 
voyant fon embarras, fe mit promte- 
ment en devoir de le luy montrer, & 
de le conduire juíqu'aux portes. 
Comme ils y furent arrivez , il fup- 
plia tres-humblement fa Hauteffe de 
luy accorder une grace pour le fer- 
vice qu'il venoit de luy rendre, Par- 
le,luy dit le Sultan. Ie te prie, dit le 
Iuif, de m'accorder la permiflion de 
porter le fac de cuir fur le dos, com- 
me tes autres fujets Muffulmans de 
ma profeffion. Ce Prince n'eut pas 
dela peine à le gratifier d'une recom- 
penfe fi jufte , aprés une demande fi 
moderée. Depuis ce tems-là ce pau- 
vie Iuif a toájours porté ce fac avec 
autant de joye que fion luy avoit 
donné un fac de piftoles, avec lequel 


€ de Conflantinople. — 245 
il auroit pû remedier à la baffeife de 
fa fortune. 

Le peuple de Conftantinople, qui 
n'aime pas le Sultan , dit que cette 
violente paffion qu'il a pour la chaf- 
fe eft une fuite de la malediction de 
fon pere Ibrahim, qui par une caba- 
le des principaux Officiers , & un 
foulevement du peuple fut depoife- 
dé du tróne,& refferré dans unc pri- 
fon. Son fils Mahomet fut proclamé 
en fa place , & quelques jours aprés 
on travailla au procés du pere.. Le 
Moufti dreffa un Fetfa , ou Arreft de 
mort contre luy , & le fit porter au 
jeune Empereur qui le figna.Ibrahim 
apprenant par les efclaves qui le ve- 
noient étraneler , que fon fils méme 
avoit figné fa condamnation,le mau- 
dit , & fouhaita qu'il ne püt jamais 

demeurer en fa maifon , mais qu'il 
mourüt hors de chez foy au milieu 
. d'une campagne , comme une bête 
fauvage. Ce fouhait a déja eu fon 
effet en partie, comme le difent les 
Turcs; car il y a fept ou huit ans que 
le Grand Seigneur eft abfent de Con- 
ftantinople, qui eft l'ancienne & or- 


3 


246 Voyage de l' Archipel , 
dinaire refidence des Monarques Ot- 
tomans. On a fceu quil y ef allé 
faire un tour depuis quelques mois, 
mais il ne s'y eft guere arrété , crai- 
nant peut-être qu'on ne luy joue le 
même tour qu'à fon pere. Pour tà- 
cher de rallentir un peu en luy cette 
paífion fi ardente pour la chaffe , on 
l'a porté à faire quelques maitreffes 
dans fon Serrail. Il s'eft attaché à 
quelques-unes , & en a eu deux ou 


trois enfans ; entr'autres une fille. 


âgée prcfentement de cinq ou fix ans, 
qu'il avoit mariée depuis peu à un de 
fes favoris. De petit mercier qu'il 
étoitil fut appellé dans le Serrail & 
fait page du Grand Seigneur;puis en 
moins de quinze ans ayant paflé par 
diverfes charges , il parvint à la di- 
enité de Bacha. C'eft affez que fon 
maitre luy voulüt du bien , pour luy 
donner par avance fa fille , quoyque 
bien éloignée del'áge oü elle dût être 
mariée. On nous racontoit à Con- - 

ftantinople les pompes, les caroufels : 
& les feux de joye qu'on avoit faits 
à Andrinople pour cette fefte, Tout 
le monde avoit raifon de s'en fouve- 


c de Cenftantinople. 247 
nir,car les peuples avoient contribué 
aux frais de ces nóces par de groffes 
taxes & des impofts dont ils avoient 
été furchargez les Officiers en ayant 
été moins exempts que les autres. Le 
T efterdar , ou Trefbrier qui avoit le 
foin de chercher de l'argent pour 
| cette grande dépenfe,fit dire entr'au- 
| tres au Capitan Bacha qu'il envoyät 
| quatre cent jeunes hommes bien vé- 
tus à la Cour , pour faire une partie 
de l'equipage des nouveaux mariez, 
à quoy il ne manqua pas.Mais quand 
cette troupe fut arrivée,le Tefterdar 
les renvoya, luy faifant fgavoir qu'il 
falloit que cette jeuneffe fuft toute 
vétuc d'étofes d'or & d'argent. Le 
Capitan Bacha cóprenant bien qu'on 
en vouloit à fa bourfe luy fait répon- 
fe,qu’il ne fçait pas comment le con- 
tenter, qu'il craint de ne fçavoir pas 
vérir les gens qu'il demande d'une 
maniere qui luy agtée ; qu'il prenne 
la peine de donner les ordres luy- 
même,& que pour cét effer il luy en- 
voye cent mille écus , dont il difpo- 
fera , comme il Le trouvera bon ; ce 
que le Tefterdar prit de tout fon 

L 4 


A... 


248 — Voyage de l'Archipel, 
cœur,& ayant eu ce qu'il fouhaitoit, 
il ne luy en dit plus mot. Enfuite il 
envoya dire à l'Aga des Ianiffaires, 
quil mit un afpre fur chaque li- 
vre de viande qui fe vendroit dans 
Conftantinople , au profit du Grand 
Seigneur, L'Aga voyant la con- 
fcquence de cét impoft répondit au 
Tefterdar , qu'il ne l'ofoit pas entre- 
prendre;que leurs deux têtes feroient | 
en danger, & que leur Maitre pour-.- 
roit craindre lui-même pour la fien- ! 
ne , par la fuite de quelque fedition 
populaire. Que pour la prevenir & 
ne pas irriter le peuple, il aimoit 
mieux donner vingt mil-écus quil 
luy envoya fur l'heure. Le Tefterdar 
les prit , & quelques jours apres 
rendant raifon au Sultan des fom- . 
mes qu'il avoit receués , ne paffa 
en compte que dix mille écus de l'A- 
ga des faniflaires, voulant fereferver ' 
l'autre moitié pour fes peines.L'Aga - 
peu de tems aprés s'étant prefenté . 
devant fa Haureffe, elle luy reprocha | 
la petiteffe de fon prefent , luy de- 
mandant fi dix mille écus étoient 
une fomme à envoyer à un Prince de 


e de Cozflantimople. 249 
fa fotte. L'Aga fort furpris repartit 
au Grand Seigneur , qul etoit vray 
que fon pouvoir n'avoit pü égaler fa 
volonté , & que tout ce qu'il avoit 
pû faire étoit de luy envoyer vingt 
mille écus. Comment vingt mille, 
dit le Sultan? le Tefterdar ne m'2 
fait mention que de dix mille. Sur 
cela ils s'expliquerent , & le Grand 
Seigneur faifant venir le Tefterdar 
pour fcavoir la verité, celui-cy n’ofa 
la defavoüer,mais dit feulement qu'il 
ne s'en étoit pas fouvenu. Surquoy 
l'Aga des Ianiffaires outré de cét af- 
front,reprefenta au Grand Seigneur, 
que ce n'évoit pas la feule fourbe que 
le Tefterdar avoit faite , & que fa 
Hauteffe en fgauroit des nouvelles, 
fi elle vouloit prendre la peine de 
s'informer de la fomme que chaque 
Officier avoit donnée. On en fceuc 
bien-tót des particularitez , & le 
Grand Seigneur pour punir le Tef- 
terdar de fon mauvais procedé , luy 
envoya dire qu'il avoit befoin de 
quatre cent mille écus , & qu'il les 
luy falloit promtement. Il en avoit 
payé une partie lorfque nous étions 


j 


250 Voyage de I Arcbipel, 
à Conftantinople, & l'on ne doutoit 
pas qu'aprés qu'il auroit payé le refte 
on ne luy demandát fa tête par def- 
fus , pour lay apprendre que de pa- 
reilles friponneries ne doivent ja- 
mais étre impunies. 
Nous avions grande envie d'aller 
voir la Cour à Andrinople,mais elle 
nous paíffa quand nous fcümes qu'il 
mouroit de la pefte prés de mille 
perfonnes tous les jours. Il eft vray 
qu'à Conftantinople il en mouroit 
auffi deux ou trois cent par jour , & 


que la pefte y eft prefque continuel- 1 
le; mais comme la Ville eft grande, - 
& qu'elle enferme avec les Faux- | 


bourgs plus de fept cent mille ames, 


ce petit nombre de deux ou trois cent | 
eft compté pour rien;& l'on ne com- # 
mence à faire des prieres publiques. 


pour etre delivrez de ce mal epidemi- 


que , que lorfque le nombre de ceux # 
qui meurent par jour monte jufqu’à. 
mille.Tous les jours nous en voyions w 
porter en terre le vifage découvert, | 
que leurs /;ans , c'eft-à-dire leurs 1 
Prétres , ont lavé ;: & que le peuple - 
accompagne, comme s'ils étoient de- 


“τῶν ας ἐὰν EE + gi τὰ. T 


d de Conffantinonle. χε 
cedez d'une maladie ordinaire. On 
fe frequente également , on achete 
auffi bien leurs meubles que des au- 
tres ; il n’y a que ceux de nos quar- 
tiers, & quelques gens d’efprit parmi 
les Grecs & les Turcs , qui ufent en 
cela de quelque precaution. Il n'y 
avoit pas huit jours que nous étions 
arrivez, que la maifon qui touchoit 
la nôtre fut infe&ée. Nôtre hôte eut 
affez de prudence pour nous aller in- 
continent loüer une petite maifon 
proche dela mer feparée de toute au- 
tre, & il y vint luy-méme loger avec 
fa famille jufques à nótre depart, 
Nousluy fümesobligez du foin qu'il 
avoit pris à notre confideration ; car 
pour ce qui étoit de luy il ne crai- 
gnoit pas la pefte , en ayant été une 
fois attaqué, Ceux de Conftantino- 
ple tiennent pour maxime , qu'on 
n'eft pas fujer à la reprendre, quand 
on a eu une fois le bonheur d'en 
échaper. Cela n'eft pas neantmoins 
veritable , & nous avons des obfer- 
vations du contraire, Mon Pere m'a 
affuré qu'il a và une perfonne dans 
Lyon attaquée deux fois de certe 


252 Voyage de [ Archipel , 

maladie, mais en deux contagions de 
differentes années. l'ay auffi là dans 
une lettre de Monficur Guy Patin 
Profeffeur Royalen Medecine à Pa- 
ris , & écrite à mon Pere en l'année 
1656. qu'il avoit confulté pour une 
Dame qui avoit eu la pefte par trois 
diverfes fois. 1] eft bien vray que 
pendant qu'une méme contagion du- 
re,ceux qui l'ont eué,ne la craignent 
plus, & qu'ils fervent les malades 
fans courre de rifque, comme on l'a 
remarqué à Lyon, où elle a été deux 
ou trois fois depuis le commence- 
ment de ce fiecle. Mais quand il 
vient une noüvelle pefte, ils courent 
la méme fortune que les autres, par- 
ce qu'elles font ordinairement diffe- 
rentes en malignité, Ainf l'on pour- 
roit dire en faveur de ceux qui croyét 
n'y dcvoir étre plus fujetsà Conftan- 
tinople , que ς᾽ εἴ toüjours la méme 
pefte ; car en effet elle ne s’y éteint 
prefque jamais entierement , pour le 
peu de foin que le peuple a de fe 


confcrver. 


Notre guide nous mena un jour 


voir le Serrail, mais nous n'entrámes 


e de Conflantinople. 153 
que jufqu’au Divan , qui n'a rien de 
fuperbe. Pour les appartemens inte- 
rieurs du Grand Seigneur & des Sul- 
tanes , ce font des lieux impenetra- 
bles. Nous en decouvrimes fort peu 
de chofe des lieux voifins,& nous en 
conccümes peut-étre plus de beau- 
tez qu'il n'y en a en effet. L’afliere 
du Serrail & fes jardins contribuent 
beaucoup à fon embelliffement;mais 
tout ceque je vous en dirois ne pour- 
roit vous fatisfaire, comme la defcri- 
ption que Moníteur Tavernier en ἃ 
publiée depuis peu fur le rapport de 
deux hommes qui y avoient été éle- 
vez. Ce que j'aurois plus particulie- 
rement fouhaitté d'y voir cft l'obe- 
lifque qui eft dans les jardins , & le 
Tite-Live parfait qu'on a crû être 
dans la Bibliotheque du Grand Sei- 
gneur. On m'a dit qu'il ne s'étoit 
jamais pü trouver, quoy qu'on eût 
offert des fommes confiderables à 
celuy qui a le foin des Livres , fi on 
l'avoit pà avoir par fon moyen. | 

Mais puifque je vous parle de Li- 
vres , vous ferez peut-être bien aife 
de fçavoir fi les Turcs les aiment 


254 — Foyage de l'Archipel, 
fort. Tout le monde fçait qu'ils n'en 
fouffrent pas d'imprimez, & ce n'eft 
pas aufli ce que je vous veux dire. 
Nous fceümes de Monfieur Vatz Ef- 
coflois qui a voyagé quatre ou cinq 
ans dans ces quartiers-là,& frequen- 
té des gens du pays , ayant parfaite- 
ment bien appris le Turc, & l'Arabe 
qui eft leur Langue de Science,com- 
me le Latin dans la Chrétienté ; nous 
fceümes, dis-je , de Monfieur Vatz, 
qu'à Conftantinople il y à un Bazar, 
ou marché de Livres manufcrits de 
differentes Sciences,en Turc,en Ara- 
be & en Perfan, & qu'il y a du dan- 
ger pour les Chrétiens d'y aller, par- 
ce qu'ils croiroient profaner leurs li- 
vres de nous les vendre. C'eft ce que 
j appris moi-même , lorfque paffant 
depuis à Prufa devant une boutique 
oit il y avoit quelques livres Arabes, 
& les voulant marchander , on me 
renvoya honteufement avec l'injure 
de Giaour qu'ils donnent ordinaire- 


ment aux Chrétiens , ayant reconnu | 


que je l'étois. Ie me retiray promte- 
ment fans rien repartir, de peur qu'il 
mem'arrivát pis que l'injure. Mon- 


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wem 


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d de Conflantinople. — 25$ 
fieur Vatz nous dit que les Turcs te- 
noient des Regiftres annuels de tout 
ce qui arrivoit dans l'écendué de leur 
Empire, & des guerres qu'ils avoient 
avec leurs voifins. Que l'on pouvoit 
avoir une copie de ces Annales con- 
tenués en cinq ou fix gros volumes 
pour deux cent écus. Qu'il y a des 
Hiftoriographes & Ecrivains payez 
pour cela dans leSerrail.Qu'on uou- 
voit un autre beau Livre du gouver- 
nement de l'Empire Otthoman.Qu'il 
avoit acheté lui-même une pleine 
quaiffe de livres Turcs & Arabes,en- 
tre lefquels il y en avoit de tres-cu- 
rieux , comme celuy de Chek-Bouns 
Egyptien, dela vertu des paroles di- 
vines & humaines, avec quantité de 
lignes & de figures , par lefquelles il 
pretend faire voir mille chofes cu- 
rieufes par les anagrammes. Vn au- 
tre qui montre la theorie de cette 
fcience Cabaliftique. Vn Di&ionai- 
re Turc & Arabe. Vn livre de chan- 
fons Turques , où il y en a plufieurs 
fort anciennes , comme d'Avicenne 
fils d'Albuquerque. Des Grammai- 
res Turques & Perfanes. Des Alfa- 


256 Voyage de l Archipel , 

bets de toutes les Langues. Vn Livre 
de toutes les revolutions du Royau- 
me d'Egypte , fait par un ancien 
Check ou Docteur du Grand-Caire 
fçavant Aftrologue. Les predictions 
de cet Autheur avoient toüjours été 
trouvées fi veritables , que quand 
Sultan Selim vint faire la guerre au 
Roy d'Egypte , tous les Confeillers 
de ce Roy luy difoient que c'étoit 
‘une folie de fe' vouloir defendre, 
quoy qu'il eût une belle armée de 
Mores, d'Arabes & de Mammelus,& 
qu'il falloit felon les prediétions de 
ce Livre,que Selim devint maitre de 
l'Egypte , ce qui arriva en effet. Il 
nous fit voir auffi une Ephemeride de 
l'accroiffement. ἃς decroiffement du 
Nil, reglé par un Docteur Arabe fe- 
lon le mouvement des Planetes , & 
particulierement de la Lune. Vn au- 
tre de la Chiromancie plus curieux 
que tous ceux de Iean-Baptifta Por- 
ta,dans lequel l'Autheur pretend que 
les caracteres de la main font des 
lettres dont il donne l'Alphabet. Hl 
nous parla d'un autre livre intitulé 
Bauraan,qui eft un Livre ancien con- 


e de Conflantinople. 257 
tenant quantité d'experiences chy- 
miques, commenté pat un Check Mo- 
re qu'il a connu au Grand Caire , où 
il y a beaucoup de gens cófiderables 
qui s'appliquent à cette Science. En 
d'autres vifites que nous luy fifmes 
il nous montra une hiftoiré de Ta- 
merlan en Arabe, plus ample que ce 
que nous avons de traduit en Fran- 
gois de l’Arabe Alhacen, Deux livres 
des Talifmans,à fçavoir les principes 
& la pratique , defquels il difoit que 
Monfieur Gaffarel avoit eu connoif- 
fance,y ayant pris tout ce qu'il avoit 
fait imprimer dans fon livre des cu- 
riofitez inoüies. Mais je ne voudrois 
pas le foupgonner de cela, étant une 
. perfonne tres-fçavante, quoy qu'à la 
verité on ne fafle plus euere de fcru- 
| pule de ces fortes de larcins. Il nous 
. affuroit de méme que Monfieur Gro- 
tius avoit dérobé tous les plus forts 
argumens de fon livre de la verite de 
la Religion Chrétienne, des Auteurs 
Arabes, & particulierement des œu- 
vres d’un grand homme que les La- 
tins tiennent pour un Herefiarque, 
& les Coftes qui font les Chrétiens 


258 — Poysge de l'Archipel, 
d'Egypte pour un Saint,qui a fait un 
tres-beau traité contre les Turcs & 
les Iuifs pour la verité du Chriftia- 
nifme. Cecy vous furprendra davan- 
tage. Il nous affura d'avoir và un li- 
vre d'Aftronomie fort ancien , qui 
fuppoloit l'ufage de l'aiguille ay- | 
mantée,quoy qu'à la verité il ne l'ap-- 
pliquát pas pour laNavigation,mais | 
pour d'autres ufages Aftronomiques. 
Il nous montra auffi une hiftoire ge- — 
nerale du Grand-Caire, & une de- : 
cription des Eglifes de Conftantino- . 
ple, lors qu'elle fut prife par les Ot- 
thomans , l'une & l’autre écrites en | 
Arabe. Enfin il nous affura qu'il y | 
avoit des Profeffeurs publics à Con- | 
ftantinople & au Caire , qui enfei- 
gnoient l’Aftrologie , l'Aftronomie, 
la Geometrie, Arithmetique,la Poé- | 
fie, l'Arabe & le Perfan. 
Monfieur Couvel Chapelain de M 
l'Ambaffadeur d'Angleterre nous fit # 
auffi voir des chanfons Turques , où : 
nous n'entendions rien. Il nous af- 3 
fura que les expreffions & lamufique — 
en étoient fort bonnes. Vn Renegat 
élevé au Serrail y avoit mis des no- 


e de Conflantinople. 259 
| tes à nôtre mode.Il s'appelloit Æ4/- 
beg en Turc : mais fon nom de Chré- 
tien étoit Albertus Bobovius.Il avoit 
été amené efclave de Pologne , lorf- 
qu'il étoit jeune. Il étoit forti du 
Serrail, ἃς étoit devenu un des prin- 
cipaux Droguemans. Il fçavoit dix- 
fepr Langues, & avoit apris le Fran- 
çois, l'Anglois & l'Alleman, comme 
s’il eût été dans nos quartiers. C'eft 
le méme,fi je ne me trompe;qui avoit 
fourni avant fa mort des memoires à 
Monfieur Ricaud Conful de Smyr- 
| ne,qui a fait imprimer l'état de l'Em- 
pire Ottoman. Monfieur de Nointel 
a un traité du Serrail qu'il a fait en 
Italien : ὃς M.Galland, qui a demeu- 
ré quelques ànnées à Conftantino- 
ple avec M.de Nointel , a plufieurs 
| chofes écrites de la main de cét Ha- 

ly-beg.& entr'autres une bonne par- 
tie des Pfeaumes, qu'il a mis en vers 
Turcs & notez en Mufique. Nous 
| alláàmes rendre deux ou trois fois vi- 
fite à Mahomet Bacha Chirurgien à 
l'Atmeydan. Il a de l'employ au Ser- 
rail , & poffede quelques livres La- 
tins, Anglois & Italiens, de Chiruc- 


260  Poyage de l Archipel , 

gie & de Medecine qu'il entend fort 
bien; car il étoit Anglois, & fut pris 
jeune par les Turcs qui l'ont élevé 
dans la Religion Mahometane, Il 
témoigne beaucoup de civilité aux 
Francs. Il nous fit voir un livre de 
Medecine en Arabe d’un Docteur | 
Perfan;qu'il difoit être fort fçavant : 
mais je ne le crois pas fort capable 
d'en juger , fa fcience n'allant guere 
au delà de fçavoir faire quelques fy- 
rops, conferves & confitures, donc il 
s'aquite affez bien , & de faigner les | 
malades avec la lancette.Nous vimes | 
pendant que nous étions à fa bouti- 
que quelques Turcs qui venoient 
prendre des pilules d'opium , qu'ils | 
appellent Afon. C'eft le fuc du pa- : 
vot fans aucune preparation,ni puri- - 
fication. Tout le monde fçait que 
celane les fait pas dormir mais qu'ils | 
le prennent pour cordial à plufieurs 
maladies, & pour aller affronter avec | 
moins de crainte dans la guerre les | 
plus grands perils. Comme ils s'y M 
accoütument dés la jeuneffe , il n'a ^ 
plus la force de leur affoupir les fens, 
quoy qu'il en aitaffez pour endormir — 


Οὔ de Conflantinotle. 261 
l'efprit, & luy ôter les fentimens de 
| la peur & dela douleur. 

Je m'informay auffi particuliere- 
ment du Azfma ou Chrifina des 
Turcs, qui eft une efpece d'onguent, 
avec lequel ils font tomber le poil. 
Ils en font de deux fortes ; un qui eft 
compofé d'orpiment & de chaux vi- 
ve en poudre , qu'ils font cuire avec 
de l'eau en confiftence d'onguent ; 
l'autre qui eft auffi de chaux avec 
parties égales d'une certaine picrre 
noirátre minerale , qui vient d'Egy- 
pte, qu'ils accommodent de meme 
que le precedent. l'en achetay quel- 
que peu à Conftantinople,où elle cft 
à grand marché,mais je ne puis vous 
Len donner d'autres lumieres , & nos 
[Droguiftes n'y connoiffent rien. Il 
de l'apparence qu'il entre auffi de 
l'orpiment dans la compofition na- 
turelle de cette pierre. On l'applique 
quand on entre dansle bain , & le 
igneur prend foigneufement gar- 
de, lorfque le poil commence à etre 
rongé, & qu'on le peut aifement ti- 
ex. Alors il lavepromtement la par- 
€ avec de l’eau chaude, & frottant 


fo 


262 Voyage del Archipel, 
avec un drap rude , enleve ainfi tout 
le poil fans faire du mal. 

Les Sept Tours font une efpece de 
Forterefle à l'extremité de la Ville du 
côté du Midy. C'eft où l'on garde 
une partie des trefors du Grand Sei- 
gneur , & où l'on tient en prifon les 
gens de qualité. Il y a quelques an- 
nées qu'un Chevalier de Malthe pris 
cfclave y étroit reflerré. Il trouva 
moyen de fe fauver, & depuis on n'a 
pas voulu y laiffer entrer les Etran- 

ers, de peur qu'ils n'en connoiffent 
le foible. Du cóté de la terre il y a 
trois murailles, mais il n'y en a qu'u- 
ne du cóté de la mer. Ie confideray 
moins ce Château pour fa force qui 
n'eft pas grande , que pour cinq ou 
fix bas relief qu'on void à une porte 
de derriere qui eft maintenant mu- 
rée. Illy en a un qui reprefente la 
chüte de Phacton;un autre qui repre- 
fente Hercule , qui conduit le chien 
Cerbere, & un troifiéme, un Adonis 
dormant , Venus qui s'en approche, 


& Cupidon quiluy préte fon flam- - 
beau ; le tout d'une affez bonne ma- : 
niere. Le refte n'eft pas fort confide- M 


uL dew 


Ϊ 


& de Cenflantinople. — 363 
rable.Monfieur le Marquis de Noin- 
tel Ambaffadeur de France à la Porte, 
qui cft extremement curieux, pourra 
un jour faire defligner ces reliefs. Il 
nous fit voir chez luy plus de curio- 
fitez , que nous n'en aurions và dans 
tout le refte de Conftantinople.Nous 
y vimes environ trente marbres ou 
infcriptions antiques qu'il a appor- 
᾿ tées d'Athenes,ou de PArchipel, Par 
un furcroit de bonté il nous permit 
d'en copier ce que nous voulûmes. 
Il a grand nombre de medailles,par- 
mi lefquelles il y en a de bien fingu- 
lieres , ὃς quatre cent deffeins de bas 
reliefs , edifices & payíages , qu'il a 
fait faire dans tous ri voyages de 
Grece ὃς de Turquie. ll ya peu de 
perfonnes au monde qui euffent pû 
| avoir ce credit dans un pays fi cnne- 
mi de la peinture ; mais il y avoit 
toüjours deux Janiffaires à côté de 
fon Peintre, lors qu'il tiroit quelque 
chofe. Il demeura quinze jours à co- 
pier feulement les bas reliefs & la fa- 
cade du Temple de Minerve à Athe- 
nes. Il nous fit la grace de nous en- 
tretenir fouvent des belles chofes 


264 Voyage del Avchipel, — 

qu'il avoit veués dans fon voyage, 
nous invita plufieurs fois à fa table, 
& nous fit la grace de nous donner 
un Paffeport , au cas qu'à nôtre re- 
tour nous tombaffions entre les 
mains des Corfaires Chrétiens. Le 
Palais de l'Ambaffadeur qui eft à Pe- 
ra eft un des plus beaux de Conftan- 
tinople, tant pour la vue qu'il a fur 
le Serrail & une partie de la Ville, 


que pour fa propreté. On confond 


ordinairement Gz/ata & Pera : ce 
dernier mot fignifiant en Grec ax 
dela , ὃς les Grecs voulant paffer de 
Conftantinople à Galata ont accoü- 
tumé de dire Pao pera , je vais delà 
l'eau, ce qui a donné à ce quartier-là 
le nom de Pera ; auffi appellent-ils 
l'endroit où on paffe l’eau Perama, 
c'cft-à. dire /e rrajer. 

Nous allámes auffi faluer Monfieur 
le Chevalier Finfch , qui venoit de 
faire fon entrée à Andrinople,en qua- 
lité d'Ambaffadeur du Roy de la 
Grande Bretagne. Son Chapelain 
Monfieur Couvel nous affura que 
Conftantinople n'avoit pas quaran- 
tetrois degrez de latitude ; comme 

nos 


"——PCTcE—m 


/ 
1 
5 
d 


e de Conflantinople. 265° 
nos Cartes le placent; mais que par 
plufieurs obfervations qu'il avoit fai- 
tes: avec l'Aftrolabe au Solftice & à 
l'Equinoxe, il avoit trouvé que cette 
Ville n’évoit qu'au 40. deg. j6.min.: 
& que fon obfervation ' s'accordoit 
avec celle d'un Pere Iefuite tres-ha- 
bile homme,;qui ne mettoit auffi An- 
drinoplé qu'au 41.degr. 18 min. Il 
| ajoütoit à cela que toutes nos Cartes 

de Thrace font fauffes,& que la plus 
patfable eft celie-d'Ortelius. 291 
: Le tour des murailles de Conftan- : 

tinople eft d'environ 1 5.milles ; mais 
les Faux-bourgs, ou pour mieux dire 
les Villes qui luy font jointes n'ont 
|pas moins d’étendué , & ne font pas 
moins peuplées.Bien qu'elle aic dou- 
ble. muraille du coté de terre, elle ne 
peut pas paáífer pour forte. Devant 
les jardins du Sirrail proche de la 
mer il y a quantité de canons rangez 
foûs un couvert , parmi lefquels il y 
en a des dépouillcs de pluficurs Prin: 
ces Chrétiens, & quelques-uns d'ün 
f prodigieux calibre , qu'un homme 
pourroit être affis dedans, ayant prés 
de trois pieds de diametre. On ne 
M 


266 Voyage de l'Archipel, 
charge ces gros canons que de bou- 
lets de pierre , qui feroient un terri- 
ble fracas dans un Vaiffeau. 1l y en 
a un entr'autres à triple calibre , qui 
cft peut-etre de l'invention de quel- 
qu'un de nos Renegats, les Turcs 
n'ayant pas tant de fubtilité pour 
ces chofes -là. 

Entre Conftantinople & Scutari 
il y a au milieu du Canal une Tour 
fur un petit rocher , avec quelques 
pieces d'artillerie, Y: étant entrez 
nous fümes furpris d'y trouver un 
puits d'eau douce; car on nous affura 
que ce n'étoit on: une-citerne, mais 
que la fource fortoit du roc environ- 
né de tous cótez de la mer, & venoit 
de terre-ferme. Ie ne Ígais.fur quel 
fondement quelques-uns l’appellent 
la Tour de Leandre, qui étoit plutôt 
à ,Abydos proche des Dardanelles. 
Celle-cy n’a rien d'antique;mais elle 
peut avoir été rebátie fur.des fonde- 
mens plus anciens. 

: Nous pafsámes trois. milles. plus 
loin que Scutari pour aller voir. 
Chalcedoine , qui eft plus ancienne — 
que Byzance, Les Turcsl'appellent | 


& de Conflantinople. 267 
Cadikini, & les Grecs encore Chalce- 
dona, 115 croyent que le Concile de 
Chalcedoine fe tint à l'Eglife Metro- 
politaine que nous allàmes voir.Mais 
Monfieur l'Ambaffadeur de France 
mous dit que c'étoit à un mille de là, 
& qu'il y avoit là une infcription qui 
en parloit.Ce n'eft maintenant qu'un 
grand Village, où il y a autour quel- 
ques jardins qui fervent de lieux de 
divertiffement à ceux de Conftanti- 
nople, & entre Scutari & Chalce- 
doine on voit un Serrail du Grand 
Seigneur. 

Les environs de Conftantinople 
(ont bien cultivez, tout y abonde, & 
les fruits y font tres-beaux. Le vin 
feul y eft cher , & vant un quart de 
piaftre la bouteille. Mais là comme 
dans tout le refte de là Turquie on 
pefe le vin, & on le vend à l'egze,qui 
fait du moins trois de nos livres, Le 
boire ordinaire des Turcs eft le café, 
qui fe fait avec une efpece de graine 
en poudre qui vient d'Arabie, qu'on 
fait bouillir dans de l'eau , & qu'on 
boit auffi chaude qu'on peut le fou- 
frir, Cette boiffon fortifie l'eftomac; 

M a 


268  Poyace del Archipel, 


diffipe les vapeurs qui montent au: 


cerveau, tienc l’efprit éveillé, & don- 
ne de l'appetit. Ie me difpenfe d'en 


parler plus au long , parce qu’elle. 


commence d'être aíffez connué en 


France. Les Turcs ont auffi d’autres. 
boiffons appellées Serbers. Celuy du, 
menu peuple eft fait avec de l’eau, 


jettée fur du raifin de damas pilé; ὃς 
le forbet des riches eft cuit avec le 
ἔπους & le jus de citron , à quoy l’on 
ajoûte un peu de mufc. On n’oferoit 
vendre du vin dans. l'enceinte de 
Conftantinople ; mais les Grecs & 
les Iuifs ont la liberté d'en faire à 
Galata,, Ces derniers ont toüjours le’ 
meilleur, parce qu'ils font tenus par 


leur Loy de le faire pur, fans aucun 


mélange d’eau : mais les Grecs qui 
ne font pas confcience de frauder, 
font Ícrupule de boire du vin des 
Iuifs, de méme que les Juifs de celuy 
des Grecs. 


Nous ne voulámes pas manquer, 


d'aller baifer les mains du Patriar- 


che , à qui nous avions un paquet ἃ. 


rendre du Protopapa de Corfou, Ce- 
luy qui l'eft à prefent s'appelle Par- 


οὖ de Conflantinople. 269 
thenius. Il avoit déja été depoiledé 
une fois du Patriarcat ; mais il a ἢ 
bien fait,qu'il s'y eft rétabli.La char- 
ge eft à celuy qui donne le plus au 
"Grand Vizir , qui ne demandant pas 
mieux que de remplir fes cofres, fait 
que ces Patriarches fe chaffent les 
uns les autres, & que depuis cinq ans 
ils ont change y ta à cinq fois. 
Du tems de l'Empereur Leon ce Pa- 
triatche avoit quatre-vingt Metro- 
politains & vingt Archevéques foüs 
luy. Il n'en a guere moins prefente- 
ment , mais les Prelatures font plus 
pauvres , depuis que l'Eglife Greque 
eft dans l'efclavage des Turcs.Quand 
ils font élevez au Patriarcat , ils 
écrivent d'abord à tous les Metropo- 
litains pour contribuer à la fomme 
qu'ils ont debourfée pour leur eleva- 
tion. S'ils ne payent , ils en fubfti- 
tuent d'autres à leur place. Les Ar- 
chevéques taxent à proportion leurs 
Evéques Suffragans , & ceux-cy les 
Papas de leur Diocefe. Ainíi tout fe 
fait par Simonie. Les Grecs n'ofent 
eux-mêmes defavoüer cét abus, qui 
s'eft introduit parmi eux... Nous fa- 

M 3 


ago  Foyage de l'Archipel, 
- Juámes ce Patriarche aufortir de l'E- 
_glife de Balata , qui eft la Metropoli- 
taine où il fait fa refidence. La ma- 
niere de le faluer eft de luy baifer le 
deffus de la main , ou le chapelet 
qu'il tient, cóme on feroit à un Evé- 
que ou fimple Papa. On le traite de, 
a Panagiotita-fou , c'e(t-à-dire , vore 
toute , ou tres-grande Sainteté. Mais 
aux fimples Prétres on donne feule- 
ment le titre d’Agiotita-fou,ou de vo- 
ire Sainteté. Τὶ n'a autre fuite que des 
Metropolitains ὃς Evêques habillez 
en Caloyers, car ils Le font tous , & 
lui-méme dans fon habit n'a rien qui 
le diftingue des autres. Il étoit vétu 
d'une foutane,& d'une vefte par def- 
fus deferge noire, Nous ne l'entre- 
tinmes pas long-tems , à caufe de 
l'embarras où il étoit d'un ordre qu'il 
venoit de receyoir du Vizir,de leve- 
pir trouver, ce qui étoit de mauvais 
prefage pour fa bourfe. Balata eft un 
Faux-bourg de Conftantinople;qu'il 
ne faut pas confondre avec Galara. 
Le Bazar, qui eft la place du Mar- 
ché, cft tres-beau à voir , & chaque 
métier y a fa rue,Les Arts quifleuri(- 


e de Conflantinople. 271 
fent parmi les Turcs , & qui s'exer- 
cent plus parfaitement que parmi 
nous, font ceux de Tailleur,de Con- 
royeur, de Cordonnier , de Brodeur 
d’or & d'argent, de Tapiffier, de Mer. 
nufier , de Maréchal , de Coutelier, 
d'Armurietr, de Sellier, de Faifeur de 
brides , d'arcs & de fléches, de Baï- 
gneur, de Barbier ,, de Confifeur ἃς 
de Faifeur de Sorbets. Au contraire 
il y a beaucoup d'autres métiers 
qu'ils n'entendent pas fi bien que 
nous. La Medecine n’y eft prefque 
exercée que pat quelques Candiots 
Juifs ou Renegats ; & fi-tót qu'un 
Barbier fcait un fecret ; 1] s'eriee en 
Medecin. Maurocordatus Chrétien 
de Candie,qui a écrit quelque chofe 
fur l'ufage du poulmon, qu'il a dero- 
bé à nos Auteurs , étoit Medecin du 
Grand Seigneur , & prefentement il 
s'eft fait Drogueman. Jetrouve qu'il 
. a fait prudemment , car fa vie n'eft 

pas fi ant en danger que dans fa 

premiere profeffion;oü ne pas guerir 

le Prince dans une maladie, pañle 

pour un crime capital. Les Barbiers 

fçavent quelquefois faigner, & leurs 
M 4 


272 Foyage de I Archip.e de Conff. 
raloirs ont des manches tout. d’une 
venué avec la lame. Ils rafent à con- 
trepoil', & ont la main tres-legere: 
mais au lieu de favonettes j ils n'ont 
que des pieces de favon, comme nôs 
blanchitfeufes. ΠΗ 
Je vous donnerois bien quelques 
autres remarques dcs. coütumes de 
Turquie, mais ne pouvant ignorer 
qu'il y a plufieurs Autheurs qui en 
ont écrit, je me contente de vous 
avoir fait mes obfervations particu- 
lieres, qu'ils n'ont peut-être pas tou- 
chées fi exactement que moy ; & je 
crois méme qu'il y en a quelques- 
unes qui ne fe trouveront point dans 
les Relations qui courent de ces 
pays-là. Il eft tems de quiter Con: 
ftantinople , & de penfer à freudee 
le chemin d’Athenes,que je fouhait- 
tois particulierement de voir. - 


! 273 
tiers see US 
E LLWRBJLIE 


Voyage d' Anatolie , avec la de[cri- 
piion des [ept Eglifes de 
[| Apocalypfe. 
INC O us étions fort irrefolus fur 
INE le choix de la route qué nous 
pourrions prendre pour aller à Athe- 
nes , pour laquelle proprement nous 
avions entrepris nôtre voyage. Il y 
avoit trop de rifque à y aller par mer 
à caufe des Corfaires , & il n'y avoit 
pas moins à craindre par terre à cau- 
fe de la pefte qui regnoit par toute la 
Thrace , que nous aurions été obli- 
gez de traverfcr, .Enfin nous nous 
determinàmes , & l'occafion de deux 
marchands Anglois qui alloient à 
Smyrne,& d'un medecin de leur Na- 
tion nommé le Do&eur Picrelin;, 
nous fit refoudre d’y aller avec eux, 
dans le deffein , aprés que nous y fe- 
rions arrivez,de prendre nos mefures 
-pour paffer dans la Grece. 
M ; 


274 Voyage du Levant, 

Nous primes donc tous enfemble- 
une Barque,& partimes de Conftan- 
tineple tis le midy le 16.d'Oétobre 
1675. Nous laifsámes à nôtre gauche. 
Chalcedoine,& le golfe de Nicome- 
die ; au fond duquel eft cette Ville. 
appellée prefentement I/ebmit : & X 
nôtre droite l'Ile de Proté , où nos. 
Vaiffeaux Venitiens. avoient donné: 
fond, le Bayle ne leur ayant pas per. 
mis de venir au Port de Conftanti-. 
nople à caufe de la peíte. Le Vaiffeau- 
marchand nommé /a Fortunette , qui: 
avoit été obligé d'y venir , ne tarda. 
gcre à être infecté, & trois ou qua=. 
tre matelots en. moururent. Plus. 
avant. nous. laifsâmes für la droite. - 
deux écueils, qui retiennent leur an- 
cien nom.d'Oxya & de Plat) ; lepre- 
mier, parce qu'il cft forr pointu; & 
l'autre , parce qu'il eft bas & large. 
& c’eft ce quc fignifient les noms que 
les Grecs leur: ont donnez. Enfuite: 
nous, pafsâmes prés de la petite Ifle. ” 
d' Antigone & vinmes coucher à celle. 
de CLalu , un Monaftere de Ca-. — 
loyers rebáti par Panagioti Drogue- 
an du Grand Seigneur. Qn y.voit: 


é des fept Eolifes..— 275 
fon epitaphe en Grec literal, & celle 
d'un Ambaffadeur d'Angleterre ap- 
pellé Edoüard Barton , ess le regne 
d'Elizabet. Les Caloyers nous re- 
ceurent civilement , & nous fourni- 
tent autant de couvertures & de ma- 
telats que nous voulümes. Le lende- 
main nous partimes de bonne heure. 
& vinmes dans.le: golfe de 244ona-- 
gnia appellé anciennement Canus fi 
nus, du nom dela Ville de Czum.. 
Nous. côtoyàämes à notre droite le: 
village de Trichlia,& à un mille delà: 
celuy de Siky, qui eftaffez grand, ἀξ: 
que nosCartes nomment Seauino mal. 
à propos ; car Sixy eft fon veritable: 
nom , fignifiant en Grec une figue,, 
parceque le terroir d'alentour eft: 
plein de figuiers fauvages. Il y ἃ là: 
une Eglife qu'ils. appellent Agios: 
Stratigos , ὃς c’eft le nom qu'ils don— 
nent quelquefois à l’Archange Saint: 
Michel,comme fi nous difions /e faint 
Capitaine. Proche du rivage il y a: 
une fontaine appellée Chriflos 9. à la 
quelle les Grecs attribuent: des mi— 
tacles.[lsnomment ces fortes-d'eaux ,, 


auff bien: queLeau benitezAgiafma.. 


M O N- 
TAG- 
NIA. 


PROY- 
SA. 


276 |. Poyage du Levant, 

À quatre ou cinq milles de là eft 
la petite Ville de Adontagnia,o0à nous 
primes terre. Il eft aifé de juger par 
{es mafures , que le lieu eft fort an- 
cien,& quelques-uns veulent que ce 
foit la Nicopolis de Bithynie. ll y a 
un beau Kan, qui a environ cinquan- 
te chambres. Nous y paísàmes le 
refte du jour, & primes le lendemain 
des chevaux, pour aller à Proufa,qui 
n'en eft éloignée que de dix ou dou- 
ze milles. Nous laifsámes à moitié 
chemin le village de Mouffanpoula, 
& des campagnes bien cultivées. 

PROVSA , ou Bour/ia , ou Burfa * 
(car le nom de cette Ville fe pronon- 
ce de diffirétes manieres) a un abord 
des plus agrcables ; tout le terroir 
d'alentour étant ombragé de noyers, 
de chataigners & de meuriers,& em- 
belli de jardinages de coté & d'autre 
du grand chemin qui cft fort large & # 
auffi beau qu'on fe puifle imaginer, | 
quoy que peu à peu il aille en mon- 1 
tant. C'étoit l'ancienne Ville de Pru- 
Ja aa Olympum, évant au pied de cet- 
te montagne, qui étoit autrefois ap- 


pellée l'Olympe de Bithynie, σε 


C des fept Ερίϊεν. 277 
une des plus hautes de l’Afie mineu- 
re, & on la voit de Conftantinople, 
bien qu'elle en foit éloignée de prés 
de cent milles. Le fommet eft cou- 
vert de neige toute l'année ; mais à la 
moitié de fa hauteur elle a des en- 
droits fort agreables , des bois de 
pins & fapins, Wwe d'une efpece 
de cedre, commele jugeoit mon ca- 
marade fort curieux pour les plantes. 
Ces bois font arrofez de quantité de 
ruiffeaux, où l'on pêche aifement des 
truites tavelées de rouge , que les 
Turcs appellent Æ/agbalue, ce qui, à 
exprimer le mot à la lerrre , fignifie 
un bean poiffon. Les plus groffes font 
portées au Grand Seigneur , comme 
un morceau delicat. Cette Ville fuc 
prife fur les Empereurs Chrétiens 
d'Orient par Sultan Orchan lan 
.1300. ὃς devintle Siege de l'Empire 
Ottoman, jufqu’au tems qu'ils fe fu- 
rent rendus maîtres de Conftantino- 
ple. Elle a encore les murailles qu'cl- 
Je avoit foûs ἴα domination des Chré- 
tiens. Les Turcs ne les ont pas vou- 
lu demolir, comme ils font prefque à 
routes Les autres, parce qu'ils la con 


278 Voyage du Levant, —— 
fiderent comme une des Villes Koya« 
les de l'Empire. Nous en fifmes le 
tour , qui eft: d'environ. fix milles.. 
Elles font báties des ruines de l'an- 
cienne Ville; car on y voit quantité: 
de colonnes & de pieces de marbre 
enclavées avec les pierres. Le quar- 
tier qui eft fur umggoche efcarpée du. 
coté du Bazar,eft appellé le Château. 
ou la Fortereffe. Elle eft entourée. 
d'une muraille feparée de celle de la: 
Ville, avec quatre portes pour y en+ 
ter. C'étoit le refuge des Chrètienss. 
mais la Place étoit meilleure qu'elle 
n’eft à prefent.Nous y vimesle Mau- 
folée d'Orchan , de fa femme & de: 
fes enfans, dans une Eglife qu'ils ont 
ótee aux Grecs. Elle eft bâtie en 
croix Greque, un dôme au milieu , &: 
le Chœur tout. de marbre, On voit: 
auífi. prés de là un tombeau où font: 
enfevelis les enfans de Bajazet. 

La Ville contient environ quaran- 
te mille Turcs,& prés de douze mil- 
le Iuifs. Pour ce qui eft des Grecs ὅς. 
des. Armeniens , ils font aux Faux= « 
boures,& ne font pas un grand nom - 


ἧτο, Au contraire le Bourg de Phila+ | 


e des [ept Ealifes: 279 
dar, qui eft à deux lieucs de Proufa, 
n'a que des Chrétiens, quoy quils 
foient plus maltraitez des Turcs que 
par tout ailleurs ;, car ils leur font 
payer double carafch , à caufe de la. 
vigoureufe refiftance qu'ils. leur fi-. 
rent , lorfqu'ils fe rendirent maîtres, 
du pays ; & comme ce font des mar-- 
ques de leur courage, ils fouffrent ce: 
rude traitement fans en murmaurer.. 

L'ancien Serrail de Proufa étoit 
fort petit,. H y a quinze ans que le 
Grand Scigneur y devant venir , on. 
l'abatit,& l’on en rebatit un autre en 
moins de deux mois. Nous y entra- 
mes avec un laniffaire, & nous ne vi 
mes qu'un bâtiment fort mediocre, 
qui n'à que fcpt ou huit chambres. 
boilées avec des armoires dorées à 
- compartiment;fans être accompagné. 
d'aucun jardin ; toutefois la vüc en 
eft tres-belle.. Il ny à aucun meuble 
dans ces chambres , auffiles Turcs. 
n'en ont guere , & le Eoncierge qui 
nous les avoit ouvertes eut pour fa 
peine une piaftre de chacun de nous. 

. La Ville n'eft arrofée d'aucune ri-. 


viere , & il n'y. a qu'un tuifleau à un: 


280 Voyage du Levant, 
mille delà fur le chemin de Monta- 
gnia ; mais en échange il n'y a point 
de Ville au monde où il y ait plus de 
fontaines. Divers Sultans y ont bâti 
juífqu'à fix ou fept Mofquées, & celle 
d'Aladin eft la plus belle & la plus 
Ípacieufe de toutes. Elle eft quarrée 
& couverte de vingt-cinq petits dó- 
mes d'égale grandeur. C'eft une bel- 
le architecture, & toute de pierre de 
taille. Le Bazeflan ,oà fe debitent les 
marchandifes eft un affez beau lieu ; 
& non feulement Proufa eft une Vil- 1 
le de grand negoce,mais elle eft auff 
de grand paífage pour les Caravanes | 
qui vont d'Alep ou de Smyrne ἃ 
Conftantinople,& il s'y fait des foyes | 
ues-fines. ll y a quantité de beaux 
bains ou étuves à la Turque , & des 
Kans pour loger les paffans,dans l'un | 
defquels nous avions deux chambres | 
pour nótre compagnie. Vn de nos | 
Anglois y tomba malade, & nous y « 
retint prés de quinze jours. Le Do- - 
éteur Picrelin le faigna deux fois lai- | 
méme faute de Chirurgier, ὃς com- | 
me il crut que fa maladie tireroit en | 
longueur , nous partimes. enfin. de 


Æ 


de A 


Ο des [ept Eglifes. — 281 
Proufa , aprés luy avoir laiffé deux 
perfonnes pour Paflifter. Nous ap- 
primes quinze jours aprés qu'il y 
étoit mort,;non fans foupcon de quel: 
que nialignité apportée de Conftan- 
rinople,où la contagion fe renforgoit 
quand nous en partimes. Car au re- 
fte fa maladie n'étoit pas dangereufe, 
n'étant qu'une fiévre tierce intezmit- 
tente, Quoyque le commerce des 
deux Villes füc libre, & qu'on n'y 
obfervât aucune precaution , il n'y 
avoit pourtant point de pefte à 
Proufa. 

Vn Armenien nous donna un che- 
val à chacun jsíqu'à Smyrne pour 
trois piaftres. Monfeur Vvheler fut 
» fort fàché de ce que le fien n'avoit 
. point de bride; mais nous apprimes 
à nous y accoütumer dans la Grece, 
où nous étions montez comme le 
Marc-Aurele du Capitole fans bride, 
fans felle & fans étrieu,nous conten- - 
tant d'un licol , d'un baft & d'une 
corde pour tout harnois. Le premier 
jour nous ne vinmes coucher qu'à 
un mille de Proufa , aux bains d'eau 
chaude qui font au village de Cap/;- 


282 Voyage du Levant, 

gi. Le grand bain femble une Mof- 
quée, & nous n'y pümes entrer, par- 
ce qu'il y avoit des femmes. Toute 
l'apreídinée eft pour elles, & le ma- 
tin pour les hommes. Celuy où nous 
nous baignàmes , bien que l'un des 
moindres , étoit un dôme tout de 
marbre par dedans. L'eau eft fou- 


frée, & feroit tróp bouillante ; fi on 


ne la temperoit avec de l’eau froide. 
Les Turcs les frequentent fort , tant 
par les regles de leur Loy qui leur 
recommande le bain,que par delices, 


& pour leur fervir de remede en di- | 
verfesmaladies ,pour:la guerifon def- 
quelles ils font renomimez dans tout 


le pays. 

Le lendemain 24. d*'OG&obre nous 
quittàmes Capligi avant jour,& tra- 
versámes des campagnes de bled cul- 
tivées par les efclaves des Turcs; cat 
pour les Muffulmans il n'y en a point 
de reduits à cette neceffiré,& ils font 
tous aífez à leur aife dans ce monde. 
Ils s'attendent de l’être encore da- 
vantage dans l'autre , & s'appuyent 


entierement fur les promeffes ridicu- 


les de leur Prophete. Nous nous ar- 


3 


i i € det fent Eelifes. — 285 
rérâmes fur le midy à un hameau de 
Grecs , où nous trouvámes des œufs 
& du lait. Nous y mangeâmes fans 
faire repaître nos chevaux , qui 
étoient accoütumez à la Turque à 
faire abftinence jufqu'au foir dans le 
voyage. Nôtre repas fait , nous fü- 
mes encore fix heures à cheval par 
un pays de méme nature que le pre- 

:cedent , mais un peu plus diverffié 
par d'agreables collines. Trois ou 
quatre milles au dega du gite où 

mous nous arrétames ce foir-là nous 

traversames une grande plaine , où 
nous decouvrimes à nôtre gauche un 
beau lac long de 2 5. milles ou envi- 
xon , & large de fept ou huit. Nous 
tenconträmes ce jour-là fix Cava- 
liers faits cóme des voleurs de grand 
chemin. On nous affura auffi que 
nous ne nous trompions pas de les 
prendre pour tels ; mais nous étions 

B {ept bien armez , & nous ne crai- 

|gnions pas qu'ils ofaffent s'attaquer 

à une plus forte partie que la leur. 

|| Nótre petite Caravane étoit compo- 

fée du Docteur, d'un marchand An- 
iglois , de mon camarade & de moy, 


284 — Foyage du Levant, 


avec un Janiffaire que nous avions 
pris depais Conftantinople à un écu 
par jour luy & fon cheval, & deux 
ferviteurs ; fans conter deux ou trois 
voituriers à pied, mais qui n'avolent 
point d'armes , & qui fe moquoient. 
des voleurs , parce qu'ils n'avoient 
rien à perdre. | 
Le bi: nous atrivàmes à Lonupads | 
petite Ville prefque deferte,fituée de | 
l'autre côté de la riviere qui fort du: 
Lac, ἃς fe va jetter au detfous dans: 
le Granique. C'eft le lac & la rivie-] 
re d'A/canins , mais nos Cartes pla- 
cent ce lieu-là au bord du Lac, quoy 
u'il en foit à trois milles au deffous, 
& ils pofent le lac affez proche dela 
mer , bien qu'il en foit éloigne d’une” 
journée de chemin. Cette Ville eft. 
affurement ancienne , comme on le 
reconnoit à fes marbres & colonnes! 
mifes confufement dans la fabrique: 
des murailles, qui font un ouvrag 
des Empereurs Grecs;avec des tours 
rondes & pentagones de vingt en 
vingt pas. Nicetas Choniates,qui a; 
écrit dans le treiziéme fiecle appelle 
cette Ville Lopadium. - Ferrari. dit 


c des-[ept Eglifes--. 28y: 
qu’elle s'appelloit anciennement 4- : 
pollonia; mais ce qu'il ajoûreeft evi- 
demment faux ,difant qu'elle eft prés : 
du Mont-Olympe, dont nous étions 
éloignez d'une journée. Nous y en- 
trâmes fur un Pont de bois,mais il y 
à des mafures d'un Pont de pierre. - 
Les maifons font prefque toutes de 
terre, & à peine y a-t-il mille habi- 
tans. Nous logeimes chez un Grec, ; 
ui ne fcavoit parler que Turc, ἃς 
dans les Villages de ces quartiers-là, 
| n'y a quelquefois que le Prétre qui 
[cache le Grec. Il nous regala d'une 
ruite prife dans certe riviere,& nous 
ivoüámes tous que c'étoit la meil- 
eure que nous evffions jamais man- 
xée. Nous continuâmes nôtre mar- 
the le lendemain jufqu'à midy dans 
εἴτα belle plaine de la Myfie, puis 
ous vinmes à de petites collines.Le 
oir nous paísámces le Granique fur 
in Pont de bois à piles de pierre, 
juoy qu’on l'cát pá aifement gayer, , 
y ayant pas de l’eau jufqu'aux fan- 
les des chevaux. C’eft cette riviere : 
ue le paffage d'Alexandre le Grand 
rendu fi fameufe, & qui fut ie pre- 


286 Voyage du Levant, 
mier theátre de fa gloire , lorfqu'il 
marchoit contre Darius.Elle eft pré- 
que à fec en Eté ; mais quelquefois 
elle fe deborde étrangement par les 
pluyes. Son fonds n'eft que fablon 
& gravier, & les Turcs qui ne font 
pas foigneux de tenir les embouchu- 
res de rivieres nettes, ont laifsé pref- 
que combler celle du Granique , ce 
qui empéche qu'il ne foit navigable, 
méme proche de la mer, où il eft aí- 
fez large. Nous le côtoyimes pen= 
dant deux heures , & arrivàmes au 
village de Soufighirli,qui n'en eft qu'à. 
une moufquetade. Il y a un grand’ 
Kan ou Kiervanfera, c’eft-à-dire une” 
Hôtellerie à la mode du pays,dequoy: 
Monfieur Tavernier nous donne une! 
longue & exacte defcription dans fes 
voyages d'Afie. Mais ce Kan étant! 
alors tout rempli d'autres voyageurs; 
nous fümes obligez de nous reduire! 
dans un petit bas où nous mimes nos: 
chevaux , & nous nous placames fur: 
.une eftrade ou. fofa à la Turque un? 
peu plus haut pour nous éloigner de 
l'humidité. Notre hóte qui étoit 
Turc nous traita bien à la mode du! 


€ des fept Eolifes. 287 
Pays. Il nous donna du Tragana qui 
eft du bled grué aprété comme le ris 
à la Turque ; une tourte de molle, 
de viande & de mie de pain,qui étoit 
fort excellente, & un autre ragoût 
qu'ils appellent Dou/ma. Ce font des 
pommettes compofées de jailles & 
foyes de poulet,de graifle d'oignons ' 
& d’épiceries fricaffées dans une 
feuille de vigne. Le deffert confiftoit 
en de bonnes confitures de poires,de 
prunes & d’abricots au vin . cuit. 
Nous étions fi perfuadez dela mau- 
'vaife chere des Turcs, que celle-cy 
nous parut merveilleufe, & le lende- 
main nous payâmes nôtre hôte auffi 
graffement que fi nous fuffions for- 
[tis du meilleur Logis de France ; ce 
que l'on fait de bon cœur fans mar- 
Bchander avec eux. 
|. Ayant quitté le village des Bufles- 
Jd'eau (car c'eft ce que fignifie en 
Turc Soufighirli) nous allimes encore 
le: long du Granique pendant plus 
lune heure, & à fix milles de là M. 
€ Do&eur Picrelin nous fit remar- 
uer de l’autre côté de l’eau affez 
oin de nôtre chemin , les mafures 


288 Voyage du Levant, 
d'un Château qu’on croit avoir été: 
bâri par Alexandre , aprés qu'il eut 
paffé la riviere. | 
Ce pays n'eft fertile qu’en bleds,: 
parce qu'il n'y a que des Turcs dans 
ces quartiers-là, auffi n'y trouvions-: 
nous point de vin , ce qui ne nous: 
plailoit pas. Il falloit nous contenter 
du café & d’un breuvage à l'Angloi- 
fe, qui n'étoit pas mauvais. Nous le 
faifions avec de l'eau de vie;du jus de . 
citron,de l'eau & du fucre ; car nous! 
avions fait provifion à Proufa d'un: | 
outre d'eau de vie. Il eft vray qu'il ^ 
nous en coûta affez cher ; car quand ἢ 
Meffieurs nosAnglois,que nous croy- n 
ions meilleurs ménagers que nous, 
nous tendirét le compte de la dépens : 
fe, il fe trouva que depuis Conftàn- ^ 
tinople jufqu'à Smyrne nous avions : 
dépenfé quarante écus en eau de vie 
& en fucre. Nous paffames fur le mi- ? 
dy prés d'un Kan delaiffé ; appellé 0 
Porte-de-fer , qui à autrefois bien! 
fait peur à des gens , ayant été un | 
nid de voleurs & d'affaffins qui de-- | 
troufloient les paffans.En cffet,ayant | 
peuifé un peu plus avant,nous mimes all 


pied 


.& des fept Eglifes. — 289 
pied-à-terre dans une prairie pour 
manger promtement prés d'une fon- 
taine , où nous trouvámes une tête 
d'homme decharnée ; & c'étoit appa- 
remment la téte de quelque malheu- 
reux voyageur qui y avoit. été affaí- 
finé;n'y ayant pointlà de Cimetiere. 

La nuit nous arrivàmes à Mandra- 
goia méchant village, dont les mai- 
fons font de terre & de chaume.Nous 
logeámes dans le Kan , qui eft une 
grande écurie avec une eftrade au- 
tour, & des cheminées de dix en dix 
pas, où les gens fe tiennent, 1] n'y a 
dans ces Kans qu'un homme qui a 
foin de donner de la paille ἃς del'or- 
|ge en payant; cas dans toute la Tur- 
| quie il ne fe parle ni de foin , ni d'a- 
voine pour lés chevaux, ce qui eft. 
caufe qu'ils font plus legers,& qu'ils 
ne prennét pas de groffes pances qui 
Mes puiffent rendre povffifs comme 
]les nôtres. Il fournit auffi une nate, 
fur laquelle on étend le petit matelas 
qu'on porte avec fes hardes , & l'on 
wa chercher dans les maifons voifi- 
nes, le bois, le pain & autres chofes 
neccflaires ; autant qu'on les peut 


| 


290  JVFoyage du Levant, 
trouver. Mais on porte toüjours pros. 
vifion de ris en chemin,étant le mets 
qu'on appréte le plus aifement & en 
moins de tems , car à leur mode on 
ne le fait cuire qu'un quart-d'heure - 
dans l'eau. Quand on a du beurre,;ou 
de l'huile , on l’ajoûte en fortant du 
feu. Nous l'avons fouvent trouvé ! 
bon fans autres ingrediens que de | 
l'eau & du fel, avec un bon appetit. # 
Je m'imagine bien que mille gens | 
s'étonnefont en cét endroit, que les 
Turcs n'ont pas l'efprit d'établir com- | 
me nous de bonnes horelleries ; mais. 
il faut confiderer que íi quelqu'un 
d'eux s'avifoit d'en tenir , il ne fe. 
trouveroit perfonne qui iroit y loger" 
fi ce n'eft les Francs. Car comme les 
Tutcs ont accoütumé de ne depenfer 
prefque rien dans leurs Kans, ce qui 
s'accorde fort avec leur humeur mef= 
quine, ils n'auroient garde de salles 
fourrer dans un Logis , où l'effroya- 
ble penfée de payer pour une nui 
homme & cheval un écu par téte,fe- 
roit capable de les faire fuir bien 
loin,au lieu de les y attirer. Auffi n 
voyons-nous pas que les Armeniens} 


© des fept Eglifes. — 391 
faffent de grans écots , lorfqu'ils 
voyagent dans nótre Europe. Ils ai- 
ment mieux diner en chemin- faifant, 
& coucher fur leurs bales de foye, 

que de s'aller mettre dans un bon lit. 

Il y avoit dans cé Kan cinq ou fix 
colonnes fort antiques , qui nous fi- 
rent juger que celieu-là avoit autre- 
fois été quelque chofe de plus qu'il 
'm'eft prefentement, & la reffemblan- 
ce de nomme fit croire , que ς᾽ été 
là A4andropelis, dont Pline fait men- 
tion ; car nous étions alors dans la 
Phrygie, où il place cette Ville. 
Le jour fuivant nous pafsimes en- 
core le Granique , qui n'avoit que 
deux pieds d'eau, & nous marchámes 
[huit heures durant par des collines 
Mdefertes. Le foir nous arrivames au 
fillage de Courougou/gi , c'e&-à-dire, 
Anarais deffeché,& nous y rencontrà- 
mes deux Hollandois qui venoient 
Ale Smyrne , avec lefquels nous fou- 
Mames chez un Turc. 

Le 28. nous ne fifmes que cinq 
ieucs , & nous primes nôtre gite à 
afculimbeï , Bourg d'environ trois 
ent feux, Il y aun Kan, mais nous 


N 2 


292 Voyage du Levant , 
aimâmes mieux loger chez un Turc 

de la connoiflance du Docteur Picre- 

lin. Il nous traita le moins mal qu'il | 

püt avec du pilau, c'eft-à-dire du ris. 
à la Turque, du Tragana,du laict, de 

]a viande affez bien aprétée ,«& des, 

confitures au vin cuit. Nous remar-4 
quàmes chez luy linftrument dont: 
ils fe fervent pour feparer le coto 
d’avec fa graine,car il s’en fait beau- 
coup en ces quartiers-là. Ce fon 
deux rouleaux, l’un de bois , &V au- 
tre de fer, que l'on fait tourner tous 
deux en dedans, & l'on en approch 
le coton qui paffe entre deux , mai: 
la graine n'y fgauroit paffer , parce 
qu'ils font ferrez l’un contre l'autre, 
La figure vous l'exprimera mieux qu 
le difcours. 


e des Jept Eglifes. 5703 


Instrument des Turcs 
pour [eparer la graine de Coton. 


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Nous n'avions plus delà que deux 
petites journées jufques à Smyrne , 
mais nous nous écartàmes fix lieues 
pour aller voir Thyatire , appellée 
maintenant A£k-hiffar par les Turcs, 


3 


| 


THYA- 
TIRE. 


294 Voyage du Levant, 
C'cft-à-dire en leur langue Chéreau 
blanc. C'eft une des fept Eglifes de — 
l'Apocalypfe , & ce fera la premiere 4 
dont je vous donneray la defcription. » 
.Elle eft batie dans une belle plaine, | 
T a plus de vingt milles de large, 

emée de cotons & de grains ; mais # 
il y en a une partie inculte & cou- 
verte de tamarifc. A l'entrée de la | 
plaine nous vimes fur une eminence | 
qui commande le chemin,les mafures 
d'un Château , qui portoit le méme M 
nom Z' AL-h» (Jar, d'où les Turcs s'é- | 
tant retirez, ils vinrent bâtir dans ce# 
lieu plus commode fur les ruines ἀς ἢ 
l'ancienne Thyatire , & luy donne-w 
rent le nom du Château qu'ils avoiér ” 
quité. Il n’y a pas encore fept ou ” 
huit ans qu'on ne fçavoit où avoit 
été cette fameufe Ville de Tbyatire,: ] 
le nom méme en ayant été perdu. ἢ 
Ceux qui fe croyoient les plus habi- |] 
les , trompez par une fauffe reffem- ^ 
blance de nom;s'imaginoient que ce 
füt la Ville de 7;77/4 à une journée | 
d'Ephefe. Mais Monfieur Ricaud | 
Conful de la Nation Angloife y étant. 
allé accompagné de plu&eurs de ces | 


* 
a as 


d des fept Eglifes. 295$ 
Meffieurs qui negocioientà $myrne, 
reconnut bien que Tiria n'avoit rien 
que de moderne,& que ce n'étoit pas 
ce qu'ils cherchoient. Iugeant à peu 
prés du quartier où elle devoit être, 
ils vinrent à Ak-hiffar , où ils virent: 
plufieurs mafures antiques , & trou- 
verent le nom de Thyatire dans quel- 
qüe inícription , apres quoy ils ne 
douterent plus que ce ne fuft elle- 
même.M.le Do&eur que nous avions 
l'avantage d'avoir en nôtre compa- 

nie,commeil eft Ícavant & curieux, 
iouhaita de s’aflurer de la chofe , & 
fut caufe que nous y allámes. Avant 
que d'entrer dans la Ville nous vi- 
mes un grand Cimetiere des Turcs le 
long du chemin,où remarquant quel- 
ques infcriptions, je mis pied-à-terre 
pour les copier. Nous y demeurámes 
toute l'aprefdinée, & nous étions lo- 
gez dans le Kan proche du Bazar,où 
ily a environ trente colonnes avec 
leurs chapiteaux & pied d'eftaux de 
marbre , difpofées confufement en 
dedans pour foutenir le couvert. Il 
y yaunchapiteau d'ordre Corinthien, 
B & des feuillages fur le fufte méme de 

N 4 


296 . Voyage du Levant, 

la colonne , comme vous en vertez 

dans un Temple de Melaflo, dont je 

vous donneray le deffein ; ce qui eft. 

affez extraordinaire. — | 
Au fujet de ces colonnes ouvra- 


eces de feuillages,voicy un autre re- | 


marque que M. Galland Antiquaire . 
du Roy a faite & m'acommuniquée. 
1 y a un Kiofque ou Pavillon bâti 
par Sultan Soliman prés d’Inghirli- M 
kioi qui n’eft pas loin de Conftanti- - 
nople , fur le canal de la mer noire. . 
Le fondement de ce Kiofque eftde M 
plufieurs colonnes , parmi lefquelles 


il y en a une de marbre blanc , d’un |] 


pied & demi de diametre , dont on 
n'en voit qu'environ deux pieds de | 
longueur du côté de la bafe, qui for- | 
tent hors du fondement en guife de | 
canon , comme les autres colonnes. ” 
Celle-cy eft toute particuliere: car le M 
fufte méme de la colonne eft ouvra- | 

é de feuillages de vigne entrelacez — 
de figures differétes d'animaux,com- « 
me de belettes , & de limaçons fort 
au naturel,avec deux mafques & une | 
cuve pleine de raifins que trois hom- | 
mes foulent , & un autre en tire le — 


& des fept Eglifes. 197 
vin par le bas, & tout cela avec le 
goüt & les marques de la bonne an- 
tiquité, Cette colonne a été fans 
doute prife du Temple de Bacchus; 
dont Pettus Gyllius fait mention 

dans fa defcriprion de Conftantino- 

| ple,& en parlant des colonnes voicy: 
| ce qu'il en dit : Capitula inferiorum: 
| €chinos babent circumdantes imam par- 
tem. Reliqua pars eff tota ve[lita foliis; 
mais il ne les avoit pas obfervées de 
fort prés. ! 
Nous primes un Janiffaire du lieu 

| avec nous, pour aller voir les Infcri- 
prions antiques de Thyatire. La pre- 
miere qu'on nous avoit indiquée étoit 
foûs une hale proche du Bazar, & 
elle commence ainfi: H KPATIXTH 
OYATEIPHNON BOTAH, le tres-puif- 
fant Senat de Thyarire. Nne vintaine 
de Turcs s'étant attroupez autour de 
nous pour voir ce que nous faifions, 
nous leur difines que c'étoit une 
| pierre du tems des anciens Payens; 
où étoit le nom que leur Ville por- 
| toit autrefois. Ils s'étonnerent de ce 
nom de Thyatire que je pronongay. 
| & deux ou trois d'entr'eux nous en 


| NOS 


298.  V'oyaee du Levant, 
menerent voir d'autres que nous CO= … 
piàmes exactement. Il y en eut un 
nommé Wezi Chelebi quien avoit une. 
chez luy crenfée en refervoir de fon- . 
taine,& je puis dire que nous n'avós. | 
point trouvé de Turcs plus civils. : 
qu'en ce lieu-]à. Nôtre Ianiffaire ! 
nous mena àla cour d'un des prin- 
cipaux habitans appellé AMuffapha. 4 
Chelebi , où nous làmes encore trois, « 
Infcriptions.Les deux premieres font ! 
les jambages du portail de la maifon,, — 
& parlent d’Antonin Caracalla Em- M 
pereur Romain , comme d'un Bien- 
faiteur ἃς Reftaurateur de la Ville. 
Le rire de Maître de la terre & de. 
la mer , qui y cf donné à ce Prince « 
ambitieux, cft auffi rare que celuy de | 
Divinité prefente anx mortels, qui luy | 
eft attribué dans une bafe de maibre | 
à Frafcati proche de Rome. Aprés M 
avoir leu ces deux pierres , nous ap- M 
perceumes au milieu de la cour um | 
grand cercueil de marbre , où il y! 
avoit la place de deux corps,& à l'un. | 
des córez l'Epitaphe du mari & de la: 
femme , qui y avoient été επί velis. ; 
(Comme nous. nous mettions. en de= 


e des fept Eglifes. — 199 
voir delecopier, un des Turcs du 
Logis , peut-être par fuperftition, fe 
mit devant nous , & ne voulut pas 
nous le permettre , s'imaginant que 
c'étoit un tombeau de quelqu'un de 
leurs Saints. Nous fifmes femblant 
de croire que ce qu'il en faifoit n'é- 
toit que pour rire ; mais nôtre Ianif- 
faite le fit ôter delà, & nous écrivi- 
mes l'epitaphe, où le nom de Thyati- 
re étoit repeté deux fois. Aprés cela 
nous vimes une autre infcription 
dans une colonne qui foûtient une 
galerie d'un Kan , & où nous làmes 
en Grec & en Larin,que l'Empereur 
Veípaíian y avoit fait faire de grans 
chemins l'année de fon fixiéme Con- 
fulat. | 

Les maifons pour la plus grande 
partie ne font que de terre, ou de ga- 
zon cuit au Soleil;fort baffes & fans 
beaucoup d'artifice. Le marbre qui 
s'y trouve n'eft employé qu'aux Ci- 
metieres , & aux Moíquées, qui font 
au nombre de fix ou fept , pour qua- 
tre ou cinq mille habitans;qui nego- 
tient en cotons, ls font tous Maho- 
metans; & il ny a plus en ce lieu-là 


300 Voyage du Levant, 
de Chrétiens,ni Grecs,ni Armeniens, 
fi ce n'cft peut-être quelques efcla- 
ves , ou quelques étrangers qui tra- 
vaillent chez les artifans. Vn Grec 
que nous rencontrâmes , & qui étoit 
de ces quartiers-là, nous montra une 
petite Mofquée , qu'il nous affura 
avoir été une de leurs Eglifes. Le 
minaret de la Mofquée étoit tout de- 
couvert, & il nous. dit que les Turcs: 
lavoient couvert deux ou trois fois, 
mais. que le toict étoit toüjours tóbé 
bien-tótaprés,ce qu'ilattribuoitàun - 
miracle,à caufe de la profanation qui | 
en avoit été faite par les Turcs en la | 
cóvertiffant en Mofquée. En un mot, 
il ny a plus d'exercice de la Religion 
Chrétienne en celieu-]à , & Dieu ἃ 
puni fur eux felon fa menace, les im- 
pietez de Iezabel. 14» quelque: cbofe 
a vous reprocher , dit S. Iean à cette 
Eglife ; c'eff que vous permettez que 
lefabel , ceste femme qui fé dit Prophe- 
teffe, feduife mes fevviteurs,e leur ens. 
fexgne ἃ fe corrompre par la fornication, ὦ 
C à manger de ce qui efl facrifié aus. | 
Idoles. le luy ay donné du temps pour | 
Jaire penitence de fon impudicité,r elle 


€ des fept Eolifes. got 
ne l'a pas voulu faire. Mais je m'en 
vas la reduire au lit, en la frapant de 
maladie, ci atcabler de maux & d'af- 
füittions ceux qui commettent adultere 
avec elle. Ieferay mourir [es eufans 
d'une mort precipirée,cÿ toutes les Egli- 
fes connoërront que je fais celwy qui fon- 
de les reins ç les cœurs, cj je rendray 
& chacun felon fes œuvres. 
Le jour fuivant étant venus au 
bout de la plaine , nous paísàmes 


quelques collines , puis une autre 


grande plaine longue de prés de vingt 
lieués, & large de quatre où cinq, oà 
Scipion furnommé l'Afriquain defit 
autrefois Antiochus. L'ayant traver- 
fée nous gayámesl Hermus petite ri- 
viere qui fe va jetter avec le Pacto- 
le à l'entrée du golfe de Smyrne.L'u- 
ne & l'autre rouloient anciennement 
de l'or dans leur fable, mais on n'y 
en remarque pas à prefent. Vn mille 
au delà eft le mont Sypilus , & aw 
pied la Ville de Magnefie, appellee à 
prefent Aagnefa , où nous vinmes 
coucher chez un Turc. La Ville eft 
grande, & a plus de douze mille ha- 


bitans. |) la refidence du Gou- 


MAGNEi 
SIE, 


MYR- 


302 Voyage du Levant, 
verneur de ces quartiers-là,à qui l'on 
donne le titre de Muffellem.La mon- 
tagne eft au Sud-Eft.Surle panchant 
il y a une Citadelle affez mal en or- 
dre.Les Grecs n'y ont qu'une Eglife. 
Le 31. nous montámes trois heu- 
res durant le Sypilus , & arrivames 
cinq autres heures aprés à Smyrne. 
Ainfi Magnefie n'en eft pas fi loin 
que nos Cartes la mettent. 1] vine 
environ cinquante Anglois à la ren- 
contre des nôtres. Monfieur le Do 
&eur Picrelin en ef fort aimé , & ils 
le lay ont témoigné en luy faifant 
une penfion de douze cent écus pour 
l'arréter à Smyrne & être leur Mede- 
cin. Nous étions en peine où aller 
loger ; mais entre ceux qui étoient 
venus au devant de nous , il y avoit 
un Traiteur Frangois qui avoit ap- 
porté une belle collation,& qui s'of-- 
frit de nous recevoir chez luy. ll 
s'appelle Honorat , & s’eft marié là 
avec une Greque. Son logis où nous 
fümes tres-bien , eft dans le quartier 
des François qui regarde fur le Port; 
SMYRNE eft une Ville fort an- 
cienne , bâtie, à ce que diloient les 


e des [ept Egliles: — 303 
Grecs par l'Amazone $myrne,qui luy 
donna fon nom. On la voit reprefen- 
tée dans les medailles antiques de la 
Ville avec la double hache & le pe- 
tit bouclier d'Amazone , & l'on re- 
marque à l'entrée de la Fortereffe fon 
bufte de marbre , que Monfieur de 
Monconis prenoit pour Apollon.Les 
gens du pays font des contes ridicu- 
les fur cette téte,& difent que c'étoit 
une certaine Reine de Smyrnequi vi- 
voit du tems d'Alexandre le Grand ; 
d'autres difent que c'eft Semiramis : 
mais au fond ce n’eftautre chofe que 
ce que je viens de dire. On le recon- 
noit à la coiffure femblable aux me- 
dailles où elle e£ gravée. Si les Turcs. 
ne s'étoient divertis à luy tirer des. 
coups de moufquet pour luy caffer le 
nez, on luy verroit peut-être encore 
la hache fur l'épaule. 

Le Port de Smyrne eft un grand 
golfe de huit lieués de tour, & qui a 
prefque par tout bon ancrage , & 
bonne tenue. Mais il y a comme une 
efpece de darfe ou petit Port renfer- 
mé pour les Galeres & barques Tur- 


quefques, La Doüanc qu'on y a bá» 


304 Voyage du Levant, 

tie depuis peu eft une maifon avan- 
cée fur la mer , & fort propre, bien 
qu'elle ne foit que de bois peint & 
verniffé, Son droit eft de trois, qua- 
tre, cinq & huit ro cent, felon les 
Nations,qui n'y font pas traitées éga- 
lemét.Les Anglois y bat les plus fa- 
vorifez,& les Armeniés les plus char- 
gez ; à Smyrme,de méme qu'au refte 
de la Turquie, fi l'on furprend quel- 
qu'un qui veuille frauder la Douáne, 
on ne luy confifque pas fa marchádi- 
fe,mais on luy fait feulement payer le 
double du droit ordinaire, On s'en 
fie le plus fouvent à la bonne foy des 
Anglois fans les vifiter ; parce qu'ils 
agiffent avec honneur, & que la plà- 
part des negocians qui font là font 
Gentilshommes,ou de riche maifon, 
n'ayant pas befoin de ces adreffes 
pour avancer leur fortune, Lorfque 
nous étions à Smyrne on achevoit . 
d'y bârir un Bezeftein, vouté de pier= 
res de taille, & long de quatre cent 
pas, qui prend jour par de petits ἀδ-- 
mes couverts de plemb , & qui fera . 
fermé par quatre portes,aux cótez & | 
aux exuemitez. On y élevoit auff 


& det fept Eclifes. — 30$ 
tout joignant un grand Kan de pier« 
re de taille; mais pour mettre en état 
ces deux edifices;ils en détruifent un 
autre qui ne faifoit pas un des moin- 
dres ornemens dela Ville, C'eftun 
theâtre antique , qui eft far le pan- 
chant de la colline,comme l'on mon- 
te à la Citadelle. I] étoit fort haut & 
tres-bien bâti, & avoit la νὰ fur la 
. mer. Avant nôtre arrivée on y avoit 
trouvé un pot de medailles de Gal- 
lien, de fa famille, & des Tyrans qui 
regnoient en méme tems que luy. 
Ty trouvay dans la fcene une bafe de 
ftatué qui n'avoir que le mot de 
Claudia en Lettres Greques aflez 
mal formées , & peut-être du même 
tems de cét Empereur. Ainfi l'on 
pourroit juger qu'il avoit été bâti, 
ou du moins renouvellé fous fon 
regne.Àu deffus de cette petite mon- 
tagne, qui eft àu Levant de la Ville, 
font les ruines de la Citadelle dont 
jay parle. C'eft un ouvrage des Em- 
pereurs Grecs ; car nous y vimes fur 
une porte murée deus ou trois lignes- 
Greques fi mal-aifées à dechifrer , 
qu'on cónoiffoit bien qu'elles étoient 


306 Voyage du Levant, 
du bas Empire , & d'un ficcle peu 
li. Les Turcs ont auffi une Forte- 
reffe à la bouche du golfe pour rece- 
voir les droits de chaque Vaitfeau,& 
pour defendre l'entrée aux Corfai- 
res;mais elle n'a que les murailles, & 
un petit foffé, fans aucune force que 
celle de fes canons. A la porte de la 
vieille Fortereffe où nous étions mó- 
tez, il y aun grand cerifier fauvage, 
que les Grecs du pays difent être le 
bâton de S.Polycarpe premier Evé- 
que de Smyrne,qui un moment aprés 
qu'il fut planté en terre , pouffa des 
branches. Le dedans de cette Forte- 
reffe ruinée n'eft qu'un grand amas " 
de pierres , & il y a auffi une petite 
Mofquée qu'on dit avoir été l'ancien- 
ne Eglife Metropolitaine dediée à | 
S.Iean. On voit à fon veftibule deux .| 
colonnes d'ordre Corinthien,mais de | 
la plus belle maniere qui fe trouve | 
parmi les ouvrages des Anciens.Pro- 
che de la Mofquée eft une grande M 
voüte foütenué de fort gros piliers. 
le crus que c’avoit été une citerne, 
parceque les fources manquoient 
dans ceue Citadelle. Vn peu plus . 


€ des fept Ealifes. 107 
bas on voit hors de fes murailles les 
ruines d'une Chapelle dediée à S.Po- 
lycarpe,& les reftes de fon tombeau, 
où il n'y a rien de confiderable, Il 
eft proche d'un beau & grand Cir- 
que long d'environ deux cent cin- 
quante pas, & large de quarante- 
cinq. Je m'accommode à l’ufage des 
Launs en appellant ce lieu-1à un Cir- 
que ; car les Grecs l'appelloient δι4- 
dium , loríqu'il étoit de 125.pas , & 
Dianlos quand il avoit le double, 
comme à celui-cy. 

Au bas de la Viile on voit quel- 
ques pans de murailles de groffes 
pierres de taille,mélées avec les mai- 
fons ; & ce peuvent être des reftes 
du Téple de Cybele mere des Dieux, 
un des plus celebres du pays. Au 
Nord & au Levant des murailles 
coulela riviere 44e/es,que la croyan- 
ce qu'on eut qu'Homere étoit né au- 
prés rendit autrefois fameufe; ce qui 

| donna à ce grand Poëte le furnom de 
AMelefigeues. Ce n’eft maintenant 
qu'un ruiffeau prefque à fec,à moins 
que les pluyes ne le groffiffent. Le 
| peu d'eau qui s’y trouve eft tellement 


308 Voyage du Levant, - 
partagé pour deux Moulins qu'il fait 
tourner , & pour arrofer les jardins 
du voifinage,qu'à peine luy en refte- 
t-il pour payer le tribut que tous les 
fleuves doivent à la mer. C'eft de- 
quoy il ne faut pas s'étonner , puif- 
que toutes les rivieres prefque de la 
Perfe qui courent vers le Midy , font 
coupées & diverties par tant de ca- 
naux pour arrofer les terres, qu'elles 
s’y perdent enfin, & qu'elles ne peu- 
vent aller jufqu'à l'Ocean. Au refte 
fcpt Villes fe difpatoient enfemble la 
gloire de la naiffance d'Homere, : 
Smyrne, Rhodes , Colophon, Sala- 
mine , Chios, Argos & Athenes: 
mais Smyrne avoit pour elle les plus 
fortes preuves,comme Strabon le té- 
moigne. Cér Autheur ajoüte qu'ils 
avoient un portique où étoit le Tem- 
ple & la figure d'Homere. Jay crá 
que c'étoit cette mafure à un mille 
de la Ville entre des Oliviers, que 
quelques-uns appellent le Temple de 
Janus. C’eft un petit portique,qui a 
l'entrée de deux cótez , au Midy & 
au Scptenttion , bâti de groffes pier- 
ces fans chaux. Du coté de l'Orient 


& des fept Ealifes. 309 
contre la muraille pouvoit être l'effi- 
gie dont parle Strabon ; & le Temple 
étoit en ce lieu-là méme , ou quel- 
qu'autre bâtiment joignant , que le 
tems a détuit. Neanmoins on m'a 
écrit depuis mon depart;qu'on a trou- 
vé depuis peu en creufant là proche, 
une ftatué de Ianus à deux faces,que 
M.le Conful de Venife Luppazzolo a 
achetée : ce qui confirmeroit l'opi- 
nion vulgaire, que c'étoit un Temple 
de ce Dieu. 

Tous ces autres beaux portiques 
dont cét Autheur fait mention , ne 
s'y voyent plus , & les rues n'y font 
plus à droite ligne,côme elles étoient 
anciennement, ayant été fix fois ter- 
riblement fecoüée par les tremble- 
mens de terre, Les Grecs du pays 
apprchendent le feptiéme , qu'ils di- 
fent devoir être fa ruine entiere. On 
voit encore à vingt ftades , comme 
Strabon le remarque,c’eft-à-dire en- 
viron à deux milles & demi en allant 
le long de la mer au Château qui eft 
à l'entrée du golfe, l'endroit où étoit 
la vieille Smyrne,où il refte quelques 
colonnes & fondemens fux le rivage. 


310 — Voyage du Levant, 

Pour ce qui eft des Infcriptions 
antiques,j'en trouvay quelques-unes 
affez remarquables dans le Cimetie- 
re des Armeniens, parce qu'il fe font 
fervis de ces marbres pour leurs 
tombeaux ; mais ils en ont quelque- 
fois effacé le Grec pour y gravet 
leurs Epitaphes en Armenien. Il y ἃ 
aux jardins d'Achmet Aga un cer- 
cueil de pierre avec une infcription, ! 
dans lequel on a trouvé depuis peu 
les os d'un Romain avec fon cafque, 
δὲ fes armes de cuivre , dont l'uíage 
étoit plus ancien pour la guerre que 
celuy du fer. 

Monfieur Ricaud Conful des An- 
glois nous fit mille civilitez, & vou- 
lut que nous mangeaffions fouvent M 
avec luy. C'eftun tres-galant hom-. ! 
me , fort aimé & refpecté de tousles M 
Francs. C'eft luy qui a écrit l'état de 
l'Empire Ottoman , & prefentcment 
il travaille à la centinuation de l'hi- 
ftoire Ottomané depuis Sultan Mou- 
rat, quc les Turcs n'ont jamais nom- 
mé Amurat, comme nous faifons. Il 
nous fit auffi voir un livre qu'il avoit 
avancé, ὃς qui traite de l'état prefent 


e des [ept Eolifes. — 3m 
de l'Eglife Greque. Il n'y a perfon- 
ne qui fe puiffe mieux acquiter que 
luy de femblables ouvrages. Il a été 
long-tems Secretaire de l'Ambaffade 
d'Angleterre (ous Monfieur le Com- 
te de Vvinchelfeay,& il (gait parfai- 
tement le Grec ancien & moderne,le 
Turc, le Latin , l'Itralien & le Fran- 
cois, outre l'Anglois qui eft fa Lan- 
| gue maternelle. Les droits du Con- 
fulat font tous à l'Ambaffadeur ,mais 
il a en fon particulier deux mille 
écus d'apointement dela Compagnie 
du Levant. 

Nous vimes auffi Monfieur Cham- 
bon , qui faifoit l'office de Monfieur 
. du Puy Conful pour les Frangois.On 

m'a affuré depuis,qu'on avoit obligé 
nos Confuls de fe tenir à leurs refi- 
dences de Confulat. Les Hollandois 
& les Venitiens ont auffi leurs Con- 
fuls à Smyrne , qui cft la meilleure 
échelle de negoce de tout le Levant, 
| particulierement pour les foyes de 

Perfe que les Armeniens apportent 
par terre jufqu'à Smyrne , où elles fe 
vendent de 58.à 40. piaftres le Bar. 
| qnan , qui fait environ & d'ordinaire 


312 Voyage dn Levant, 
dix livres & demi de nôtre poids; caf 
il y a de ces batmans de different 
poids. Les autres marchandifes que 
l'on y charge font des fils & toiles de 
coton de Magnefie , des camelots 
d'Angoura luftrez & tabifez plus 
beaux quela moire. La piece vaut 
40.0u $o.piaftres, & celle des rouges 
teints en cochenille va juíqu'à 6o. | 
bien qu'il n'y ait à chaque piece que . 
pour deux Veftes à la Türque. On y : 
charge aufli du tabac & de la fcam- 
monée,qui eft le fuc d’une plante qui ι 
croit aux environs de Smyrne , & M 
dont nous nous fervons dans la Me- 
decine. | 
Je recherchay particulierement à — 
Smyrne des medailles antiques, pour | 
apprendre quelques fingularitez du 
pays. Monfieur Falkner marchand 
Anglois curieux & fçavant m'en fit ἢ 
voir de fort belles , prefque toutes 
des Villes d’alentour de l'Ionie, de la 
Carie & de la Lydie, & m'en fit pre-. | 
fent de quelques-unes.Il m'en montra 
entr'autres une qui m'apprit l'origi- - 
ne du nom de Phocée, à qui Marfeil- 
le doit fa naiffance. C'eft une Ville # 


qui |l 


e des fept Eclifes. 313 
qui n'eft éloignée de Smyrne que de 
vingt milles, & méme il y en a deux 
voifines l'une de l'autre qui portent 
le nom de Foja vecchia,& Foja nova. 
La vieille étoit la fameufe ville de 
Phocée , & n'eft prefentement qu'un 
miferable village. Elle tiroit appa- 
| remment fon nom du mot de : boca, 
qui fignifie un veau marin, parce 
qul Ἢ pêche prés de là quantité de 
ce poiffon,& méme dans tout lc gol- 
fe de Smyrne. Le medaillon dont je 
viens de parler de l'Empercur Phi- 
lippe femble le confirmer par fon fe- 
vers , où il y a un chien qui eft aux 
prifes avec un de ces Phocas , & le 
mot £QKAIEON à l'entour , qui 
veut dire que c’eft une m:daille des 
Phoceens. L'Embleme eft difficile à 
Jenétrer , car pourquoy joindre un 
chien avec un poiffon , fi ce n'eft 
peut-être pour donner à entendre, 
que leur puiffance fur terre étoit éga- 
€ à leurs forces maritimes ; ou que 
eur fidelité à l'Empire Romain , & 
eur vigilance,dont le chien eft l'em- 
sleme,difpofoient leur Ville fignifiée 
"at ce poiffon;à tous lcs devoirs que 
Oo 


314 Voyage du Levant, 
demandoit une fi douce domination. 
Mais à dire vray,ces fortes d'enigmes 
-. font des nez de cire qu'on peut tour- 
* ner de quelque cote qu'on veut, ὃς il 
me fuffit d'avoir fait part aux curieux 
de cette remarque, pour leur en laif- | 
fer le jugement libre. 

Continuant de m'informer par 
tout de ces fortes de curiofitez , jen M 
achetay de differentes perfonnes af- 9 
fez avantageufement pour payer une 3 
partie des frais de mon voyage; car M 
à mon retour à Venife;j'y rencontray M 
Monfieur Patin , qui ne me quitta ἢ 
point que je ne luy en euffe vendu ἢ 
affez confiderablement , ne luy pou- ἢ 
vant tien rcfufer, comme à celuy qui 
a été mon maitre en matiere d’anti= 
quitez , lorfque j'érois à Strasbourg M 
avec luy. J'en accommoday les Ca- 3 
binets de quelques autres curieux des 
celles que j'avois doubles, & il m'en 
refta encore une centaine des plus] 
belles que je voulois au moins porter ἢ 
en France. Je ne defavoie point ce 
commerce , dont les honnêtes gens#l. 
ne font point difficulté de fe mêler, E 
de méme qu'un Gentilhomme ne fait 


Οὐ des fept Eglifes. 315 
pas de Ícrupule de troquer ou de ven- 
dre un cheval. C’eft par le grand 
nombre de medailles qui paffent par 
les mains qu'on fe peut rendre habi- 
le dans cette Science;& il eft prefque 
impoffible de le devenir autrement. 

Nous ne nous ennuyâmes point à 
Smyrne. C'eft une Ville de bonne 
compagnie , & de bonne chere , plus 
qu'aucune de tout le Levant. Il y a 
tout autour tres-bonne chafle d'ex- 
ccllent gibier,& entr'autres de Fran- 
colins , qui valent mieux que des 
perdrix. Cette Ville eft. bien peu- 
plée, & l'on tient qu'il y a plus de 
:30.mille Turcs,douze ou quinze mil- 
le Iuifs , & neuf ou dix mille Grecs 
qui n'y ont que deux Eglifes. Les 
Chrétiens y fouffrirent de grandes 

erfecntions dans les premiers fie- 
cles. S.Polycarpe y fut martyrifé, ὃς 
e Pafteur étant frapé;l'on n'épargna 
“pas le troupeau. Mais Dieu les a 
maintenus, comme il leur avoit pro- 
nis dans l'Apocalypfe. Ne eraignez. 
ien dit l'Efprit aux Fideles de Smyr- 
1e: le diable dans peu de temps mettra 
uelques-uns de ur | prifon,afin que 
4 


316 — Voyage du Levant, 
vous foyex éprouvez , (δ᾽ vous ferex, af- 
füigex pendant dix jours ; mais foyez fi- 
deles jufques à la mort, qj je vous don- 
neray la couronne de vie. ü 
Nous n'avions garde de demevrer 
un mois à Smyrne , fans aller voir - 
Epbefe qui n'en eft éloignée que d'u- 
ne journée & demi. Nous primes un | 
Trucheman Armenien pour y venir. 
avec nous, & nous fümes coucher à: 
quatre lieuës de Smyrne, à un villa- τ 
ce appellé Zzeaaci ; chez un Ianif- ; 
faire qui connoifloit les Anglois » CN 
avoit accoütumé de les mener àj 
Ephefe. Nous luy proposimes dej 
venir avec nous , & d'abord il en fit? 
difficulté, parce qu'il y avoit des vo- ἢ 
leurs en campagne , & il nous dit ἢ 
qu'ils étoient au nombre de dix-huit jJ, 
cavaliers Arabes. Il s'accorda ncan-], 
inoins de nous accompagner, fi nousj. 
voulions quiter le chemin ordinaire 
qui eft dans les rochers du Mont-] 
, Mimas ,. où il y a un paflige dans le 
roc,que les bonnes gens de ces quar-j 
tiers-Jà difent que S.Paul coupa aveel}, 
/ / . / 
- fon épée. L'endroit étant favorablelk 
aux voleurs, il ous reprefenta qu'il] 


D 2 e des [ρὲ Eclifes.… 317 
| étoit bien plus feur de paffer par la 
| plaine, quoyque le chemin foit plus 
long ; parce qu'au moins nous au- 
 rions l'avantage de les voir venir de 
loin,& de n’eftre pas furpris par der- 
iriere. Ayant donc confenti à ce qu'il 
voulut , & profitant de l'avis qu'il 
inous donnoit , nous partimes une 
/heure ou deux avant jour. Nous paf- 
'sàmes de grandes plaines; & la petite 
riviere Halis , qui alloit autrefois à 
Colophon. Nous n'y fentimes point 
une fraicheur fi extraordinaire que 
les anciens Naturaliftes le veulent 
erfuader. Sur les dix heures du ma- 
in nous vimes à droite & à gauche 
les ruines d'un ancien Aqueduc qui 
traverfoit nôtre chemin,& alloit vers 
un village appellé Tozrbalé;qui don- 
e quelques marques d'avoir été an- 
ciennement une place plus confidera- 
;le qu'elle n'eft prefentement, & qui 


€ 
7 


“τοῖς peut être la Ville appellée 24e-. 
ropolis, dont il femble que le nom de 
"ourbalé foit venu, fi ce n'eft plutôt 
"endroit dont nous parlerons bien- 
ôt. Enfuite nous trouvàmes durant: 
ine heute un grand chemin pavé de: 
O 35 


318 — Voyage du Levant, 
quartiers de pierre en plufieurs en- 
droits. C'étoit apparemment le che- 
min militaire qui alloit de Smyrne à 
Ephefe, & nous jugeámes par là que 
la Ville de Metropolis n'en devoit pas 
être loin, puifque nous étions à moi- 
tié chemin de ces deux Villes,mais un. 
peu plus prés d’Ephefe,côme Strabon: 
remarque qu'elle étoit fituée.Cepen- 2 
dant il n’y a plus de lieu qui porte ce 
nom,& nôtre Ianiífaire, ni nôtre Ar-M 
menien ne nous en fcórent dire au- 
cune nouvelle.L'heure du diner s'ap- 2 
prochant , nous ne voulümes pas. 
manger à la Turque , c'eft-à-dire en! 
marchant, comme ils font lors qu’ils’ 
font en voyage , ne s'arrétans point M 
depuis le matin jufqu’à la couchée : - 
mais nous mimes pied-à-terre , & | 
étalàmes nos provifions foüs un! 
grand Terebinthe prés d’un Cime- 
tiere , où nous fümes aprés le repas, 
chercher parmi les pierres, fi nous 
trouverions quelque chofe digne de: 
nôtre curiofité. Nous y vimes quan- 
tité de pieces de colonnes & de mar- 7. 
bres antiques, & un entr'autres,on il} 
y avoit encore quelque refte d'infcri- 


οὐ des [ept Eglifes. 119 
ption. Bien qu'elle ne nous apprit 
que le nom de celuy pour qui elle 
avoit été faite, elle nous ue ον au 
moins dans la penfée que c'étoit la 
veritable fituation de Metropolis;par 
le grand nombre de mafures & de de- 
bris que l'on voit autour ; & nous 
trouvàmes enfuite dans le champ 
proche de l'arbre fous lequel. nous 
avions mangé, deux ou trois voütes 
foûs terre, & quelques autres ruines. 
Il ne nous en falloit pas davantage 
pour nous perfuader la chofe ; & nó- 
tre Armenien s'informant de ce que 
nous cherchions,nous luy dimes que 
nous voulions juftifier s'il n'y avoit 
pas eu autrefois une villeen ce lieu- 
là. Il nous avoüa qu'en effet ceux du 
| village de Cabagea à un mille del'en- 
| droit où nous étions, affuroient qu'il 
y avoit eu là une Ville, & que méme 
le mot de Cabagea fignifioit en Turc 
une grande Ville, quoyque ce Villa- 
ὃς n'ait que quinze ou vingt mal= 
ons, ayant pü garder le nom de Vil- 
le, pour être voifin des ruines de cel- 
le-cy. Il n'y a peut-être pas méme 
fort long-tems qu'elle eft détruire, 

O 4 


320 γε du Levant, 
puifqul y a encore aux environs - 
quatre ou cinq grands Cimctieres 
Turcs, qui témoignent que ces quar- 
ticrs-là n'ont pas été fi depeuplez aux 
fiecles precedens qu'ils le font pre- 
fentement ; car nous ne rencontrá- 
mes pas jufqu'à Ephefe une feule 
maifon dans le grand chemin. Cette 
Ville étoit prefque au pied du mont 
Mimas , ayant une tres-belle vàe fur 
la piaine , & le Caiffre deux ou trois 
milles plus avant. Nous commengca- 
mes à voir cette riviere deux heures 
avant que d'arriver à Ephefe ; mais 
auparavant nous apperceümes fix ca- 
valiers , qui venoient du côté de la 
montagne , & marchoient à travers 
champ. Nous nous tinmes fur nos | 
gardes à cette vüc,nous doutant bien « 
que c'étoient des voleurs. Dés qu'ils 
nous eurent découverts , ils s'arréte- 
rent dans le chemin ; mais nous fans 
faire mine de les craindre, nous allá- 
mes nôtre pas ordinaire , tenant la 
main fur nos carabines. Nôtre Ianif- 
faire paffant le premier , ils luy de- 
manderent qui nous étions , & où 
nous allions. Luy voyant qu'il y 


τς € des (ρὲ Eglifes. .— 321 
avoit du danger de nous declarer des 
Francs,que l'on croit toájours en ces 
pays-là chargez d'or & d'argent, ré- 
pondit prudemment que nous étions 
de fes amis,& que nous allions nous 
promener à Ephefe. Ainfi aprés nous 
avoir confiderez un moment , & 
voyant que nous étions tous bien ar- 
mez, à lareferve de nótre Armenien 
qui n'avoit que fon fabre; comme ils 
n'avoient pas tous des armes à feu; 
ils crürent qu'il ne feroit pas bon fe 
jouerà nous , & que nous ne nous 
laifferions pas fi aifement dépoüiller 
que les pauvres Grecs du pays qu'ils 
venoient de piller aux environs. Ils 
nous quitterent donc ; & s'il en eut 
fallu venir aux mains;nótre Ianiffai- 
re fe feroit fans doute bien batu; car - 
d'ordinaire ces gens-là ne font pas 
fourbes , & l'on peut fe fier à eux 
quand on les a pris pour guides. Il 
avoir deux où trois piftolers à la 
ceinture , & de plus il avoit toute la 
- mine d’être brave. Celuy de ces vo- 
, leurs qui paroiffoit être le chef, étoic 
un Arabe de ceux qui courent d'un 
pays à l'autre , & n'ont d'autre pro- 

Om 


322 Voyage du Levant, 

feffion que de brigand. Quelqu'un 
nous dit aprés ; que le pere de notre 
Janiffaire avoit autrefois été de ce — 
nombre , & qu'apparemment ils fe 
connoiffoient, ce qui nous avoit fau- 
vé de leurs mains. Quoy quil en 
foit, Dieu nous en garentit, & il a un | 
foin particulier des voyageurs qui fe : 
confient en fa providence , puifque - 
fouvent même les precautions que 
nous prenons hümainement ne nous | 
fervent qu'à nous precipiter dans les M 
dangers; comme il arriva dans cette M 
zencontre;ayant quitté le grand che- # 
min , où nous croyions que ces vo- M 
leurs fe trouveroient , plutôt qu'en . 
l'autre que nous primes pour lesévi- | 
ter. Duc óté de l'Afie il n'y a prefque 4 
póint d'autres voleurs que des Ara- 
bes ; & du côté de la Grece , ce font M 
les Albanois qui courent les grands M 
chemins. Pour ce qui eft des Turcs, M 
on en trouve tres-peu qui faffent ce M 
métier-là , n'y ayant rien que leur ! 
Loy recommande tant que la chari- 
té, & cela eft peut-être canfe en par- 
tie, qu'ils ne E portent pas au vol&. 
au brigandage. A quoy il faut ajoà- 


c des fept Eolifes, 323 
cer qu'ils ne font pas miferables 
comme les Albanois & les Arabes, 
que leur extreme indigence reduit 
quelquefois à cette neccffité. 

Nous fuivimes pendant une heure 
& demie la petite riviere dont j'ay 
parlé , laquelle fait de grands con- 
tours, & va tellement en ferpentant, 
que cela a porté la Valle . du Loir & 
Monfieur de Monconis à la prendre 
pour le Meandre. Mais c'eft une er- 
reur, qui doit être corrigée. Ce que 
j'y trouve de plaifant, c'eft que com- 
me on la voit deux fois en allant à 
Ephefe,& qu'à caufe des tours qu'el- 
le fait, on la perd de vûe , lorfqu’on 
fuit le grand chemin , ὃς qu'eníuite 
on la paffe fur un Pont , quelques- 
uns ont οἵ avoir và deux rivieres 
differentes , appellant la premiere le 
Meandre, &lautre le Caïftre, Mais 
il eft certain qu'iln’y a qu'une riviere 
| dans cette plaine;que le Meandre eft 
à une journée & demi de là, & qu'il 
| fe décharge dans la mer proche des 
ruines de Milet ; Que celle-cy enfin 
eft le Caïftre, comme Strabon & les 
autres: Geographes anciens la nom- 


EPHE- 
SE. 


- femblables à Smyrne , qui me peu- 


324 Voyage du Levant, 

ment ; & pour plus ar ple confirma- 
tion de cela, on trouv des medailles 
de Valerian,de Gallien & de Saloni- 
nus avec ces mots au reyers ὁ E Φ E- 
ΣΙΩΝ KAYZLIPOr,;& la figure 
qui repréfente cette riviere de Kaÿ- 
f/ros,que les Ephefiens mettoient fur 
leurs monnoyes. T'en trouvay deux 


vent fervir de garant de ce que j'a- 
vance, Les Turcs donnent au Cay- 
ftre deux ou trois noms differens :. 
Carajon, c eft-3- dire Eau noire; Cour= 
chouk- Mindre,& Minderftare, petit 
Meandre ,ou Meandre noir, à caufe 
de la reffemblance qu'il a avec le ve- 
ritable Meandre , qu'ils appellent 
fimplement Mindre,ou Bojeuc- Min- | 
dre ,.le grand Meandre.. Au refte le 
Cayftre vient des montagnes de Ly- 
die,'& coule dans la plaine d'Ephefe, 
paffant à un mille de cette Ville vers 
le Couchant. | 
Nous atrivàmes deux heures avant 
lanuit à Ephefe , que les Turcs ap- 
pellent prefentement Ajafalone. Ἐς 
ne crois pas qu'il y ait de Ville ac 
monde qui ait de fi grands ὃς def 


' 


tie 


.& des fept Eclifés. 3:7 
triftes reftes de fon ancienne fplen- 
deur. On ne voit par tout que des 
monceaux de marbre , des murailles 
renveríées, des colonnes , des chapi- 
teaux & des pieces de ftarué entaf- 
{ées les unes fur les autres, avec des 
fragmens d'infcriptions qu'on y de- 
couvre en divers endroits ; & c'cft 
proprement d'Ephefe qu'on pourroit 
dire que ce n’eft plus que le cadavre 
d'une Ville, felon la penfée de Cice- 
ron en parlant de quelques Villes de 
Grece. La Fortereffe qui eft fur une 
eminence , eft apparemment un ou- 
vrage des Empereurs. Grecs. Sur la 
porte qui eff à l'Orient il y a trois 
bas reliefs, qui ont été tirez de quel- 
que ancien monument. Celuy du mi- 
lieu eft Romain , & mieux fait que 
les autres. Quelques-uns fe font f- 
gurez qu'il reprefentoit un martyre 
de Chrétiens , & à caufe de cela ont 
appellé ce portail, la Porte: dela per- 
fecution, D'autres fe perfuadent plu- 
tót qu'il reprefente la deftru&ion de 
Troye; ἃς He&or tire par le chariot 
-d'Achille. Mais il vaut mieux laiffer 
a chofe indecifé, jufqu’à ce qu'on en 
puifle avoir un deffein , où en confi- 


326 Voyage du Levant, 
derant bien chaque figure, on pour- 
roit juger de la chofe plus mes 
ment ; ce qui feroit affez mal-aifé à 
obtenir des Turcs , à la porte d'une 
Fortereffe. Dans la muraille fe voit 
enclavé par le dehors un autre bas 
relief d'une téte avec un ferpent d'un 
côté & un arc de l'autre, ce qui re- 
preséte cette Divinité que les Payens 
appelloient Proferpine dans les En- 
fers, qui eft marquée par le Serpent, 
la Lune dans le Ciel , qui eft expri- 
mée par cette téte , & Diane fur la 
terre , qui eft defignée par. cét arc. 
C'eft ces trois Divinitez qui felon 
leur Theologie n'en faifoient qu'une, 
qu'ils nommoient auffi Hecare trifor- 
mis , Hecate à trois vifages, & qu'on 
pourroit dire avec beaucoup d'appa- 
rence avoir été une ombre ou un 
crayon de la tres-fainte Trinité. 
Dans la place du Bazar, proche de 
la maifon , où l'on boit le café, il y a 
un ancien tombeau de marbre blanc, 
avec une infcription à demi effacée, 
& prés delà un chapiteau de méme 
étofe, qui a été creufé par les Chré- 
tiens pour fervir de Fonds de Ba- 
preme, | 


G des [ept Egliles. 327 

On voit en arrivant fur la gauche 
du grand chemin, des Aqueducs, qui 
portoient autrefois l'eau dans la Vil- 
le. Il en refte encore plufieurs arca- 
des fur pied , & ils étoient con- 
duits de fort loin. Il y a à cinq ou 
fix mille d'Ephefe une file de ces ar- 
cades fur pied , & l'on y lit une in- 
fcription à l'honneur de la Diane 
d'Epheíe, & des Empereurs Augufte 
& libere. C'eft fur le chemin d’E- 
phefe à Scala nova, 

Le lendemain nous montámes à 
| cheval pour aller voir les antiquitez 
| qui font au pied de la montagne du 
| côté du Temple de Diane. Nous en- 
trâmes d'abord dans une grote foüs 
le roc , que l’on tient être celle des 
fepc Dormans,qui fuyant la perfecu- 
tion de Diocletian, s'y endormirent, 
& ne s'évcillerent que deux cens ans. 
aprés , ne croyant pas à leur reveil 
| avoir dormi plus d'une nuit, Vous 
pouvez juger quelle fut leur furpri- 
fe , lorfque retournant à Ephefe , ils 
-ne reconnoifloient pius niles períon- 
nes, ni la monnoye,& n'entendoient 
prefque plus le langage , tout étant 
alors change, & tout le peuple de- 


328 Voyage du Levant, 

venu Chrètien. De peur qu'un fi 
long fommeil ne nous y prit, nous ert 
fortimes promtement, La pieté des 
anciens Chrétiens en avoit fait une 
Eglife ; & le roc étoit taillé en demi- 
cercle par devant,ce qui tient lieu de 
portique. Plus avant nous vimes ce 


qu'on appelle le Baptittere de Sean; | 
qui eft un grand vale peu profond. 
d'un beau marbre jafpé ; d'environ | 


quinze pieds de diametre,dans lequel 
il n'y a point d'apparence , comme 
plufieurs l'a(furent , que S.Iean l'E- 
vangelifte ait baptifé , les fonctions 


du Chriftianifme ne fe faifant pas - 
alors avec tant d’éclar,comme on les 


fait aujourd'huy. 


Prés de là il y a plufieurs colonnes M 
moitié debout , moitié couchées par 
terre , qui font apparemment auffi 2 


bien que ce vafe , les ruines de quel 
q q 
que temple Payen. 


Nous vimes enfuite un lieu affez 
approchant du Cirque Romain ; où 


du Stadium des Grecs,ou fe faifoient 


les courfes & les autres jeux qui P 
- étoient en ufage parmi les Payens ; 
& tout joignanr , un portail de mar- | 
bre, qui l'étoit peut-être de quelque 


a is lue 


@ des [cpt Eglifes. 119 
| Eglife. Il y a des infcriptions, & un 
| bas relief qu'on a enclavez dedans 

fans ordre, & fans deflein. Nous en 
Copiàmes ce que nous pümes; & al- 
| lámes enfuite chercher les mafures 
du Theatre d'Ephefe, dont il ne refte 
‘prefque rien. Il étoit un peu plus 
haut que le pied dela colline,& avoit 
la vàe fur le Temple de Diane; ce qui 
| étoit propre à émouvoir Ia fedition 
des Orfevres, qui faifoient de petits 
Temples d'argent,voyant que S.Paul 
préchoit la deftruétion des Temples 
, des Idoles , & qu'il leur reprefentoit 
| fortement que les ouvrages de la 
{ main des hommes n'étoient point des 
Dieux. La νῦξ de ce Temple fi fa- 
| meux dans toute l’Afie leut infpiroit 
Ja hardieffe de s'écrier pendant deux 
heures : Grande eff la Diane des Ephe- 
T fiers. 
1 Sur la cime d'une colline voifine 
4 eft un refte de Tour quarrée , qu'on 
appelle la prifon de S.Paul,d'oà nous 
| decouvrimes les merveilleux detours 
du Cayftre, & nous en tirâmes un 
crayon pour les conferer avec ceux 
du. Meandre , que M.le Docteur Pi- 
crelin nous avoit fournis, 


* - 


CSS 


C 


| Váz du Meandre proche de Milet. 331 


VA. 


PP 

v, 

F PA 
A ^ 


( 


332 . Voyage du Levant, 
Plufeurs Autheurs ont.parlé du 
Meandre, Dio Prufæus parlant de fes 
contours, dit qu’il en faiten toute fa 
courfe jufqu’à fix cent. Quelques 
autres remarquent. qu'il fait des let- 
tres Greques dans fon cours, comme 
eff-Givement on y peut aifément re- 
marquer dans le crayon que je vous 
donne le ££, le ela, ὃς le. Mais per- 
fonne n'a fait une fi belle defcription 
du Meandte qu'Ovide dans fes Me- 
tamorphofes. | 
Non fecus ac liquidis Phrygius Maan- 


der in undis 
Ludis @ ambigno laepfa vefimitque 
fuitque ,7 ΟΣ ἐρ’ 
Occurrénfque fibi venturas adfpicit 
undas : 


Et uunc ad fontes nunc ad mare verfus Ὁ 


apertum 

Incertas exercet aquas, &c. 
In rare deducit fe[fas erroribus undas, 

Pour ce qui cft du Temple de Dia- 
ne , il étoit au pied de la montagne 
qui eft à main-gauche de la plaine 
d'Ephefe en venant de Smyrne, dans 
un terroir humide & marécageux, ce 
qui fut caufe qu'on dépenfa plus aux 


Q des fept Felifes. 11. 

fondemens , qu'au refte du Temple: 
car on ayoit mis du charbon & de la 

laine entre les materiaux ordinaires, 
- comme Pline l'affure au 56.livre de 

fon Hiftoire naturelle. Nous entrá- 

mes dans ces fondemens par un petit 

efcalier pratiqué dans un pan de mu- 
. taille qui nous conduifit fous terre. 
| Nous avions chacun une bougie à la 
main , & un peloton de fifceile , de 
peur de nous égarer dans ce labyrin- 
| the ; car ς᾽ εἴ le nom qu'on donne à 

ce lieu-là ; & ces voûtes ont en effet 
quelque rapport à un labyrinthe, 
étant fort longues & entrecoupées 
d'autres voûtes , où l’on auroit de la 
peine à retrouver la fortie fans cefe- 
cours, Comme elles font fort baffes, 
nous paísàmes par tour , en partie à 
| genoux , en partie à quatre pieds , 
| croyant trouvcr quelque chofe digne 
| de nôtre curiofitéjmais nous ne trou- 
| vàmes que des chauvefouris qui fail- 
lirenc à nous crever les yeux. Je crûs 
| que cela pouvoit bien avoir fervi de 
citerne pour les ufages du Temple, 
| & méme nous remarquàmes deux de 
| ces voütes plus étroites que les au- 


334 Voyage du Levant, — 

tres , qui pouvoient être des Aque- 
ducs qui y portoient l'eau , & meme 
i| y en couloit encore affez. Nous 
voulümes fuivre une de ces voütes 
jufqu’au fond, mais nous fümescon- : 
traints de nous enreveniraprésavoir | 
avancé environ cent pas , à caufe de 
la boüe , dont nous cümces de la pei- 
ne à nous degager. : 

Etant fortis de ce lieu foüterrain, 

nous confiderámes fi parmi ces pans 
de murailles & les mafures qui re- 
ftent de ce fameux Temple , nous en 
poutrions comprendre le plan. Au- 
tant que j'en pus juger, je crois qu'il 4 
étoit quarré,& que la longueur l’em- . 
portoit le double fur la largeur. A || 
voir la place, & les medailles qui re- ὦ 
prefentent ce Temple,jene puis croi- 4} 
re qu'il ait été d’une autre figure. A 
quoy je dois ajoûrer ce que j'ay re- 


marqué dans Pline , que ce Temple ἢ 


avoit 425. pieds de long , & 220. de ! 
large. La face ou l'entrée étoit tour- | 
née du côté où eft maintenant le 
Château & le Village d'Ephefe. Les | 
murailles font de grandes pierres, & M 
dc la brique en cuclques endroits. 


e» des [ept Eclifes. — 35; 

On y remarque plu fieurs trous difpo- 
fez a droite ligne , ce qui me fit ju- 
ger que ce Temple étoit tout revétu 
de plaques de bronze ou d'autre me- 
tal , cramponées dans la pierre, Il y 
a parmi ces debris cinq ou fix colon- 
nes de marbre d’une feule piece cha- 
cune, qui ont 40.pieds de long & 
fept de diametre , ce qui femble ré- 
pondre aux proportions de l’ordre 
Dorique, Pline dit neanmoins qu'el- 
les avoient 6o.pieds de haut, & quil 
y en avoit juíqu'à 127. Ce Temple 
étoit dans fes commencemens affez 
mediocre, Enfuite on le bátit plus 
rand, & on le compta pour une des 
licor merveilles du monde , ce qui 
|pouffa un certain Heraroftrate dy 
mettre le feu, pour faire parler de 
luy dans tous les fiecies avenir. Les 
Grecs pour excufcr la negligence de 
leur Diane qui ne detourna pas cét 
incendie, difent qu’elle étoit ce jour-. 
là occupée à fervir de Sage-femme à 
Olympia, qui accoucha d'Alexandre 
le Grand. Ce grand Prince auffi gc- 
nereux que vaillant fe voyant au plus 
haut point de fa fortune , s'offrit de 


355. Voyage du Levazt , 
le faire rebárir à fes dépens , pourvü 
qu'on y mit fon nom fur le frontifpi- 
ce : mais les Ephefiens trop Ícrupu- 
leux s’en defirent galammeñr,& d'u- 
ne maniere dont il ne pouvoit pas fe 
choquer,luy reprefentát qu'il n'étoit 
pas jufte qu'un Dieu comme luy de- 
ἀϊᾶτ un Temple à une autre Divinité. 
Au refte il n’y a plus perfonne à # 
Ephefe , capable d'entendre les Epi- M 
tres de S.Paul , qu’il leur a autrefois ἢ 
écrites. Il n'y a aucun Chréden dans ἢ 
le Village , & leur principale Eglife 1 


dediée à S. lean a été convertie en ἢ 


Mofquée,depuis que les Turcs fe font 
rendus maîtres du pays. Celuy qui: 
en avoit les clefs eut bien dela peine! 
à nous y laiffer entrer ; carcn cette: 


matiere-là,l’on eft plus fcrupuleux en. ἢ 


Natolie qu'à Conftantinople. Ils di- 
fent que nous polluons leurs Mof- 

uées en y entrant; mais on a trou- 
vé le fecret de leur lever ce fcrupule! 
avec de l'argent, Ce Turc vouloit: 
que Monfieur Vvheler & moy luy M 
donnaffions chacun une piaftre ; car ἢ 
ils s'imaginent que les piaftres & les 3 
ducats ne coütent rien aux Francs,& 


qu'ils 31 


G des (ρὲ Ealifes. 337 
qu'ils en font tous chargez. Notre 
Armenien fit en forte qu'il fe con- 
renta d'une demi-piaftre pour Mon- 
fieur Vvheler , fans rien prendre de 
moy ,l'ayant affuré que je n'étois que 
lEcrivain de ce Gentilhomme , ce 
qu'il devoit croire , puifqu'il me 
voyoit la plume & le papier à la 
main. Nous approuvàmes fon ad- 
dreffe à épargner nôtre bourfe, ὃς 
nous en rimes enfemble, ne pouvant 
luy en fgavoir mauvais gré. Il y a 
dans cette Mofquée quatre grardes 
colonnes de marbre granite , & non 
pas de pierre fondue, comme quet- 
ues-uns de nos voyageurs l’affurenc 
dans leurs relations.Ie ne fçais com- 
nent on eft entété. de cette forte de 
picrre imaginaire , comme fi les car- 
ieres n'avoient pas d’aflez grandes 
reines pour en tirer de ces grandes 

lonnes d'une feule piece. On cft 
1ifatué en plufteurs endroits,& par- 
iculierement à Lyon de ces preten- 
ués pierres fondués, dont l'on veut 
lue foient compofées quatre colon- 
tes de l'Eglife d'Enay. Je me fuis 
tonné que Monficur dc Monconis, 

P 


333 Voyage du Levant, 
tres- habile homme d’ailleurs ait au- 
torifé cette erreur dans fes Memoi- 
res. On fuppofe que c'eft un fecret 
perdu ; mais il faudroit montrer au- 
paravant,qu'il a été trouvé. Ie vous 
donneray encore, s'il vous plait , là 
deffus , une remarque. Il y avoit à 
Geneve unecroix de pierre extreme- 
ment haute , au niveau de la façade | 
de S.Pierre. On tient qu'elle étoit 
toute d'une piece de cette pierre fon- 
duëé,& qu'elle fut abbatue d'un coup | 
de foudre. Jay fouvent confideré les | 
pieces de cette croix , & je tombe! 
dans le fentiment d'un de mes amis, | 
qui les a aufli obfervées exactement. | 
Il tient donc qu’elle étoit compofée ] 
de petites pierres rondes enchaffées. 
dans un cimét tres-fort jetté au mou-. 
le; ce qui fait enfuite un corpsauffi 
dur que s'il étoit tout d'une pierre. 
En effet il eft certain que le ciment]. 
dont les Anciens fe fervoient, étoit) 
d'une extreme dureté ; ce qu'on re | 
connoit par les demolitions anti- ἢ 
ques,qui font prefque impenetrables f, 
au fer & au feu. 4 

Mais revenons à nôtre Mofquée,! 


C des [ept Edlifes. 339 
‘qui n'a rien autre chofe de confide- 
rable que ces colonnes,qui font d’or. 
dre Compofite; & à la cour qui eft δὰ 
devant , que quelques fragmens de 
chapiteaux & de colonnes , qui de 
méme que preíque tous les materiaux 
| de la Mofquée,font d'un marbre tres- 
beau & tres-folide. 
| Nous laifsàmes enfin Ephefe avec 
une ferieufe confideration du juge- 
[ment de Dieu fur cette Ville,dequoy 
Hesus-CHrisT lavoit menacée 
par ces paroles de l'Apocalypfe:Soz- 
]uenez-vow de létat dont vous etes de- 
be , faites-en penitence , @ rentrez 
]dans la pratique de vos premieres œu- 
Ures. Que fi «ous y manques , je vien- 
]ray bien-t0t ἃ vous , € j'oteray votre 
cpcbandelier de fon lieu , fi vous ne vous 

"epentez.. 

. Comme nous fümes occupez tout 
Le matin à voir ces curiofitez , nous 
ie pámes partir que fur le midy,& la 
uit nous furprenant avant que de 
euvoir arriver à Iamovaci, où nous 
ivions pris nôtre Ianiffaire,nous per- - 
limes le chemin dans la plainc;fans 
€ pouvoir retrouver , quoyque nous 
PU 


340 . Voyage du Levant, 
euffions allumé du feu pour le cher- 
cher. Nous nous étions bien doutez 
qu'il nous faudroit marcher deux 
heures de nuit, mais nôtre Ianiffaire 
fe vantoit de fcavoir bien le chemin, 
& qu'il étoit impoflible qu'il le man- 
quát. Nous étions méme bien aifes 
de profiter de l’obfcurité,pour éviter! 
Ja rencontre des voleurs, qui fontaf-: 
fez frequens. en ces quartiers - à. 
Ainfi nous fümes contraints de paíf- 
fer la nuit en pleine campagne , fans] 
trouver le moindre abry , & ayant, 
toute la nuit une pluye froide fur le] 
dos. Nous primes cette diferace avec] 
patience, & ayant mis le feu à quel= 
ques broffailles , nous nous rechaus 
fámes un peu au dedans avec un 
bouteille de vin de Smyrne qui nous 
cftoit. Nous entendimes affez long- 
tems hurler autour de nous de cet 
animaux appellez Zachalia , qui ont 
Ja voix femblable à celle d'un hontl! 
me, & ayant un peu fommeillé dans 
nos capots , nous nous levàmes à] 
pointe du jour pour nous aller repos 
fer un peu plus à nôtre aife chez nà 
tre Iauiffaire,qui nous donna un am 


€ des {ept Eclifes. 341 
ple dejeuner. Nous avions admiré le 
{oir precedent fa patience & fa mo- 
deration , cat il ne profera jamais le 
moindre mot de colere fur nôtre £i- 
cheufe avanture,comme des gens de 
fa forte feroient parmi nous, & quoy 
| que fa foif dàt égaler la nôtre , il ne 
|| voulut jamais boire du vin,toute au- 
| tre boiffon nous manquant alors. Ie 
| luy reprefentay inutilement que la 
neceffité n'avoit point de loy , qu'il 
Jpourroit fe rendre malade , ἃς que 
ἡ comme Médecin de profeffion je luy 
] confcillois de prendre un peu de vin 
] pour fe foütenirle cœur.ll me répon- 
| dit en fon langage, Hekim Beuum bir 
D Allah, c'eft-à-dire ; Diez fera mon 
LMedecin, & il n'y eut jamais moyen 
de vaincre fon opiniátreté dans cette 
rencontre. Vne fi ferme refolution 
Ide ne point boire de vin ne venoit 
toutefois pas tant du fcrupule de pe- 
cher contre la Loy , qu«:d'un. acci- 

dent qui luy étoit arrivé depuis peu. 
Il avoit toûjours fa cave fournie du 
eilleur vin du pays , & commeil 
éroit un jour en débauche avec trois 
urcs de fes amis;il les mena-au pied 


P^ 


342 Voyage du Levant, 

des tonneaux pour faire choix de ce- 
luy qu'ils voudroient. Ils y burent fi 
bien,queles fumées du vin leur étant 
montées au cerveau , ils s'entretin- 
tent d'une fille bien faite deleur Vil- 
lage; qu'ils concerterent d'aller voir; | 
ce qu'ils firent auffi-tót,entrant dans 
la maifon malgré toute la refiftance | 
que l'on leur fix. Cette fille les regót | 
avec plus de fierté qu'ils ne fe lé- ] 
toient imaginez,& voyantqu'ils n'a- | 
vangoient rien par la douceur , ils | 
voulurent en venir à la force. Mais] 
ils trouverétà qui parler ; car la fille] 
s'étant fifie d'un poignard , elle ει} 
coucha un d'abord fur le carreau, ἃς ἢ 
les autres épouvantez de la mort de] 
leur camarade fe fauverent prompte- | 
ment. Cependant elle ne laiffa pas | 
de porter le lendemain fes plaintes à] 
la juftice. On fit venir ceux qui a- 
voient voulu ufer de violence contre] 
elle , & comme le Cady eut appris] 
qu'ils étoieñt yvres lorfqu'ils en vin 
rent à cét excés,il fe contenta de leur" 
faire donner quelques baftonnades,! 
& de les condamner chacun à uneïl 


amende. Nôtre Laniffare du depiti 


] 


[ 


@ des fept Eclifes. 343 
qu'il eut de la fottife qu'il avoit fai- 
te, & du châtiment qui l'avoit fui- 
vi, fut auffi-tót à fa cave , & pour 
laver l'affront que le vin luy avoit 
caufé , enfonça tous fes ronneaux & 
épancha tout fon vin,faifant un vœu 
| particulier de n'en jamais boire.Auf- 
fi les Turcs ne fgauroient prefque 
boire de vin, qu'ils n'en viennent 
d'abord à l'excés & à la brutalité. 

Etant de retour à Smyrne , nous 
nous informàmes des autres Eglifes 
de l’Apocalypfe que nous n'avions 
pas vûés. Monfieur le Conful An- 
glois & Monfieur le Doéteur Picre- 
lin nous communiquerent les me- 
|moires qu'ils en avoient, & les in- 
fcriptions qu'ils y trouverent en un 
| voyage qu'ils y avoient fait depuis 
cinq ou fix ans. 

PERGAME eft encore connue 
par les Turcs & par les Grecs foûs le 
nom de Pergamo.Cette Ville cft à 34, 
| milles de Smyrne, & à 20.de Thya- 
tire , affife au pied d'une montagne 
qu'elle a au Notd , dans une belle 
plaine fertile en grains, où paffentle 
Juan ὃς le Cacus , qui fe déchar- 

P'4 


PER- 
GAME, 


344  Voytge du Levant, 

ent dans la riviere d'Hermws. À 
côté de la Ville palfe la petite rivie- 
re , ou plutôt le ruiffeau rapide ap- 
pellé anciennement Selinus,qui court 
au Sad-Sud-eft,& fe va rendre dans 
le Caicus. De l’autre coté du Seli- 
nus il y a une belle Eolife qui portoit 
le nom de Sainte Sophie, convertie 
prefentement en Mofquée. Dans le 
quartier Oriental de la Ville on voit 
les ruines d'un Palais , qui étoit 
peut-être la demeure des Roys du 
pays ; car c'eft à Pergame que fai- 
foient leur refidenceles Roys Eume- 
nes & Attalus , dont il eft fouvent | 
parlé dans l’hiftoire Romaine, De : 
toutes les colonnes qui enrichifloiét | 
cét edifice , il n'y en refte que cinq | 
belles de marbre poli , hautes feule- | 
ment de 21.pieds, & l'on en voit en- 
core quelques-unes de l'autre cóté | 
de la ruë. Vers la partie Meridionale 
de la Ville, il y a aux deux côtez du | 
grand chemin deux petites collines | 
artificielles, fur lefquelles il y avoit : 
deux petits Forts pour garder l'en- | 
trée de la Ville, & au Levantil y en 
avoit deux autres femblables. On! 


e des [ρὲ Egliles. 345 
voit prés de là un grand vafe de mar- 
bre de vingt & un pieds de tour,gra- 
vé d'un bas relief d'hommes à che- 
val, fort bien travaillé. Le long de 
la montagne vers le Sud-oueft fe 
voyent les ruines d'un Aqueduc, qui 
a encore fix arcades fur un ruiffeau; 
& au Midy de ces arcadesil y en a 
fix autres avec de grandes voûtes 
que les Turcs appellent Kzffray. De 
Fa en tirant encore plus vers le Sud 
on trouve les ruines d’un théatre fur 
le panchant de la colline,d'oà la vàé 
eft tres- belle fur la plaine. 

Les Chrétiens de Pergame fonten 
pauvre état. Leur Eglife Cathedrale 
de S.Iean qui eft à 'Orient;eft entie- 
rement tuinée.Elle a $6.pas de long; 
& 32.delarge. Les Turcs ont pris les 
pieces des colonnes qui étoient à la 
nef,pour mettre fur leurs tombeaux, 
mais le corps du bâtiment n'étoit 
que de brique. La Ville eft peuplée 
| de deux ou trois mille Turcs ; mais il 

n'y a que douze ou quinze familles 
|miferables de Chrèriens Grecs qui 
| cultivent la terre. El leur refte une 
| -Eglife dediée à S. Theodore Evéque 

Pg 


LAODI- 
CEE. 


foit nomméc par les Turcs Nove- 


346 Voyage du Levant , 
de Smyrne , fous le Diocefe duquel 
ils font compris. Dieu les a encore 
confervez , parceque felon le témoi- | 
gnage de celuy qui parle dans l'Apo- 
calypfe: /4s voient confervé fon nom, 
οὐ n'avoient point renoncé la Foy , lors 
méme qu'Antipas fon témoin fidele 
avoit fouffert le martyre parmy eux. 
LAODICEE eft appellée par les 
Turcs du voifinage Eskshiffar , c'eft- 
à-dire,vieuxChateauzaufli eft-ce une 
Ville entierement rafée , & il n’y ἃ 
prefentement qu'un Moulin fans au- 
tre habitation. La Ville de Coloffe à | 
qui S.Paul addr.ffe une Epitre n'en 
eft éloignée que de 21.milles , & les 
Grecs l'appcllét Chonos. Ferrari dans. 
Íon Di&ionaire veut que Laodicée 
s'appelle encore Laudichia,& qu'elle. 


Lefche ajoûtant qu'elle jouit encore] 
du titre d'Azchevéché. Mis il faut, ἢ 
ou qu'il ait écrit fur de faux memoi.- | 
res, ou que cette Ville ait achcvé de | 
fe ruiner & de perdre fon nom de-.- 
puis cc tems-là. El cft vray qu'il y en 
a pluficurs qui fe font trompez de 


prendre le Bourg de Laozik ;, proche: | 


e des fept Eolifes. 147 
d’Angoura pour Laodicée;à caufe de 
la reffemblance de nom. Ce qui refte 
de plus beau à Eskihiffar font quatre 
theatres de marbre auffi polis & auf- 
fi entiers que s'ils avoient été bâtis 
depuis peu. Proche d'un de ces thea- 
tre on lit une infcription Greque à 
-Fhonneur de l'Empereur Tite-Vefpa- 
fian. Elle a au Nord-eft la riviere 
Lycus qui fe perd dans le Meandre, 
ce qui la diftinguoit de quelques au- 
tres Villes du même nom ; car on 
l'appelloit Laodicée proche le Ly- 
cus, Cette riviere eft la méme que 
Tite-Live appelle Marfvas , du nom 
du Satyre Marfyas qu' Apollon écor- 
cha tout vif pour avoir eu la temeri- 
té de luy difputer la gloire de bien 
chanter. Quinte-Curfe nous donne 
une defcription exa&e & tres-belle 
de ce fleuve, & remarque que fa four- 
ce eft au (ommet d’une montagne, 
d’où il tombe fur un roc avec grand 
À bruit,& que venant à s'épandre dans 
la plaine , il arrofe les campagnes 
À voilines , confervant fes eaux toû- 
(jours claires fans les méler avec 
| d'auzes, Et parce qu'il reffemble en 


SARDES. - 


548 Voyage du Levant, 
couleur à ia mer quand elle eft cal- 
me, les Poétes , dit cét Autheur, ont 
pris de là occafion de feindre que les 
Nymphes éprifes de fon amour fai- 
foicnt leur demeure en ce rocher. Il: 
ajoüte que jufques dans l'enceinte 
des murailles de Celenes il garde fon 
nom de Marfyas ; mais qu'au fortir- | 
des ramparts,comme il s'enfle,& de- | 
vient impetueux , il change de nom, : 
& qu'on l'appelle Lycus. 

On ne four ce qu'eft devenu l'E-. 
glife Chrétienne, qui étoit autrefois | 
à Laodicée,& la menace de celuy qui j 
eft la Verité même ; n'a pas manqué 3 
d'avoir fon effet. le/catm quelles font « 
Vos œuvres, que vous n'êtes ui froid, ni | 
chaud ; mais parceque vous. êtes tiedes 4 
je fus prét de vous vomir de ma: 
bouche. 1 | 
SARDES appellee aujourd’huy # 
Sardo eft au pied du fameux Mont- | 
T molus, ayant au Nord une grande M 
plaine arrofée de quantité de ruif- 
(eaux,qui fortent en partie d'une col- 
line voifine au Sud-eft-de la Ville, Sc 
en partie du Tmolus. Le Pa&ole forrM 
de la même montagne à l'Orient ; Sc 


e des (ρὲ Ealifes. 340 
perd fon nom dans l'Hermus qui paf- 
| fe prés de Magnefie. Sardes.a été an- 
ciennement le fiege du Roy Crefus, 
le plus riche Prince de fon fiecle. 
| Tout y étoit riche & fuperbe , mais 
elle eft prefentement zeduite à un 
pauvre Village qui n'a que de che- 
| tives cabanes , mais où il y a pour- 
| tant un grand Kan bâti à la ma- 
| niere des autres Kans de Turquie, 
|. & où les Voyageurs font cómodc- 
 mentlogez. C’eft le grand paffage 
des Caravanes qui vont de Smyrne 
à Alep & en Perfe. Elle n’eft pref- 
| que habitée que de Bergers qui 
| vont mener leurs troupeaux dans les 
| beaux pâturages de la plaine voi- 
| fine. On voit à l'Orient de la Ville 


| 


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d'une grande Eglife. Au Midy & au 
Nord il y a aufli des ruines confide- 
rables de quelque ancien Palais;mais 
au fond ce ne font que des ruines; 
Les Turcs y ont une Mofquée qui 
étoit une Eglife de Chrêtiens , à la 
porte de laquelle il y a plufieurs co- 
lonnes de marbre poli. Il s’y trouve 
quelques Chrétiens ; qui s'occupent 


PHILA- 
DELFE. 


350 Voyage du Levant, 
la plüpart au jardinage, ὃς qui n’ont 
ni Prêtre , ni Egclife. Aufñile Fils de 
Dieu dans la revelation de 5. Iean 
reproche à ceux de Sardes, Qu'ils 
avoient la reputatiou d'etre vivans 5 c 
qu ils étoient morts. — Soyez, vigilans , 
ajoüte-t-il, c faites peniteuce ; car fi 
vous ne veslleX , je viendray à vous 
comme le larron, @ vous ne [çaureX à 
quelle heure je viendray. | 
PHILADELPHE n'eft qu'à 27. 
milles de Sardes vers le Sud-eft , au 
ied du méme Tmolus , d’où la vàé 
eft tres belle fur la plaine.Les Grecs 
luy confervent fon ancien nom,mais 
les Turcs qui les broüillent tous ; 
l'appellent A//4h-fcheyr , comme qui 
diroit , /a Ville-de- Dieu,  Lorfqu'ils 
vinrent s'emparer du pays , les habi- 
tans fe batirent & fe defendirent vi- 
goureufement. Les Turcs pour leur 
donner de la terreur s'aviferent de 
faire un retranchement par une mu- 
raille toute d'os de morts liez en- 
femble avec dela chaux. Monfieur 
le Conful Ricaud m'en fit voir une 
piece qui étoit affez folide , & qu'il 
avoit eu la curio(ué d'apporter du 


d des fept Ealifes. — 351 
lieu où il s'en trouve quelque refte, 
Ils furent forcez de fe rendre , mais 
ils firent leur Capitulation plus dou- 
ce que leurs voifins. On leur laiffa 
quatre Eglifes qu'ils ont encore, Pa- 
nagia , S.George , S. Theodore & S. 
Taxiarque , qui eft le méme que S. 
Michel. Il y a dans Philadelphe fept 
| ou huit mille habirans,entre lefquels. 
| on peut conter deux mille Chrétiés ; 
ce qui nous fait voir l’accomplifle- 
ment merveilleux de la prophetie de 
l'Apocalypfe : Je (ρα quelles font vos 
œuvres. le riens la porte ouverte de. 
vant vous , @ per[onne ne la peut fer- 
mer, parce qu'encore que VONs ayez. peu 
de force , vous avez neanmoins gardé 
ma parole, n'avez point renoncé mor 
nom. Parceque vous ave? gardé la pa- 
tience qui vous efl ordonnée par ma pa- 
role , je vous carderay auffi de l'heure 
de la tentation qui viendra fur tout = 
| mavers, pour éprouver ceux qui babi- 
sent fur la terre. ι 

Que pourroit-on fouhaiter de plus. 
formel pour marquer la venue du 
"Eurclcnnemi juré du Chriftianifme.. 
& qui femble n'avoir été envoyé que 


352 Voyage du Levant , 

pour la punition de nos crimes , & 
pour diftinguer les veritables fideles 
d'avec les faux Chrétiens» Maisil ne 
faut pas feulement parler des Turcs, 
il faut parler en general de tous les 
Mahometans , qui occupent plus de 
la moitié de nótre grand Continent, 
& font répandus non feulement dans 
tout l'Empire Ottoman, mais encore 
dans toute la Perfe & toute la Tar- 
tarie , dans une partie des Indes , & 
dans toutes les cótes de l'Afrique qui 
regardent nôtre Europe. Quelle pro- 
digieufe étendué de pays n'occupe 
pas le feul Grand Seigneur? & πὲ 
faut-il pas des crois mois entiers pour 
traverfer fon Empire ? Combien de 
Royaumes n'a pas affujeti /a Ville à 
“ρει collines ,c qui domine fur les eaux? 
Η n’y en a point au monde à qui ces 
paroles fe puiffent mieux appliquer | 
qu'à Conftantinople. Elle a fept col- 
lines , fur chacune defquelles il y a. 
une Mofquée Royale, où il fe pro- 
fere tous les jours des blafphernes. 
contre Izsus-Cun 15r. Et à prendre 
méme la chofe àla lettre;elle domine 


fur les eaux, érant la clef de Archi" 


e des [ept Ealifes. 353 
pel, de la Mer blanche , & du Pont- 
Euxin. Je ne nie pas que cela ne fe 
puifle auífi attribuer aux Empereurs 
Romains , qui ont long-tems perfe- 
cuté l'Eglife naiffante , jufqu'à ce 
qu'elle eut furmonté toutes ces tra- 
verfes, & que le diable fut enchaîné 
pour mille ans. Ceterme expiré il eft 
forti à la faveur des terribles armées 
des Ottomans , qui depuis trois cens 
ans , c'eft-à-dire , environ mille ans 
aprés les derniers abois du Paganif- 
me,s'acrurent prodigieufemét,& oc- 
cuperent unegrande partie de l'Afie, 
de l'Afrique & de l'Europe:car avant 
ce tems-là la loy de Mahomet n'étoit 
prefque pas connué dans l’Europe,ni 
dans une grande partie de l’Afie.Leur 
nombre , ajoüte l'Oracle de l'Apoca- 
lypfe ch.zo. égalera celuy du fable de 
la mer. le les vids fe répandre fiv la 
terre, environner le camp des Saints, 
€ la Ville cherie de Dieu.  C'eft la 


| Ville de Ierufalem , dont ils fe font 


rendus maîtres depuis long-temps. 
Voilà ce qui eft déja arrivé, voicy ce 
qui refte , dont nous devons prier 
Dieu d'acourcir le terme. Aus 1 def 


354 Voyage du Levant, | 
cendit du Ciel un feu envoyé de Dien 
qui les devora , e$ le diable qui les fe- 
duifoit , fut jetté dans l'étang de fen c£ 
de foufre, on la bete ci le faux Prophete 
féront taurmenies jour @ nuit aux fie- 
cles des fiecles. Y! y a apparence que 
les anciens Prophetes des Iuifs n'ont 
pas porté leurs regards juíqu'aux 
evenemens de ces derniers fiecles. 
Mais ne diroit-on pas neantmoins 
qu'Habacuc a ME, 22 les Turcs 
dans cette belle Prophetie touchant 
les Chaidéens , dont ils font en par- 
tie defcendus , & dont ils ont herité 
les moeurs ? Le feray , dit VEfprit de ! 
Dieu par la bouche du Prophete, we | 
œuvre de votre temps que vous ne croi | 
vex point, quand on vous en fera le re- Ὁ 
cit. Car voicy je n'en vais fufcirer les | 
Chaldéens,qui font une N ation violen- 
te C étourdie , qui marchera à travers 
les pays pour pofféder les T abernacles 
qui ne font pas a eux. Elle eff furieufe 
Οὔ terrible. Toute [on autorité, ci tout | 
fon gouvernement viendront d'elle-mé- * 
me. Ses chevaux font plus legers que : 
les Leopards, @ ont meilleure vie que | 
des Lynx. Ses gens de cheval fe répans « 
ἢ 


e des fept Eali[es. — 385 
dront ça c là , c fes cavaliers vien- 
dront de loin, Ils voleront comme uae 
Aigle qui fond fur quelque proye. Elle 
ne*uiendra que pour commettre des vio- 
lences, ils raviront tout comme nn vent 
d'Orient, feront des prifonnievs come 
me du [ablon. Elle fe moque des Roys, 
C méprifeles Princes. Elle fé vit de 
| toutes les Fortereffes,ci avec de fimples 
terra[fes elle s’en rendra máitrefe, X 
me femble qu'il ne fe peut rien de 
plus expreffif pour depeindre lor- 
gueil des Turcs & leur tyrannie, la 
legereté de leurs chevaux, ὃς la faci- 
lité qu'ils one de prendre des Places, 
| Les Grecs qui gemiffent fous lcurs 
fers , reconnoïtroient encore mieux 
| cela que nous. Ils s'étonnent que les 
Princes de l'Europe étant tous Chrè- 
. tiens , n'uniffent enfemble leurs in- 
| terefts & leurs forces contre l'enne- 
| mi declaré du Chriftianifme, au lieu 
de le laiffer avancer peu à peu fur 
leurs frontieres. Il n’y a plus que la 
largeur du Golfe de Venife entre la 
Turquie & l'Italie , & tous les jours 
ils viennent faire des efclaves dans 
celle-cy. De tous les Princes de la 


^N 


3566 Voyage du Levañt, 
Chrétienté , il n’y en a point que le 
Turc craignetant quele Grand Czar 
de Mofcovie , car il peut mettre. de 
grandes armées fur pied, & entrer 
aifément dans les terres du Grand 
Seigneur ; mais ce qui luy donneroit 
l'avantage fur tous les autres , c'cft 
qu'il n'y a aucun Monarque de la 
R-ligion Greque que luy , & fans 
doute que les Grecs feroient ravis de 
paffer fous fa domination,& qu'ils fe 
declareroient en fa faveur, quand ils 
le verroient entrer dans la Turquie 
avec une puiffante armée. Auffi ay- 
je oüi dire à quelques Grecs,entr'au- 
tres au fieur Manno. Mannea mar- 
chand de la ville d'Arta,homme d'e- 
fprit & d'étude pour le pays ; qu'il y 
avoit une Prophetie parmi eux , qui 
portoit que l'Empire du Turc devoit 
être détruit par une Nation Chr»foge- 
nos, c'eft-à-dire blonde , ce qui ne 
peut s'attribuer qu'aux Mofcovites 
qui font prefque tous blonds. 

Mais avant que de quitter ce pays- 
là , il faut vous dire quelques parti- 
cularitez des Villes voifines des fept 


Eglifes. 


^ — οὖν des {ρὲ Eglifes. 357 

HIERAPOLIS eft une Ville en- 
tierement deferte , & les Turcs ap- 
pellent fes ruines Barrhouk-kale,c’eft- 
à dire Tour de coton , à caufe des ro- 
chers blancs qui font aux environs. 
Elle cft au pied d'une haute colline, 
qui a au Midy une plaine de cinq 
mille de largeur,& prefque vis-à-vis 
de Laodicée. Le Lycus paffe entre 
l'une & l'autre, mais plus proche de 
Hierapolis. On y voit une fi grande 
quantité de ruines de Temples an- 
ciens,& tant de belles fources d'eaux 
minerales propres à guerir des mala- 
dies , qu'il ne faut pas s'étonner que 
les Anciens luy ayent donné le nom 
| de Hierapolis, c'cft-à-dire V7//e Sain- 
| 16. On y remarque entrautres un 
fort beau bain de marbre blanc enri- 
chi tout autour de colonnes qui font 
tombées dedans. Delà l'eau fe diftri- 
buë en divers canaux , & fe répan- 
dant quelquefois hors des bords,for- 
me une croüte de terre blancheitre, 
dont la fuperficie reflemble à la cou- 
leur de Topale. Ces eaux étoient 
auffi renommées pour les teintures, 
& l'on y trouve encore une infcri- 


HIERA- 
POLIS. 


MILET. 


1.39 Voyage du Levant, 
prion Greque dreffée par le Corps 
des Teinturiers. Il y refte aufli un 
grand Theatre de marbre à quarante 
degrez , qui merite d’être confidere, 
& dans le portail duquel fe lit une 
infcription à Apollon furnommé Ar- 
chesetes. ATINAAONI  APXHTHTEI, 
MILET n'a eu guere moins de re- j| 
nom que la Ville d'Ephefe, & fa de- | 
ftinée n'a pas été plus favorable dans 
ces derniers fiecles. Car cen'eft plus 
qu'un amas confus de belles mafu- 4 
res, parmi lefquelles il y a quelques « 
cabanes de Bergers. Palar/chia eft le | 
nom qu'on luy donne prefentement, M 
à caufe des ruines de Palais & de “ 
marbres qui s'y trouvent: Tous nos M 
Geographes modernes fe font égarez 
dans ce pays-là , ayant pris la Ville 
de M:laffo , qui eft deux journées | 
plus loin que Palatfchia , pour l'an- M 
cien Milet, à caufe de la reffemblan- 
ce du nom; au lieu que Melaffo,com- 
me je montreray dás la fuite eft l’an- | 
cienne Ville de Mylafa. Les Anelois 
de Smyrne découvrirent que la Ville - 
de Milet,ou Milefium étoit ce lieu de : 
Palatfchia par une belle infcription 3 


C des [ept Egliles. 359 
qui s'y voit encore , où le mot de 
IIOAIZ MIAHZIQON eft rcpeté 
par cinq fois. La fituation s'y accor- 
de, n'étant qu'à une joutnéc & demi 
d'Éphefe , & proche du Meandre , à 
quelques milles de la mer. Le Mean- 
dre que les Turcs appellent encore, 
comme jay déja remarqué Boiouc- 
Mindre, ou grand Meandre , eft ce- 
lebre dans l'Antiquité pour fes mer- 
veilleux detours, qui imitent les Ler- 
tres Greques, comme on le peut voir 
dans le crayon que j'en ay donné. 
C'eft une riviere fort étroite; qui n'a 
guere plus de 15. braffes de large ; 
mais en revanche elle eft fort pro- 
| fonde , particulierement proche de 
 Milet , où elle a autant de fond que 
de largeur. | 

Milet étoit ia patrie de Thales un 
des fept Sages dela Grece. C'eft luy 
à qui ce nom de Sage fut premiere- 
ment donné » & qui le meritoit bien, 
puifqu'il fut le premier entre les 
| Payens qui foûtint l'immortalité de 
| lame , comme le remarque Suidas. 
Les uns mettent cette Ville dans 
l'Ionie, les autres dansla Carie;mais 


ASKEM 
KALESI 


360 Voyige dn Levant, 
fi le Meandre faifoit , comme on. 
écrit, la divifion des deux Provinces, 
il la faut reconnoitre avec Strabon 
de l'Ionie. 

ASKEMKALESI , ou autrement 
le Chateau δ᾽ Askemeft une Ville rui- M 
née & un Port de mer, une journée | 
& demi plus loin que Miler. Mon- | 
fieur Picrelin croyoit que ce für la | 
Ville d'Halicarnalle fiege des anciens | 
Roys de Carie ; mais fi nous en 
croyons Pline, il faut que cette Ville M 
füt encore plus loin, car il ne la met ἢ} 
qu'à quinze milles de l’Ifle de Coos. ἢ 
Ce qui luy avoit donné cette penfée M 
eft la grande quantité de marbres & ὦ 
anciens monumens qui s'y trouvent, M 
avec plufieurs infcriptions. Il m'en ἢ 
communiqua trois ou quatre, en l'u- 
ne defquelles quoyque peu correcte, ! 
je trouvay que celuy pour qui éroit ἢ 
dreffé l'Epitaphe étoit IAZEYS, c'cft- M 
à-dire de la Ville de Jafis ou laffus; 4 
ce qui me fit connoître que ces ma- | 
fares éroient la Vilie d'Iafus. J'en M 
trouvay enfuite la fituation confor- | 
me à ce qu'en difent les anciens Gco- 


graphes. Strabon dans la defcription | 
de 


- & des fept Eglifes. 361 
de la Catie dit qu'Iaffus cft une Ville 
dans une Ifle proche de terre-ferme, 
On y voit encore l'enceinte des mu- 
irailles, & un theatre de marbre où fe 
lit une infcription Greque, qui nous 
apprend qu'un certain Zopater fils 
d'Epicrates l'avoit dedié à Bacchus, 
comme étoit celuy d'Athenes. Les 
habitans de cette Ville étoient autre- 
ois fort adonnez à la pefche,comme 
on le peut remarquer par une hifto- 
riette que Strabon nous debite, Vn 
joüeur d’inftrument mufical frifoit 
un jour montre de fon addrefle dans 
la Ville d'Iaffus. Tout le monde s'é- 
oit aflemblé autour de luy pour l’é- 
couter ; mais d'abord qu'on ouit le 
lignal pour vendre le poiffon , ils fe 
“etirerent rous,à la referve d'un feul, 
qui étoit un peu fourd. Le joüeur 
d'inftrument ne fcachant pas fon de- 
faut luy fit un compliment, & le re- 
mercia de ce qu'il luy faifoit l'hon- 
aeu de l'écouter , & de ce qu'il efti- 
moit plusla mufique que les autres 
jui s'en étoient allez au premier 
coup du fignal. Comment, répondit 
"autre? je ne l’avois pas oui , & en 


Q: 


362 Voyage du Levant, 
difant cela , il le quitta brufquement 
pour fuivre les autres, 5 

A quelques milles de là fe voyent 
de belles ruines d'un fuperbe edifice, 
que quelques-uns croyent étre du 
Maufolée , fuppofant que ce lieu-là 
eft l'ancienne Halicarnaffe. J'ajoüte 
pour confirmation de ce que j'ay 
avancé , que Strabon décrivant la 
côte de la mer en venant du côté 
d'Halicarnaffe pour aller à Smyrne, 
met Iaffus, & enfuite Milet, qui n'en 
eft en cffet éloigné que de quinze 
milles, & qu'il parle aprés des Villes 
qui font éloignées , coinme de celle 

ui fuit. 

MELASSO ν᾽ εἴ donc pas la Ville 
de Milet, comme Ortelius, Ferrari & 
tous les modernes l'affurent; ce qui 
fe reconnoit , non feulement par ce 
que j'ay dit de Palatíchia , mais auífi 
par la conformité de ce que Strabon 
rapporte de la Ville de 745/a4f2 avec 
celle-cy. Auffi voyez-vous qu'cllea 
gardé à peu pres le méme nom. Le 
temple de Jupiter qui étoit à 6o.fta- 
des de la Ville,s'y voit encore entier, 
C’eft un petit edifice avec quatre co- 


τος εν e 


lez EvkePreTnNEM 
TETONOTA 


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SUELE τὸ τος 
in A ΩΝ 


ISP. 36 2. Ἢ: 


#7». 


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^ fo mrt" prie te os m 


^ VOS Cid err Oba 
Mie κα | TP 

2e 7 PANTIN Ps 
LTMAL CA NE FRERE à 


n T 5 peu ee hs di m — —— δ... 
Ld 


2. Pau. 362, T. I. 


e des fept Ealifes. 264 
tonnes à la façade, dont vous verrez 
icy le deffein qu'on m'a communi- 
ué. L'autre qui eft plus vafe & 
lus fuperbe eft dedié à Augufte, 
comme il paroit par l'infcripuon de 
a Frife. Mais ce qui eft de plus con- 
ainquant pour montrer que Melaffo 
eft la Ville de Mylafa , & non pas de 
ilet , c'eft cette belle colonne que 
l'ay fait graver erigée à l'honneur de 
Menander fils d'Euthydemus,laquel- 
es’y voit encore, Car Strabon par- 
ant de cette Ville de Mylafa,dit que 
cet Euthydemus étoit un de fes plus 
lluftres Bourgeois, & qu'il avoit he- 
ité de grandes richcffes de fes ancé- 
res,& qu'il étoit fort confideré non 
eulement dans fon pays , mais dans 
oute l'Afie , où il fut honoré des 
remicres Charges. Cependant un 
'ertain Hybreas vint à fe pouffer 
lans le monde.Son Pere neluy avoit 
aiffé qu'un mulet pour gaigner fa 
ie à chargcr du bois , ou l'employer 

d'autres chofes encore plus viles. 
"entretenant de cela il étudia à An- 
ioche foûs Diotrephes tres-excel- 
ent Orateur, Etant de retour à My- 
2 


364 Voyage “ Levant, 
lafa fa patrie,il s’adonna au Barreau 
& fe poutfa dans quelques Charges 
publiques,ouù il s'avanga en fi peu dé 
tems , qu'il fe rendit comme mañré 
de la Ville da vivant méme d'Euthy4 
demus qui étoit alors âgé. Mais Eu: | 
thydemus étant dans la fleur de fog 
âge avoit neantmoins eu plus d’aus 
torité que n'en avoit alors Hybrea 
& méme quoy qu'il y eût je ne {çais 
quoy de tyrannique dans fa manieré 
d'agir ; il ne laiffoit pas d'étre fort 
refpecté ,' parce qu'il s'étoit rendu 
vtile à fes Citoyens. Hybreas dit ug 
jour dans une Harangue une parolg 
hardie,mais fort à propos,& s'adrefg 
fant à Euthydemus ; tu es, luy dit-il} 
,un mal neceffaire à notre Ville, caf 
nous ne pouvons vivre avec toy . δὲ 
nous ne fçaurions vivre fans toy. 
arriva enfuite que Labienus partifa 
de Caffius, s'étant revolté contre le 
Romains & rendu Chef des Parthes} 
qui s'emparerent de l'Afie mineuré 
Zenon de Laodicée & cét Hybreajf 
ne le voulurent point reconnoitre jj 
ayant animé leurs Villes contre lui 
-Car ils étoient l'un & l’autre cres-hæ 


Οὔ des fept Eelifes. — 36g 
biles Orateurs , qui perfuadoient au 
peuple tout ce qu'ils vouloient. Et 
comme Labienus fe faifoit appeller 
eneral des Parthes ; & moy , dit 
ybreas, je veux qu'on m'appelle 
General des Cariens : car Melaffo eft 
dans la Carie. Enfuite Labienus s'en 
étant approché avec des Troupes 
omaines , il fe rendit maître de la 
Ville, mais il ne put faifir Hybreas, 
qui s'étoit déja fauvé à Rhodes. Sa 
imaifon fut abandonnée au pillage,& 
la Ville maltraitée. Mais aprés qu'il 
eut quitté l'Afie mineure , Hybreas 
retourna à Mylafa , & fe remit fur 
pied avec la Ville. 

| Pour ce qui eft d'Halicarnaffe , il 
a long- tems qu'elle a été ruinée,& 
l'on en voit encore de grans reftes en 
un lieu inhabité appellé Bosdron,vis- 
vis l Ille de (ὃς, qui n’eft point 
ommée par les Grecs Stanchio , ni 
Stingo, ni Lango; fi ce n'eft par nos 
Mariniers,qui ont entendu parler les 
Grecs, loríqu'ils veulent dire à Kos, 
car ils difent Sx#-Go, le K aprés l’#, 
fe pronongant comme un 7, & Stin 
eft l'abregé de l'article εἰς z57, 


Q3 


Us 


alie. 


366 — Voyage du Levant, à 


ginerent que c'étoient trois cœurs. 


Ces trois Provinces qui fe tou- 
chent,l’lonie,la Carie & laLydie sót 
des pays tres-bons & tres-fertiles. ] 
Les anciens difoient de la derniere, | 
que les perdrix y avoiét deux cœurs. | 
Le Docteur Picrelin me difoit que | 
l'origine de cette fable venoit, de ce ] 
que le pays étant extremement bon: 
& fertile en grains , la perdrix , ὅσο 
peut-étre plufieurs autres oyfeaux] 
prenoient les oreilles du cœur fi grof-# 
{es, qu'elles fembloient un autre | 
cœur, & qu'il l'avoit fur tout remar- 7 

vé aux pigeons. Il nous arriva ἀπο 
chofe femblable comme nous étions 
fur l'Archipel à nôtre retour des 
Smyrne. Nos matelots prirent une 
groffe tortué de mer qui pefoit bien] 
prés de trentelivres. L'ayant even-] 
trée,ils s'écrierent qu'elle avoit trois 
cœurs. J'y accourus pour voir ce mi 
racle , & je reconnus que c'étoit les 
deux oreilles du cœur , qui étoient] 
chacune sroffes comme la moitié du 
cœur ; car comme ils virent qu'elles. 
avoient aufli un batement, ils s'ima- 


Nous aurions pó aifement nous] 


e des fept Ealifes. 367 
refoudre à aller voir quantité d'au- 
tres Villes , qui ont autrefois été ce- 
lebres dans ces quartiers-là, fi l'on 
ne nous eüt reprefente le danger que 
nous courions pour les voleurs, & 
pour les avanies que les Turcs tà- 
chent de faire aux Chrétiens , & le 
plus fouvent pour de fauffes accuía- 
tions. On nous aflura que depuis 
quelques années un Conful Hollan- 
dois fut affaffiné & volé auprés d'E- 
phefe , & l'on nous apprit une fà- 
cheufe intrigue arrivée depuis peu à 
un Gentilhomme Frangois;qui alloit 
de Smyrne à Alep avec la Caravane. 
C'étoit un homme riche,qui ne vou- 
lut pas fe faire connoître à Smyrne, 
Il menoit fa femme avec luy,& quel- 
|. ques domeftiques , & il arriva qu'un 
à jour elle tomba de deffus le chameau 
qui la portoit, Sur cela le valet de 
ce Gentilhomme querella le Chame- 
| lier , comme étant la caufe de cette 
| chüte;& n'ayant pas bien accommo- 
| dé fon chameau. Ils en vinrent à de 
| groffes paroles , & des paroles aux 
coups. En un mot le valet tua le 
| Chamelier de nuit , & fe fanva fans 


ῷ 4 


E 


368 — Voyage du Levant, 

en rien dire à fon Maitre. Le lende- 
main matin les Turcs & les Grecs 
voyant le Chamelier mort allerent 
fe plaindre au Cady du lieu le plus | 
proche,& accuferent ce Gentilhom- | 
me ; de maniere que le Cady voyant f 
tant de témoins contre luy fe difpo-« 
foit de le condamner à la mort. Il y! 
avoit là un Convent de Capucins f 
François,qui ayant fceu fon malheur ἢ 
parlerent pour luy, Vidi plufieurs ἢ 
follicitatiós ils firent refoudre leCady M 
de luy fauver la vie moyennant mille 4 
écus qu'il luy payeroit, Voicy com- 
ment le Iuge s'y prit. L’aprefdinée, 
lorfqu'on croyoit que l’Arreft alloit 3 
être prononcé , il fit revenir toute la M 
Caravanne devant luy,& recommen- 3 
ca à les interroger fur l'affaire dont 3 
il s'agiffoit. Voilà un homme mort, 
leur dit-il ; qui eft-ce qui l'a tué? 
C'eft ce Frangois , luy répondirent 
tous ceux de la Caravane en luy in- 3 
diquant le Gentilhomme. A quelle $ 
heure l'a-til tué, ajoütale Cady : IHM 
l'a tué pendant la nuit, repliquerent- ἢ 
ils, mais nous ne fcaurions bien dire ἢ 
Vheure, Enfinle Cady leur deman- ἢ 


e des fept Ecliles. 369 
dant de quelle manicre,& avec quoy 
il l'avoit tué , ils repartirent qu'ils 
n'en fcavoient rien. Comment, ca- 


naille , reprit le Cady d'un ton plus 


fizr, vous venez accufer un homme 
d'en avoir tué un autre fans fcavoir 
ni quand , ni comment il l'a fait? 
Vous n'étcs que de faux témoins , & 
jc ne fçais à quoy il tient que je ne 
vous falfe tous pendre à l'heure me- 
m2. Si vous ne ime trouvez aujour- 
d'hay vingt mille écus , à quoy je 
vous condamne , vous ne partirez 
point d'icy. Ainfi il trouva moyen 
de tirer de l'argent de l'accufé & des 
accufateurs, qui furent obligez de fe 
cottifer, pour faire entr'eux cetre 
fomme.Vn autre Frangois qui ne fai- 
foic que d'arriver à Smyrne fut abor- 
dé par un coquin de G:ec,qui le pria 
inftamment de luy préter dix écus. 
Le François qui ne le connoiffoit 
point , dit abfolument qu'il ne poa- 
voit pas;furquoy le Grec le quittanr, 
luy dit qu'il pourroit bien s'en re- 
pentir. Quelque tems aprés le Fran- 
Qois étant parti pour aller par terre à 
Conitantinople ; & ayant beaucoup 
$ 


370 Voyage du Levant, | 


foit en corrompant les Iuges > CE quil 


avis, juge de la maniere qu'il luy 


"" * 


d'or fur foy , fut épié par deux ou 
tois miferables que ce Grec avoit 4 
apoftez, lefquels le dépoüillerent, le 
menant enfuité garoté au premier 
Village. Ils dirent que c'étoit un 
Corfaire,& qu'ils l'avoient autrefois 
vü fur un bâtiment faifant le métier ἢ 
de Pyrate dans l'Archipel. Sur cét ἢ 
expofé il fut mis dans un cachot , & 1 
il eut bien de la peine à en fortir à 3 
force d'argent , car il n'y a rien que 
les Turcs ne foient capables de faire # 
pour lintereft. Αὐ cft-ce une ma- T 
niere de Proverbe dans tout le Le- 3 
vant, que fi l'on prefente d'une main. 
de l'argent à un Turcjil fouffrira que 2 
de l'autre main on luy creveun œil. 4 

Leur juftice e£ courte, comme 
chacun fçait. Ccla eft bon en plu-# 
ficurs rencontres, & abrege les pro-- 
cés que la chicane fomente. Mais: 


d'ailleurs il s'y gliffe bien des abus, 


LI 


€ft facile; ou quelquefois par l'igno- 3 
zancc & le fimple caprice d'un Cady,. 

qui étant feul , & n'ayant perfonne] 
dont il foit obligé de confulter les 


= € des [epi Ealifes. 471 
plait, & comme il trouve le plus d'a- 
vantage, 

Vn de nos amis revenu depuis peu 
d'Alep nous racé:oit un plaifant Iu- 
gement que le Cady y avoit rendu, 
Vn Turc avoit vendu une de fes εἴς 
claves à un de fes amis ; mais il ne 
demeura pas long-tems à s'en repen- 
tir, parce qu’elle étoit fort belle. Il 
la zedemanda donc à celuy qui l'a- 
voit achetée,& luy offrit de luy ren- 
dre l'argent qu'il en avoit payé. Il 
luy avoua qu'il ne pouvoit plus vi- 
| vre fans elle, & le conjura de la luy 
| rendre. Celui-cy témoigna qu'il ne 
le pouvoit, qu'il ne l'avoit pas ache- 
tce pour la revendre , & qu'abíolu- 
| ment il la vouloit garder. L'autre 
| voyant qu'il ne pouvoit pas l'obtenir 
de cette maniere, eut fon recours au 
Cady ἃ qui il propofa fon affaire. Le 
Cady luy répond qu’il a tort de re- 
| demander fon efclave ; & qu'il ne 
peur pas obliger cel::y à qui il l'a 
vendue à la luy rendre.Sur cela l'au- 
tre Le preffe plus fort, & luy promet 
quelque prefent s'il la luy fait obte- 
nir. Hé bien, luy dit Le Cady, je le 


372 Voyage du Levant, 
veux bien ; pourvá que tu faffes tout 
ce que je te diray , je te promets que 
ton efclave te fera rendue. La partie 
ayant été citée devant le Cady , ce- 4 
lui-cy luy propofa de rendre l'efcla- ἢ 
ve, en luy reftituant la méme fomme 
qu'il en avoit donnée. L'acheteur 
protefta qu'il ne vouloit point s'en. 
defaire ; qu'ils en avoient paffé le | 
contract enfemble, & qu'on ne pou- ἢ 
voit le retra&ter. Alors le Cady fe ἢ 
tournant du côté du demandeur,luy 4 
dit de fe mettre à danfer,ce qu'il fic à 
Pinftant, ayant promis d'obeir à tout 
ce qu'il luy commanderoit. Puis s'a- 
dreffant au defendeur; Et toy, luy 
dit-il , danfe δι. Moy ! repliqua 
l'autre, je n'en feray rien , je ne fuis 
pas fou comme ]uy. Ha! ha! reprit 3 
le Cady , puifque tu avoues qu'il cft | 
fou, le marché ne doit pas tenir , & | 
le contra& que tu as paff? avec luy 
eft nul. Va luy rendre tout à l'heure A 
fon eíclave pour l'argent qu'il te l’a 4 
vendué;c'eft toy-méme qui t'es con- 4 
damné, & il fallut que la chofc allàt. 3 
de la forte. 1 
- L'Ionie avoit douze Villes,qui te« - 


p. de | 
- & des fept Folifes. 173 

noient leurs Affemblées dans un lieu. Ὁ 
proche de Milet appellé Panienmum. 
Smyrne y fur ajoütée , ἃς clle faifoit 
la treiziéme. Ces Villes étoient 
Epbefe,appellée mainten&t Ajzfalonf. 
Milet , prefentement Palarfcka. 
M uns, détruite depuis long-tems. 
7 ebedor, qui n'eft plus rien. 
Teos , Villagenommé δέ". 
Colophon , ταίές. 
Priene , qui ne paroit plus. 
Phocée , appeliée maintenant Pal: 
| Foja. 
Erythre , le Village de Gefmeé. 
Ciazomene Village de Fourla,ou Ke- 


lif man. 
Chios , . : 
qui retiennent leur an- 
Samos , | 


in cien nom. 
m»rne , 


Pendant tout le temps que nons 
demeurámes à Smyrne , nous gardà- 
mes deux Chameleons en vie. L'un 
nous avoit été donné . & l'autre qui 
étoit fort petit avoit été trouvé à la 
campagne par Monfieur Vvheler. I's 
tiennét beaucoup du Lezard,mais ils 
marchent bien plus lentement,ayant 
des jambes fort longues. Les ançiens 


374 Voyage du Levant, | 
Naturaliftes difent que cét animal - 
vit de l'air, maison a remarqué qu'il 
mange des mouches & d'autres infe- 
étes, auffi a-t-il un eftomac ἃς un pe- 
tit boyau, ce qui ne feroit pas necef- 
faire , s'il ne vivoit que de l'air. Il 
eft pourtant vray que quád onle m 
de long-tems , on ne le void prefque 
jamais manger,& quoyque je prefen- 
taffe quelquelques mouches au plus 
gros des nótres, j'avois de la peine à 
les luy faire avaler.Mais cela n’ef pas 
particulier à cét animal, car il en eft 
de méme des Lezars & des Serpens 
que jay và garder quatre ou cinq 
mois dans des phioles fans rien man- 
gcr. Ce que je trouve de plusremar- 
quable en cette matiere, eft l'ob- 
fervation que Monfieur du Four, 
un des plus curieux de nôtre Vil- 

le , m'a affuré d'avoir faite ; qui 
eft , que bien que le Chameleon ne 
mange pas , il ne laiffe pas de faire 
beaucoup d'excremens. Je remar- 
quay que les nótres dormoient 24. 
heures de fuite fans fe remuer ; auffi 
la faifon étoit alors affez froide.Leuz 
langue avec laquelle ils dazdens les 


. € des fept Ealifes. — 374 
mouches cft longue & creufe au bout 
en trompe d'Elephant , & le deffous 
avance en fagon de cuilliere, enduit 
d'un phlegme gluant qui tient les 
mouches embarraffées, Pline & So- 
lin difent qu'il a tot jours la bouche 
ouverte , ce qui fe remarque neant- 
moins tres-rarement. Ce qu'il a de 
fingulicr fur tous les autres animaux; 
cefont les yeux qu'il remué l’un d'un 
coté, l'autre de l'autre, de forte qu'il 
. peut regarder en haut & en bas en 
méme temps, ou en tenir un fixe, & 
remuer l’autre, Ils femblent deux pe- 
tits jayets enchaffcz dans les paupie- 
res , qui font percées d'un petit tron 
rond pour leur donner du jour ; ce 
qui faifoit nommer leur œil par Ter- 
tullien Punélum Verticinans, un point 
roulant de côté & d'autre , cét oil 
n'étant en effet guere plus gros qu'u- 
ne téte d'épingle. Mais pour ce qui 
eft de fon changement de couleur , 
c'eft quelque chofe de fi furprenant, 
que vous ne ferez pas fàché que je 
vous en communique mes obferva- 
tions. Ariftote, Pline, Solin & Plu- 
tarque ont écrit qu'il prenoit toutes 


376 Voyage du Levant, 

les couleurs, fi ce n'cft le rouge & le 
blanc , & ils nous veulent perfuader 
que ce changement vient des objets 
proche defquels il fe trouve, & dont 
il emorunte la couleur. Cependant 
jay remarqué auffi bien que d'autres 
qu'il prend le blanc tres-facilement, 
non pas à la verité un blanc degagé 
de toutes les autres couleurs ; mais 
αὐ toutes celles qu'il prend font 
toüjours accompagnées de: quelques 
nuances. Je ne voudrois pas auífi 
nier abfolument , comme font quel- 
ques-uns , qae les objets luy fervent 
à prendre les couleurs. Il y a quel- 


qé chofe de veritable, mais ce n' ft. | 


as cela fzul aui la luy fait changer. 
P ete dé can 
Quand nous laiffitons les nôtres fur 


une treille , ils devenoient peu à peu - 
d'un bsau verd , qu'on avoit de la ! 


peine à d'ftinguer des feuilles, & 
qandon les en ótoitjils le gardoient 
encore quelques imomens. Lorfque 
Monfieur Vvheler prit le perit à la 
campagne , il étoit fur un arbriffeau, 
& paroifloit tout verd : mais comme 


il s'apperceut qu'on l'alloit prendre, | 


il tomba en terze, & devint tout noir. 


/ 


"e à 


τ & des fept Eglifes. 177 
Quand nous les mettions fur des éto- 
fes noires, & qu'ils y demeuroient 
lonz-tems;ils devenoient auffi noirs, 
mais non pas tout d'un coup. Ien'ay 
jamais remarqué que pour les mettre 
fur du bleu , du rouge ou du violet, : 
ils changeaffent de couleur, Pour 
moy, je crois que leur changement 
vient pour l'ordinaire de leurs paí- 
fions » aidées peut-être quelquefois 
du froid & du chaud. Car lorfqu'ils 
étoient d’un beau verd, & qu'on les 
vouloit prendre, ils fe retiroient, fif- 
flans comme une vipere , & fe noir- 
Ciffans. Le petit comme plus craintif 
changeoit auffi plus promptement, 
mais particulierement lorfque je l'é- 
veillois. La couleur la plus ordinai- 
re du gros étoit un vert grisátre avec 
"cinq ou fix taches blanchätres & 
rougeätres, à coté de l'épine du dos, 
Mais ce fond fe changcoit fonvent 
en noirátre , fans aucune apparence 
de verd ni de taches, principalement 
fi nous le laiffions aller au grand air 
en un tems froid. Lorfque je le met- 
tois (οὖς un bonnet blanc,ou rouge, 
ou d'autre couleur , je l'en tirois in- 


379 Voyage du Levant, 
continent aprés tout blanc mélé d'o« 
rangé & de jaune, & quelquefois fe- 
mé de taches plus claires. Jene fga- 
vois à quoy attribuer cela qu'à l'ef- 
fort qu'il faifoit pour en fortir ; car 
s'il dormoit , il ne changeoit point. 
Je l'avois porté dans nôtre Vaifleau, 
& je pris garde un jour qu'il grim- | 
poit proche de la fenêtre de mon ca- ἢ 
binet , & cherchoit à s'échaper par 
quelque fente. Le Siroc qui eft un 
vent chaud foufloit à travers,& je le 
trouvay alors d'une couleur que je 
ne l'avois jamais veu. Il étoit jauná« 
tre,moucheté de grandes taches noi- # 
res. Jel'ótay delà, & cette couleur 8 
paífa prefque auffi-tót, devenant gri- M 
sätre. Ic l'y remis deux ou trois fois, ὦ 
mais il ne devenoit que jaune mélé ἡ 
d'orangé , fans taches. Ie l'ay và: 
quelquefois d'un gris noir,mouche- | 
té comme un Leopard par tout le 
corps de taches noires & jaunes, qui. 
difparoiffoient dés qu'on le manioit, | 
Il prenoit avffi queiquefois un beau | 
verd enfoncé tacheté le long de l'é- ἡ 
pine de cinq mouchetures blanches | 
larges comme un denier, Vn foir je 


ὁ defipEdits 379 
letrouvay d'un verd clair moucheté 
de jaune & de noir ; mais ce fonds 
devenoit gris noir , & fe confondoit 
avec les taches en l'irritant. Le pe- 
tit venant à mourir étoit jaune pale 
fans mouchetures, & je le garde en- 
core comme cela. C'eft auffi ce que 
dit Pline : Defuntlo pallor eff. Enfin 
ccít une chofe merveilleufe que cet- 
te grande variation de couleurs ; ce 
qui me fait étonner de ce qu'a dit le 
Ígavant Monfieur Gaffendy dans la 
À vie de Monfieur de Peirefc. Car il 
À allure que le Chameleon ne change 
] qu'en devenant un peu plus brun, 
| lorfqu'il cft mis au Soleil. Ne feroit- 

| ce point qu'en nos quartiers il ne fait 
À pas fi bien remarquer fes change- 
A mens. Cela me fait fouvenir que 
] deux Capucins pafferent à Lyon il y 

| a quelques années, portant un Cha- 
mcleon à Paris, pour le prefenter au 
Roy. Plufieurs perfonnes le virent, 
& affurerent que ce changement de 
couleurs étoit une fable. Ie l'obfer- 
vay moi-méme plus d'une heure fans 
y rien remarquer. Mais pour ceux 
que nous avions à Smyrne , les cou- 


\ 


380  Wayage du Levant, 

leuts étoient fi differéres qu'ils fem- 
bloient tout-à-fait d'autres animaux, 
fion ne leur eut và la méme figure, 
& qu'on ne les eut pas quitté de γᾶς, 
Monfieur Vvheler remarqua auffi 
bien que moy ces changemens mer- 
veilleux , de méme que plufeurs de 
ceux qui étoient avec nous dans le - 
Vaiffeau. J'eus bien du regret du 


gros qu'on me laiffa échaper, ayant ἢ 


laifféla fenêtre de mon cabinet ou- 
Verte ; car je n'en eus depuis aucune 
nouvelle. Cét animal craint extre- ! 
mement le froid, & M. du Four en | 
ayant fait venir cinq ou fix d'Egy- ! 
pte; ils fe trouverent en chemin pen- 
dant l'hyver de l'année derniere, qui 
fut fort rude. Ces pauvres animaux 
qui étoient dans une caiffe de fon, 
s'étoient tellement repliez en forme | 
de peloton , les jambes en croix , & 


la queue noüée autour du col pour 


fe garentir du froid en fe concen- 4 
trant de cette maniere , qu'i] les re- 
ceut tous morts en cette trifte po- 
fture. ; 
Nous refolumes nôtre embarque- 
ment {ur des Vaiffeaux Anglois, qui 


e des fept Falifes. 381 
s’en rctournolent , & devoient τοῦς 
cher à Zante , où nous étions bien 
aifes de nous rendre, pour aller de là 
à Athenes. Il y avoit deux Vaiffeaux 
marchands , l'un nommé la Ville de 
"Londres, & l’autre l'Oin-David; 
avec deux Vaifleaux de guerre , le 
Dragon, & le Darthmouth , fur le- 
quel le Capitaine Iean Tempel nous 
receut avec beaucoup dé civilité. 
C'eftune Fregate de trente pieces de 
canon, avec laquelle il a fait dans 
cette derniere guerre neuf ou dix pri- 
fes fur les Hollandois. C'eft un Ca- 
pitaine reconnu pour ures-brave, ὃς 
hardi comme un Lion. Il mouroit 
d'envie de rencontrer ceux de Tripo- 
li;avec qui les Anglois avoient alors 
la guetre,& il nous promettoit ἃ cha- 
cun un efclave , comme s’il les eut 
déja eus en fon pouvoir ; mais nous 
ne fouhaitions point une pareille 
. rencontre. Ces Coríaires de Tripoli 
font les plus méchans de tous les 

Corfaires de Barbarie. Les Anoclois 
n'ont pas laiffé de les mettreà Ted 
- fon, leur ayant brülé cinq Vaifleaux 
jufques dans leur Port ayec des Cha: 


382 Voyage du Levant , 


loupes, qui fe moquoient de la gréle | 
de leurs moufquetades. Il les ont en- 


fin obligez de faire la paix avec eux, 
& de leur payer la valeur de quatre- 


vingt mille écus , en efclaves , mar- | 


chandifes , ou argent. Pour recon- - 
noître la civilité des Chevaliers de : 
Malthe , qui avoient bien receu les | 


Vaifleaux Anglois , & leur avoient 


SE 


donné des provifions,ils racheterent - 


un Chevalier,& quatre cens efclaves 
Malthois pour la fomme de vingt- 
cinq mille écus , qui fut rabatue fur 


ce qu'ils avoient promis, Il futcou- . 
ché dans les articles de Paix qu'on. 


ne vifiteroit point leurs Vaifleaux,& 


qu'ils pourroient porter telles mar- 


chandifes qu'ils voudroient,& méme 


appartenantes à des marchands d'au- 
tre Nation. Car c'étoit là le princi- 


pal fujet de leur querelle, ceux de 
Tripoli croyant avoir droit de con- ἡ 


fifquer ce qui n'appartenoit pas aux | 


Anglois , quoyque foûs leur bannie- « 


re. C’eft le Chevalier Narbrouc qui 


conduifit fi bien cette guerre , & qui | 


la finit avec honneur avant la fin de 
année 1675. C'eft le méme qui fui 


— @ des fept Eglifes. 383 
il y a quelques années par ordre de 
fa Majefté Britannique au Détroit de 
Magellan pour en découvrir toute la 
firuation & les paffages. Il en rap- 
porta une relation fort exacte. 

Le 28.Novembrenous fifmes voi- 
le avant le jour avec bon vent pour 
fortir du golfe de Smyrne. Nous 
f laiffames environ à quinze milles fur 
nôtre gauche le Village de Pourla,8c 
cinq milles plus loin celuy de Ke/;f- 
À man fur une pointe vis-à-vis de quel- 
} ques Ifles, & de l’écueil de Ca/abea- 
À roun. Les deux jours fuivans nous ne 
ffifmes que changer de bord entre 
Chio & Pfara,ayant le vent contrai- 
re au Sud-ouücft. Mais le premier de 
Decembre nous doublàmes ces deux 
| Iles, portant la proüe vers Negre- 
{ pont,dont nous approchàmes. Le 
lendemain nous fümes rcjettez prés 
de Pfara avec une tourmente qui du- 
ra deux jours,& finit par des tonner- 
res , des éclairs & des tourbillons, 
qui mettoient tous nos Marelots en 
À defordre, Nous roulämes encore 

quatre ou cinq jours-là autour avec 
vent contraire jufqu’au 9.Decembre, 


384 Voyage du Levant, 
que Ie vent s'étant mis au Nordoüeft 
nous nous trouvàmes prefts à palier 
entre Negrepont & Andros ; mais la 
nuit nous ayant furpris , & le vent 
s’érant renforcé , nous n'osámes pas 
nous engager entre ces deux Ifles ,4 
qui ne font éloignées que de cinq ou 
fix milles l’une de l’autre. Le lende- 
main matin nous nous trouvâmes. 
proche de Tiné & de Mycóné , mais. 
comme nous voulions pafler entre! 
ces deux Ifles , la bonace nous arréta 
tout court , & la nuit une furieufe 
Tramontane s'étant levée nous ren- 
versámes le bord , pour ne nous pas. 
engager entre ces deux Ifles;tefiftant | 
au vent le mieux qu'il nous futpoffi- 
ble. La tourmente des nuits pre-! 
cedentes nous avoit beaucoup tra-. 
vaillez , mais celle-cy fut terrible, 
& nos Matelots en furent épouvan- 
tez, Sur le minuit le vent s'augmen- 
ta fi fort , qu'il dechira le voile de 
Trinquet que nous portions fcul. 
Pendant plus d'un quart-d'heure il 
fut impoffible d'en mettre aucun , & 
les autres Vaiffeaux furent auffi mal- | 
ttaitez. Les vagues couvroient fou-# 
vent 


C des fept Eclifes. — 385 
vent le nótre, & j'avois beau fermer 
la fenêtre de ma chambre , j'enten- 
dois à tous momens entrer des ravi- 
nes d'eau , qui me fembloient étre 
autant d'avertiffemens que nous 
étions prés de faire naufrage. Les 
cofres , les armoires & les canons 
ébranlez pas les coups de mer fai- 
foient un furieux bruit, & vous pou- 
[vez juger dans quel embarras nous 
fümes toute la nuit, Notre Vaiffeau 
comme le plus petit & le moins char- 
σέ, étoit le plus fecoüé de tous , & 
nous croyions à toute heure le voir 
renverfé. Le matin nous étions ἃ 
5o.milles de Tiné proche de l'ifle 
Icaria, fans apparence que le vent fe 
voulüt appaifer de tout le jour. Cet- 
[te Ifle n’a point de Port, comme ont 
remarqué les anciens Geographes. 
Le naufrage d'Icarus fils de Dedale 
luy a donné fon nom, & à la mer 
d'alentour celuy de mer Icarienne. 
Tout cela ne nous étoit point de bon 
augure , non plus qu'un de nos 
Vaiffeaux que nous n'appercevions 
plus. C'étoitl'Oin-David, qui étant 
le moins fort de tous, nous fit crain- 


R 


336 Voyage du Levant, 
dre qu'il n’eût été enfoncé , ou qu'il 
n’eût échoüé contre les Ifles de Tiné 
ou de Micone. Nous allâmes tout ce 
jour-là vent en poupe;quoy qu'il füt 
terrible , & malgré les vagues auffi 
hautes que la poupe duVaiffeau nous 
avangames environ cent milles. Sur 
le foir nous vîimes à nôtre droite 
l'Ile de Srampalia , & la nuit avec 
une feule voile nous avangames juf- 
qu'à Scarpanto. C'eft une Ifle d'en- 
viron fo. milles de tour , pleine de 
montagnes aflez fertiles. Ainfi avec 
laide de Dieu nous échapimes de 
cette tempête , avec une ferme refo- 
lution de ne nous plus fier à la mer, 
fi nous pouvions gaigner la terre. 
Mais les fermens de ceux qui voya- 
gent fur la mer , ne font gueres plus 
forts que ceux des Amans, & le dan- | 
ger paffé on ne s'en fouvient plus. 
Nous nous confolàmes de ne pas 
voir Rhodes qui étoit à nótre gau- 
che , parce qu'on nous dit qu'on ne 
laiffoit pas entrer les Etrangers dans 
la Ville. Lors méme que Monfieur 
l'Ambaffadeur de France y alla,on le 
lailfa bien entrer, mais on ne voulut 


> 


e des fept Eglifes. 387 
pas le laiffer fortir de fa maifon ju(- 
qu'à fon depart , parce qu'il n'avoit 
pas un Paffeport du grand Vizir,fans 
quoy un Etranger ne fçauroit voir 
Rhodes. On dit méme que c’eft 
maintenant tres-peu de chofe,& que 
les Turcs, qui ne raccommodent 
prefque jamais rien , en feroient bien 
plus facilement chaflez,que n'en fu- 
rent les Chevaliers, 

Nos trois Vaiffeaux tinrent Con- 
feil,& refolurent ἃ caufe de ces mau- 
vais tems de s'éloigner des Ifles , & 
de paffer au Sud de Candie ; ce qui 
étant executé, nous fit encore rouler 
fur ces mers dix-huit ou vingt jours 
avant que que de pouvoir arriver à 
Zante. Il nous eut été incommode 
de demeurer plus long-tems en che- 
min, car nôtre Vaiffeau commençoic 
à manquer d'eau , & en avoit em- 
prunté quelques tonneaux du Dra« 
gon. 


388 
ἘΞ ΞΘ ΕΣ 


IAS COPIE 


DES CABINETS 
ET PALAIS DE ROME, 


Et des pieces les plus curieufes quon 
J remarque , © quon ma pas 
voulu inferer dans le difcours 
fuivi de cette Relation. 


ΤΣ &E Jardin 4idebrandim , ἃ 
P Monte - Magnanopoli a des. 
Starues , des Bas-reliefs , les 
portraits de Bartole & de Baldus de | 
la main de Rafael , une Baccanale ; : 
une Notre-Dame , une Iudith & un 
S.Icrôme du Titian : une Pfyche du « 
Carrache , & d’autres excellens ta- 
bleaux de Leonard Avinci , de lules 
Romain & d'Albert Durer: avec une 
peinture antique à frefque d'une 
Noce., qui eft le plus beau morceau 
qui nous refte des anciens Peintres 
du tems du Paganifme. On en trou- 


Liffe des Cabinets & Palam. 389 
e des copies dans une taille douce 
ravée à Rome, 

Le Palais du Duc d’A/semps pro 
che la Place Navonne, a quantité de 
atues & de buftes, un beau triomfe 
e Bacchus de marbre fin , avec plu- 
ieurs manufcrits. 

Le Palais de la Marquife Angeleli 
des Reliques & plufieurs antiqui- 
tez Chrètiennes , imprimées dans le 
ivre intitulé Roma fabterranea , des 
eintures de Guido Reni & une Re 
furrection d'Annibal Carrache. 

Le Palais d'Aquafparta, proche de 
l'Hópital S.Efprit , renferme quel- 
ques buftes ὃς inícriptions anti- 
ques. 
Le Cardinal Azzoini poffede des 
tableaux de Lanfranc & d’autres 
modernes qui font en reputation. 

Le Palais de l'Zmba[fadeur de Mal- 
the au Cours, a neuf ou dix ftatues 
dans la baffe- Cour ; fçavoir Iupiter, 
Apollon, Hadrian,Antonin,&c. 

Le Cardinal Bonelli a une belle 
Bibliotheque laiffée par le Cardinal 
Alexandre neveu de Pie V. oùil y a 
des Livres de Theologie & des Ma- 
R 3 


390 — Liff des Cabinets, 
nufcrits , entr'autres un Virgile écrit 
dés le huitiéme fiecle,- 
. Le Signor Iean-Pierre Bellori An- 
tiquaire du Pape ἃ ramaffé un Cabi. 
net ttes-curieux de quantité de bi- 
joux antiques, comme lampes , peti- 
tes ftatuës , infcriptions , urnes 9 la- 
crymatoires & quelques tableaux 
' fins. Il loge proche de S.Iofeph, au 7| 
mont de la Trinité, | 
Le Palais Borghefe a une Cour δέ 
des Corridots foutenus de colonnes 
antiques , quelques ftatués, & en- 
trautres une fort grande & fort 
belle de la Deeffe Flora: & dans les 
appartemens une infinité d'excellens 
tableaux & de meubles tres-riches. 
L'Abbé Zracbeft , à Sainte Marie 
Maior ,a des tableaux, des buftes & 
de tres-belles medailles , & particu- 
lierement une des plus belles fuites 
de grand bronze qui fe puiffe voir. — 
Le Palais Chig; , àla Lungara, à 
une voûte où eft reprefenté le Ban- 
quet des Dieux, & des autres appar- 
temens peints à frefque par Rafael, 
& il ne fe paffe point de jour qu'on 
n'y voye une foule de jeunes Pcin- 


e Palas de Rome. 391 
trés, qui s'exercent à deffigner aprés 
ces beaux orfginaux. 

Le Palais du Cardinal Chigi à San 
ti Apoftoli, a neuf ou dix chambres 
ornées de ftatués antiques,entre lef- 
quelles font un Apollon qui écor- 
che le Satyre Marfyas , une Matrone 
Romaine affife,quelques Venus tres- 
belles , & quatre. Athletes trouvez 
depuis quelques années. Ils font 
tous une pofture femblable ; mais il 
y en a un cinquiéme expirant de fa 
bleffure, qui eft un chef-d'œuvre de 
Sculpture, On y void outre cela une 
Notre-Dame de Guido R eni , quel- 
ques tableaux de Rafacl , & d'autres 
Peintres renommez. 

Le Palais du méme Cardinal, à la 
Strada de Sainte Marie Major, eft un 
beau recueil de produ&ions rares de 
la nature, de lampes, d’urnes,de pe- 
tites ftatucs, & d'autres bronzes an- 
tiques. 

Le Palais du Marquis Corfini, à 
Piazza Fiammetta.eft enrichi de fta- 
tués , de peintures excellentes & de 
Livres curieux. 

Le Chevalier Corvino , à la Lune 

R 4 


392  Lifie des Cabinets, 

gara , a été curieux de deffigner les 
differens infe&es qui naiffent de cha- 
que plante. Il a outre cela quelques 
autres curiofitez, comme des urnes, 
des lacrymatoires & des plantes. Il 


nous fit voir une Salamandre qu'il a | 


gardée long-tems en vie , & qui eft 
une efpece de petit lezard. Il nous 
dit qu'il a plufieurs fois fait l'expe- 
rience de ce qu'on dit qu'elle ne 


craint point le feu , & qu'elle fe. 
nourrit dans les flàmes,& que la ve 


tité eft que lor(qu'il mettoit cét ani- 
mal dans le feu, il jettoit autour de 
luy une bave qui l'éteint & qui l'em- 


pêche de fe brüler, pourvà qu'on ne 
l'y laiffe pas trop long-tems , car le | 


feu confumant à la fin cette bave, & 
n'en pouvant plus jetter,il auroit été 
brûlé comme un autre animal. 
Euftachio Divini eft celebre pour 
les Telefcopes, Microfcopes, Engyf- 


copes , & autres Lunettes qu'il tra- . 


wailles (iia 

Antonio de gli Effetti poffede une 
étude de petites peintures, mignatu- 
res, pierres precieufes ; & autres bi- 
joux. 


m 


e Palais de Rome. . 393 
Le Palais Ca/ezan proche du Cours 
a fur l'efcalier une douzaine de fta- 
ucs antiques , entre lefquelles la 
lus curieufe à mon gré cft une Om- 
ale vétué dela dépoüille de Lion, 
que le bon Hercule effeminé par fes 
fcharmes, avoit troqué contre fa que- 
nouille & fon fufeau. | 

Le Palais du Cardinal Nerli , à 
S.Maria in Campitelli, a des bas re- 
liefs & quelques ftatués , entr'autres 
au bas de l'efcalier celle de M. Met- 
tius Epaphroditus Grámairien Grec; 
qui uent un volume à la main. Il en 
avoit écrit trois mille felon le témoi - 
gnage de Suidas , qui l'appelle fim- 
plementEpaphroditus. Cela ne vous 
doit pas furprendre : car le volume 
n'étoit qu'un rouleau de parcheming 
dont la groffeur n'eft pas definie. IL 
vivoit depuis l'Empire de Neron juf- 
qu'à celuy de Nerva, & eníeignoic 
publiquement à Rome. 

Le Palais de Santa Croce eft. em- 
belli de quelques ftatucs & bas re- 
liefs dans la baffe-cour. iius 

Celuy du Cardinal Gabrielis de 
méme à | Efcalier & àl1a Cour. 

R $ 


. 394 — Life des Cabinets, — 
Le Palais Colonna proche l'Eglife: 
de Sancti Apoftoli eft meublé de ft: 
tués, de buftes, de tableaux , & d’un: 
beau lit de fculpture, porté par qua- 
uc chevaux marins de bois doré, & 
dans le jardin il y a des corniches & | 
des chapiteaux antiques d'une gran-- 
deur demefurée qu'on pretend être: 
du Palais de Neron, & de cette Tour 
dont il regardoit brüler la Ville de 
Rome en chantant l'incendie de | 
Troye. Tous les Antiquaires ne | 
tombent pas neanmoins d'accord que: 
ce futlà ce Palais de Neron. | 
L'Eghfe de S.Paul hors de la Ville: 
a quantité d’infcriptions antiques. 
Payennes & Chrétiennes parmi les: 
marbres du pavé, mais la plüpart. | | 
fort gátées,. ὃς feulement en pieces. | 
Paul François Falconiers ἃ des ta 
bleaux & des fleurs rares. | 
 Jofeph Felice s'applique aux Me-- 
dailles & aux gravures antiques ;que- 
Tes Italiens appellent /mtagh. | 
Pierre Gili àla Lungara,a un beau; 
jardin d'Orangers & de Citroniers: 
de toute forte, avec des fleurs etran= 
geres & autres fort curieufes.. 


e Palas de Rome. 705 
Monfignor Ginerri prés de Sainte 
Marie Major, a un beau Cabinet de 
medailles , entre lefquelles il y en à 
une finguliere de bronze de celles. 
qu'on appelle medaillons. Elle eft 
de l'Empereur Alexädre Severe avec 
l'Amfiteatre de Tite , & l'infcription 
MVNIFICENTIA AVGufíti, C'eft 
apparemment parce qu'il l'avoit fait 
raccommoder : car Lampridius dit 
que cét Empereur avoit redreffé plu- 
fieurs ouvrages des Empereurs fes 
predecetfeurs , & marque particulie- 
rement l'amfiteatre dansunautre ena 
droit : Lenonum, meretricum ei exo- 
letorum veitigal in facrum aerarium in- 
ferri vetuit, fed fumptibus publicis , ad: 
inflaurationemy Circi, Theatri, Amphi- 
| theatri & eÆrary defignavit, Yl à 
aufi un Medaillon de Philippe avec 
cette Infcriptió au revers EX OR A- 
CVLO APOLLINIS & un Tem- 
ple d'Apollon. Cette medaille auffé 
bien que la precedente eft l'unique 
qui foit au monde en fon cípece. 
Le Palais {ufhnsani à |a Rotonda. 
a une Salle pleine de ftatues ,oüil y 
en. aune entz'autres.d'une Venus for» 


396  Lifle des Cabinets, 

tant du bain, dont le Chevalier Ber- 
nin a extremement bien imité toutes. 
les beautez , en ayant fait une fem- 
blable qu'on void au mémelieu. Vn | 
Ecce homo & une Notre-Dame du 
Titian. S.Iean au defert de Guido. 
Reni. Le Baptème de N.S. du Car- 
rache & quelques pieces de Paul Ve-- 
ronefe. 

Carlo "Zagnini Gentilhomme Ro- 
main a fait un recueil furprenant de 
toutes fortes d'armes anciennes & 
modernes, de medailles.& de bron- 
Zes antiques. 

Le Palais du Cardinal de 7affi- 
mis aux quatre Fontaines , cftun des 
mieux fourni d’infcriptions de fta- 
tués ὃς de buftes antiques , avec une 
Bibliotheque & un Cabinet de me- 
dailles tres-bien cho;fies. Ey ay và 
un finge qui fentoit naturellement 
le mufc, & qui parfumoit de cette ἡ 
odeur la chambre où on le tenoit. 

Le Palais de Fabrici Maffimis à 
S.André , a un tres-bcav Coloífe de 
Pyrrhus, deux büftes de Theophra- — 
fte & dc Xenocrates de Chalcedois 
ue, avec quelqu'autres ftatués.. 


& Palas de Rome. 397 

Le Jardin de Medici à la Trinité 
du Mont , des bas reliefs , des Ter- 
mes , des infcriptions & des ftatus; 
entre lefquelles eft cette belle Venus. 
fi renommée. 

Le Palais Barberin , autrement du. 
Prince de Paleflrine , renferme une 
quantité furprenante de belles fta- 
tués & de buftes antiques : deux ou. 
trois tableaux de Rafael , du Baffan 
& du Pouffain. Vne voûte admira- 
blement belle , peinte par Pietro da 
Cortone. Vne Bibliotheque où il y ἃ. 
plufieurs curiofitez & quelques ma- 
nufcrits , & dans le jardin une cin- 
quantaine d'infcriptions que le Car- 
dinal Barberin a ramaflées, & qui ne 
font point imprimées, ἢ y a un Li- 
vre in folio , qui fait la defcription 
de ce Palais, ὃς qui eft intitulé e Ædes 
Barberine. 

Le Pere Kirker au College Ro- 
main, a fait un Cabinet de pieces de 
Marhematique , Mechanique , Dio- 
puique, Talifmans & Medailles. 

Le Capitole renferrae quantité. de 
belles chofes. Ees inícriptions des 
Magiftrars & Confuls Romains 5 & 


398 | Lifle des Cabinets, 

de leurs triomfes.Les ftatués de Ma- 
rius, de Ciceron , de Iules Cefar,. 
d'Augufte , de Virgile & du Heros. 
Aventinus. Celle de bronze de ce 
jeune homme qui vint en diligence 
à Rome porter la nouvelle du gain 
d'une bataille ,, & qui s'arracha en- 
fuite à fon aife une épine du pied, 
qu'il n'avoit pas voulu ôter par Jes 
chemins, pour ne pas perdre un mo- 
ment, Les trois Furies, qui tiennent 
les lambeaux ἃς le fouet à la main. 
Vn bon homme qui conduit les Al- 
lemans & les autres étrangers pour 
voir les curiofitez de Rome, leur dit — 
fort ferieufement quece font les trois. 
graces , & penfa fe mettre en colere. 
contre moy , qui difois que c'étoient- « 
les trois furies ou les Eumenides, : 
comme on les appelle auffi.Dans les : 
baífe-cours on voit le beau Marc- 
Aurele de bronze à cheval. Marfo- 
rio, qui étoit une fort grande ftatué 
du Tibre à demi couché. La téte 
d'un Coloffe de Domitian , avec le 
gros arteiil. Vn tombeau de mar- 
bre qu'on attribue à faux à l'Émpe- 
xeur Alexandre Severe & à fa mere 


ὧδ Palas de Rome. 79% 
Mamea , & dont le bas relief ne re— 
prefente point non plus l’enlevement 
des Sabines , comme l'infcription. 
qu'on y a ajoütée le veut períuader. 
La Columna roftrata de Duillius.. 
La Colonne milliaire, d’où l'on pre- 
noit la diftance des lieux éloignez: 
deRome. Les ftatués de Caftor ἃς. 
Pollux. Les Trophées appellez vul- 
gairement de Marius , que les Sça- 
vans affurent étre ceux de Trajan, 
des Adlocutions , des Chars de 
triomphe , & des Sacrifices en bas: 
reliefs fur l'efcalier ,. & quantité de: 
: peintures du Chevalier Giofeppe. 
Le Palais Lancelotti ,. u$ des Cos. 
| fonari, a une Cour ornée de ftatués. 
& de bas reliefs. 
. Le Signor Luka fait negoce de 
medailles antiques , & les netroye 
tres- bien; | 

Paul Afacarani poffede une gale- 
| tie de ftatués & de tableaux. 

Le Palais nouveau des Palg73: ou: 
Altieri , au lefu, eft un des plus fu- 
perbes de Rome. Il y a au bas de. 
l'efcalier une ftatu? d'un Roy captif,. 
qui fut trouvée il y a quatre ou cinq; 
ans à la place Navonne.. 


4oo Liffe des Cabinets, — .— 
. Le Palais Pamfile à la place Na- 
vonne a des ftatués & des tableaux, | 
'& une voute peinte à frefque par le 

fameux Pietro da Cortone. 

Raymond Pennalis a une Biblio- 
theque & un Cabinet de toutes for- 
tes d'Ambres. | à 

Le Cardinal Carlo P10 , une Venus. 
du Titian, une Europe de Paul Ve- 
ronefe. Vne Sainte Helene du mê- 
me, une Annonciation du Baffan , . 
avec un beau jardin de toutes fortes 
de Tulipes. 

Le Chevalier del Po770,a entr'au- 
tres les fept Sacremens du Pouffain;, . 
des medailles & des livres de def- — 
feins de pluficurs antiquitez de 
Rome. 4 

Le fieut Pierre Cherchemon? de Pa- 
fis, tres-intelligent en medailles, en 
fait commerce , de méme que d'au- 
tres bijoux antiques. 

Le Palais du Cardinal Raggi , a. 
une Sainte Dorothée de Guido R eni, 
la vertu de Paul Veronefe , & autres 
pieces rares. . 

Le Cardinal Rzffoni , des peintu- 
res de Titian,de Tantoret & de Paul 


e Palais de Rome. 401 
Veronefe. Vne Bibliotheque four- 
ie de livres de Droit & autres Sien- 
ces. 

Felice Rondanini a un beau recueil 
e peintures, de camayeux,medailles 
gravüres antiques. 

Le fieur Pietro Roffs; Antiquaire 
la place d'Efpagne vend des me- 
ailles & autres pieces antiques. 

Le Cardinal Fules Aofpigliof , ἃ 
ine fuite de la Vierge en Egypte du 
'ouffain , & autres pieces du méme. 
Sainte Rofalve de Vandeik , & des 
ayfages de Claude Lorrain. 

Le Palais Saccherti , à S.Iean des 
lorentins. Vne Venus du Titian, 
Vne Nótre-Dame du méme. Vn en- 
levement des Sabines de Pietro da 
Cortone. 

_ Le Palais du Duc Sziviat; , à la 
Lungara , une Diane du Correge. 
Vn Ganymede du Titian, 

Le Palais Saznefi des peintures à 
frefque de Lanfranc , des ftatués de 
bronze, & camayeux antiques. 

Le Palais du Marquis Spada des 
atués , des bas reliefs , des inícri- 
prions & des peintures, 


\ 


y 
4o2  Lifedes Cabinets, 
LaReine de Suede une Bibliothe- 
que où il y a nombre de manuícrits, 
d'acathes , de bons tableaux, & une 
étude de medailles antiques , & en- 
tr'autres plus de 200.beaux medail- ἢ 
lons Grecs & Latins. | 
Le Princé de Sicovaro des peintu- 
res excellentes & des deffeins rares. 
Le Vatican a de tres-beaux jar- 
dins, oà l'on void la grande pomme 
de pin de bronze, qui étoit autrefois 
fur la Moles Hadriani, appellée pre- 
fentement Château S. Ange. Des 
ftatucs admirables , & entr'autres 
celles du Laocoon, d'Antinous,& ce 
tronc d'un Hercule, qui étoit tant 
eftimé par Michel-Ange. Les gale- - | 
ries & les loges de Rafacl & Iules | 


Romain. L'école d'Athenes. La“ 


Chapelle du Pape oü eft peint le 
dernier Iugement par Michel-Ange, 


des infcriptions , des jets d'eau , & | 


une Bibliotheque de manufcrits ce- 
lebre par tout le monde. 
La Villa Borghefe eft remplie d'u 7 
ne prodigieufe quantité de ftatués ἢ 
antiques, & de modernes du Cheva- 
lier Bernin, de buftes , d'urnes , de. 


Q Palars de Rome. 403 
bas reliefs, dont Le Palais eft prefque 
tout revêtu en, dehors ; d'inícri- 
prions, de tableaux , de belles allées 
& de jets d’eau , dont on a la de- 
fcription dans un livre exprés en 
Latin. 

La Villa Cefarini n'eft confidera- 
ble que pour un grand nombre d'in- 
Ícriptions antiques enchaffées dans 
une muraille, 

La Vigne Iufliniani , à la Porte del 
Populo, n'a gueres moins de 300.in- 
{criptions & autant de ftatués & bu- 
ftes antiques , & quelques urnes de 
marbre , gravées de bas reliefs tres» 
excellens. 

La Vigne Ludovifio a des marbres, 
des infcriptions & des ftatués antis 
ques , entre lefquelles on compte le 
Gladiateur pour une des meilleures 
de Rome. Il y aauffi un lit touten- 
fichi de lapis, d'agathes & autres 
pierres precieufes eftimé cinquante 
mille écus , mais il eft prefentement 
affez negligé & je ne penfe pas qu'il 
Len valüt la moitie. 

La Villa Mattbei eft riche en τας 
bleaux , ftatues, buftes , obelifquess 


404  Lifle des Cabinets; 
& prés de 200.infcriptions antiques: | 
Il y a un tres-beau tombeau, où font 
gravées les Mufes avec un Hercule, 4 
qui étoit furnommé quelquefois 444- 
Jagetes; Le Palais Matthei dans la 
Ville eft auffi tout orné de bas reliefs 
antiques, 

La Vigne Pamfile bâtie par Inno- 
cent X. eft une des plus belles, pour 
les allées , jets d'eaux , beaux meu- 
bles , ftàtues & infcriptions anti- 
ques. 

La Vigne Perretti , ou Montalto, 
renferme mille belles chofes. Les 
ftatues de Quincius Cincinnatus, de 
Germanicus , d'un Gladiateur de 
pierre de touche. Vne Vierge de 
GuidoReni. S.Iean de Pomeranci, 
une Bibliotheque AS 
eft peint à frefque par Balthafar à 
Croce. Vne affomtien de la Magde- 
laine par Lanfranc. Vn Chrift mort ἢ 
de Raphaël. Les buftes de Neron, -# 
de Pyrrhus, de Pefcennius Niger. 
S.Frangois d'Annibal Carrache. Vn 
Chrift mort du Paflignan : & dans 
le petit Palais les buftes d'Antonin 


nt le plat-fonds $ 


Pie , de Caracalla & de Geta. Les ἢ 


€ Palas de Rome. ἀος 
| fatues de Scipion , de Marius & 
| d'Adonis. Bacchus & Ariane de. 
| Guido Reni, & grand nombre d'in- 
| fcriptions antiques dans les Tar- 
dins. 


Fin du premier Tome, 


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